La place de l’accordéon dans la musique classique
L’accordéon a longtemps gardé l'image d'un instrument de bal musette. Une idée reçue qui a bien évolué, notamment depuis le début du XXIe siècle, puisqu'il occupe une place de plus en plus importante dans le monde de la musique classique. Aliette de Laleu et Suzana Kubik
En France, après avoir fait danser les quartiers populaires pendant près d’un demi siècle où l’accordéon fût omniprésent, ce dernier se retira quelque peu et connut une remise en question. Il évolua et continue son ascension dans différents styles. L’accordéon est à l’aise aussi bien dans le jazz que le classique en passant par le traditionnel, la chanson française et le théâtre. Il est par ailleurs aujourd’hui un instrument incontournable qui a pleinement sa place dans l’interprétation de musique dite « savante » grâce notamment à l’invention de l’accordéon de concert.
L’accordéon est un instrument du souvenir, qui évoque les bals musette ou les airs folkloriques et traditionnels… Mais il ne faut pas réduire son rôle à ces répertoires. Depuis le début du XXIe siècle, il s’impose dans le monde de la musique comme un instrument classique à part entière.
Un rôle qu’il jouait dès son apparition, vers 1830. A cette époque en France, l’accordéon est très présent dans les salons bourgeois. « Il était alors de bon goût de jouer des airs d’opéra donnés dans les salles parisiennes », raconte l’accordéoniste Vincent Lhermet, auteur d’une thèse sur le répertoire contemporain de l’accordéon en Europe depuis 1990.
Comment est-on passé d’une image d’instrument noble, tourné vers le répertoire opératique, à un instrument très populaire voire considéré comme ringard pendant près d’un siècle ? Le changement s’est effectué en quelques décennies seulement. «Quand Napoléon III abdique(1870) l’accordéon va partir en désuétude » souligne l’accordéoniste Pascal Contet. Cela pourrait correspondre à l'ouverture, en 1863, de la première usine de fabrication d'accordéons en Italie, à Castelfidardo. L'accordéon perd alors de son précieux et investit petit à petit la culture populaire.
Il faut attendre les années 1980/90 pour que l’instrument retrouve sa place dans le monde de la musique classique. Et le XXIe siècle pour que les compositeurs contemporains s’intéressent pleinement à son potentiel.
Un renouveau salué par Vincent Lhermet : « Depuis les années 2000 il y a un ‘boum’ de l’accordéon. Les compositeurs ne voient plus de séparation entre le populaire et le savant, souligne le musicien, on voit que les barrières tombent de toute part ». Un des obstacles était l’absence de classes d’accordéon dans les conservatoires nationaux, obstacle surmonté en 2002 par le CNSMD de Paris (Conservatoire national supérieur de musique et de danse).
« Les anciens [compositeurs] qui me refusaient il y a 20 ans des pièces commencent à s’y mettre », souligne Pascal Contet qui a travaillé avec Philippe Manoury, Bruno Mantovani, Bernard Cavanna ou encore Philippe Hurel
Du baroque au contemporain
Même si l’instrument est récent, les accordéonistes peuvent s’attaquer à un large répertoire : « Du XVIIe jusqu’à la première moitié du XVIIIe, nous pouvons jouer toutes les oeuvres », indique Vincent Lhermet, il suffit juste de lire la partition telle quelle ».
Seul le répertoire romantique pose problème aux accordéonistes. La plupart des oeuvres pour piano de cette période utilisent la pédale et « il n’y a pas de résonance avec l’accordéon, explique Vincent Lhermet, donc il faut rallonger les notes, et c’est un exercice difficile ».
Aliette de Laleu et Suzana Kubik
Aujourd’hui, les accordéonistes peuvent jouer de nombreuses créations contemporaines grâce à l’engouement encore assez récent des compositeurs pour leur instrument. Pascal Contet avance une explication pour ce retard : « Dans les années 60 et 70 ce n’était pas le meilleur moment pour l’accordéon car nous étions dans un domaine de recherches musicales très électro acoustiques donc cet instrument était encore considéré comme ringard ».
Mais tous ne suivent pas les voies de la musique contemporaine. « Il y a une querelle entre anciens et modernes, entre garder l’héritage de la musique traditionnelle, du bal musette et s’intéresser à la création contemporaine »,explique Vincent Lhermet. Pour le jeune accordéoniste, « la création est parfois vue d’un mauvais œil comme si elle négligeait la tradition ».
Un instrument de la mémoire
L’accordéon est difficilement perçu comme un instrument moderne. Il reste populaire, et conserve le souvenir une certaine époque comme le souligne Eric Denut dans un texte d'accompagnement du livret de Juliette ou la Clé des songes :
Fait écho au piano de Juliette l’enchanteresse, l’accordéon [...] nettoie littéralement l’espace sonore des teintes rondes et denses de l’orchestre pour, en solo, suggérer aux protagonistes que le moment de la mémoire est de nouveau d’actualité. Cependant, lui non plus n’est pas neutre : les connotations qui lui sont associées, aujourd’hui, comme hier, à la création de l’ouvrage, sont celles du “bon vieux temps”, de la nostalgie d’un âge d’or révolu dont la mémoire ne tient plus, comme le son de l’instrument, qu’à un fil.
Ancien, moderne, populaire, vivant, nostalgique… Vincent Lhermet trouve un mot juste pour qualifier son instrument : couteau suisse. Car l’accordéon se marie avec tous les instruments, avec l’orchestre, avec la voix et « donne du liant, du coffre aux sonorités »