La naissance et la vie de la symphonie du XVIII siècle a nos jours
Nom féminin (latin symphonia, du grec sumphônia, accord de sons)
1. Sonate pour orchestre caractérisée par la multiplicité des exécutants pour chaque partie instrumentale et par la diversité des timbres.
2. Littéraire. Ensemble harmonieux de choses qui vont parfaitement ensemble : Une symphonie de couleurs.
Synonymes : harmonie - hymne
EXPRESSIONS
Symphonie concertante, composition orchestrale où fusionnent le genre de la symphonie et celui du concerto. (Cette symphonie avec solistes a été en vogue dans la seconde moitié du xviiie s.)
https://www.larousse.fr/
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Le mot symphonie vient du grec sun-phoné qui signifie voix réunies. Il s’agit donc plutôt à l’origine d’une simple disposition d’écriture et non d’un genre musical particulier. En France, dès la fin du XVIIe siècle, on trouve ce mot dans les passages où les voix chantées se taisent et où l’on n’entend que les parties instrumentales. En Italie le mot Sinfonia, qui signifie la même chose, est couramment utilisé pour désigner une œuvre composée d’une succession de morceaux purement instrumentaux. Les concertos de
Corelli, aujourd‘hui célèbres sous ce nom, se sont d’abord appelés sinfonie. Les sinfonie de Vivaldi ressemblent beaucoup à des concerti grossi. La terminologie de l’époque est flottante et imprécise, mais dans tous les cas il s’agit de morceaux instrumentaux destinés aux orchestres de l’ époque
Les Symphonies pour les soupers du roi de Michel Richard Delalande représentent un cas intéressant. Non seulement elles
confirment que la symphonie est toujours un genre instrumental, mais le titre est suffisamment explicite pour que nous comprenions qu’il s’agit de musique de divertissement. Ce n’est pas sans appréhension que nous entrons dans ce domaine controversé de la fonction de la musique. Les théoriciens de l’époque s’en tiennent à la théorie d’Aristote qui veut que la
fonction de l’art soit d’imiter la nature tout en divertissant son public. Mais il était clair pour tout le monde que ce propos
s’appliquait très mal à la musique. Les interminables discussions sur l’opéra à l’époque en témoignent : fallait-il ou non appliquer
au genre nouveau les règles de la tragédie classique ? Les théoriciens penchaient pour l’affirmative tandis que les musiciens
étaient, sans le dire, beaucoup plus réservés. La question était encore plus délicate à propos de la musique instrumentale : du
Coucou de Daquin aux Quatre Saisons de Vivaldi, on trouvait bien ça et là quelques exemples de musique descriptive, mais de
là à en faire la fonction principale de la musique… Dans ce flou artistique concernant la théorie, la musique instrumentale n’a
pourtant cessé de se développer pendant tout le XVIIIe siècle, jusqu’à ce que finalement la symphonie en devienne le plus beau
fleuron. Mais, avant d’en arriver là, il reste une dernière question à aborder.
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Pour qui écrit-on de la musique ?
Toute musique suppose un public : celui de l’église est censé rechercher l’élévation de l’âme mais celui des sociétés de concerts qui commencent à se développer dans toute l’Europe, a de tout autres désirs. En matière de musique instrumentale, le public des sinfonie, concerti et autres sonates vient avant tout pour se divertir et ceci est particulièrement
vrai de sa partie la plus aristocratique. Beaucoup de princes et de grands seigneurs se piquent de musique et ont des
orchestres privés qui peuvent être importants. La plupart des symphonies de la deuxième moitié du XVIIIe siècle ont été
écrites pour ce type de formation qui joue devant un public qui, s’il n’est pas entièrement aristocratique, suit le goût de cette
aristocratie. Or ces gens veulent avant tout être divertis, comme le proclame Don Juan à ses musiciens, à la fin de l’opéra de
Mozart.
Voi suonate amici mei Vous, jouez, chers amis
Giacche spendo i miei denari Puisque je dépense mon argent
Io mi voglio divertir1 Je veux me divertir.
(1) Don Giovanni, final de l’acte II, scène XIII, n° 11
Les symphonies de Mozart
Les premières symphonies de Mozart ressemblent beaucoup à ses divertimenti et la différence peut souvent sembler ne tenir qu’au nom. C’était du temps de Salzburg. Arrivé à Vienne, Mozart a un peu délaissé le genre et s’est surtout intéressé aux concertos
(de piano). Ses trois dernières symphonies datent de 1788 et on ne sait pas exactement pour quel type de public il les a écrites. On n’est même pas sûr qu’elles aient été exécutées de son vivant. Ce sont les plus belles selon notre goût mais précisément peut être parce qu’elles inaugurent un style différent. La Symphonie en sol mineur n’est évidemment pas une œuvre de divertissement. Elle se rattache d’un côté à la tradition expressive du Sturm und Drang, cette pointe avancée du romantisme en plein XVIIIe siècle, où s’était illustré Carl Philipp Emmanuel Bach. De l’autre, elle annonce l’esthétique de l’époque suivante, celle de Beethoven et du romantisme. La dernière symphonie de Mozart, Jupiter, représente un jalon pour la naissance d’une autre esthétique : point de romantisme cette fois, mais plus de style galant non plus. Il ne
s’agit pas de faire joli mais d’atteindre une sorte de beau universel dont le philosophe et critique allemand Édouard Hanslick fera la théorie en 1854 dans son ouvrage Du beau dans la musique. Déjà, dés l’époque de Mozart, le français Michel Chabanon2 avait fait remarquer que le monde sonore avait ses lois propres et que l’on pouvait y trouver du plaisir sans allusion à une réalité extérieure, psychologique matérielle ou descriptive. C’est ce qu’on appellera plus tard la musique pure. Ce caractère se retrouve du reste dans beaucoup d’œuvres de musique de chambre, particulièrement les quatuors. Mais, après la mort de Mozart, ce n’est pas dans cette voie que va évoluer la symphonie.
La symphonie Jupiter de Mozart n’a pas de descendance directe. Tout au plus peut-on déceler une parenté avec le groupe des
dernières symphonies de Haydn (les Symphonies dites de Londres) : même calme olympien, absence de passion violente,
contemplation de la beauté musicale pure. Gœthe louait précisément les œuvres de Haydn pour ces mêmes raisons et parce qu’elles lui donnaient un sentiment de sérénité. Certes, les symphonies de Haydn ont continué de jouir d’un grand succès au XIXe siècle mais ce public, déjà à l’époque, était d’un goût un peu rétro. La nouveauté venait de Beethoven.
(2) De la musique considérée en elle même et dans ses rapports… 1785
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Les symphonies de Beethoven
La troisième symphonie de Beethoven, l’Héroïque, a été l’élément fondateur de l’histoire de la symphonie au XIXe siècle.
On connaît l’histoire de la dédicace, écrite sur le manuscrit, puis rageusement biffée, au général Bonaparte. Mais au-delà
de l’anecdote, il y a une nouveauté révolutionnaire : il y avait eu, jusqu’alors, des musiques descriptives (les Saisons de
Vivaldi ou la Symphonie des jouets de Haydn) mais jamais une musique instrumentale n’avait tenté de raconter quelque
chose, ici les épisodes de la vie d’un héros : cette musique « héroïque » tenait à cœur à Beethoven ; on la retrouve dans
les sonates pour piano (par exemple la sonate Waldstein ou l’Appassionnata, mais aussi dans les quatuors (par exemple
les quatuors op 59 dédiés au comte Rasumovsky) où elle prend une connotation plus personnelle, la lutte d’un homme
contre son destin tragique : c’est le « Muss es sein — es muss sein » du final du seizième quatuor. C’est aussi bien sûr le cas
de la célèbre Cinquième symphonie sauf que la mention du destin qui frappe à la porte n’est pas de Beethoven luimême mais, semble-t-il, d’un de ses proches. Dans un autre genre, la Symphonie Pastorale est aussi une symphonie à
programme puisque la succession des titres et l’indication de la page de garde suggèrent une promenade dans la campagne.
Cette évolution trouvera son point culminant dans la Neuvième, qui est le couronnement de l’œuvre symphonique de
Beethoven, mais qui montre les limites du genre : la musique instrumentale peut exprimer des états d’âme mais non des
sentiments précis, encore moins des idées ; il lui faut alors le secours de la parole, ici l’Ode à la joie de Goethe. Une
symphonie à programme possède ainsi une double structure, une musicale, et une autre littéraire et dramatique. La
difficulté consiste à faire coïncider les deux — c’est tout l’intérêt du genre. Tous les compositeurs auteurs de programmes
proclament que celui-ci peut être mis de côté et que la musique peut être entendue pour elle-même. Sans doute, mais
alors pourquoi le communiquent-ils et imagine-t-on la Neuvième sans l’Hymne à la joie et la Fantastique de Berlioz sans le
sous- titre : épisodes de la vie d’un artiste ? Dans le cas de Beethoven comme de Berlioz, ce programme a été sans cesse
présent à l’esprit du compositeur au moment de la composition. Qu’il le livre ou non ensuite à l’auditeur est une autre
affaire mais n’autorise pas à en nier l’existence.
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Les successeurs de Beethoven : Franz Schubert
Beethoven a fasciné ses contemporains et ses successeurs, mais il n’était pas facile de marcher sur ses traces. Les cinq premières symphonies de Schubert reviennent à l’esprit des deux premières de Beethovence qui est normal puisqu’il n’était qu’un collégien à l’époque de leur composition. Sa neuvième se perd dans de célestes longueurs. Seule l’Inachevée est un chef-d’œuvre absolu — et inabouti. On sait depuis les recherches de Schering qu’elle puise son inspiration dans un roman autobiographique « Mein Traum » (mon rêve) que Schubert écrivait à l’époque, ce qui explique l’authenticité poignante de la musique. En ce sens, Schubert est l’héritier de Beethoven dont les combats intérieurs expliquent le caractère heurté et héroïque de son inspiration ; mais alors que les combats de Beethoven se terminent par une victoire dans la lumière, l’Inachevée exprime le tragique à l’état pur — comme le quatuor La jeune fille et la mort. En tous cas, la mort prématurée de Schubert nous prive de l’étape ultime de son évolution dans le domaine de la symphonie.
Nouveauté d'Hector Berlioz
En fait le véritable héritier de Beethoven en matière symphonique est Hector Berlioz. On a beau critiquer dans la Symphonie fantastique la grandiloquence et un certain manque d’authenticité de la trame littéraire, la musique reste superbe et entraîne l’adhésion ; comme chez Beethoven, la puissance de l’inspiration est équilibrée par le souci de la forme : malgré le thème conducteur qui s’y rajoute, le premier mouvement reste un allegro de sonate — superbement orchestré. Il en est de Berlioz comme de Victor
Hugo, les critiques ne l’atteignent pas et sa poésie reste. Berlioz n’imaginait pas une seconde que sa musique puisse-être autre chose que l’expression de ses sentiments les plus profonds, encore moins qu’elle pût être un simple jeu sonore. Il méprisait la musique de divertissement et ce qu’il restait de style galant dans les concerts de l’époque. Son admiration pour Beethoven était sans borne mais cela ne l’a pas empêché de s’engager dans une voie différente : dans la Neuvième, l’ode de Schiller est conçue comme l’aboutissement de toute l’œuvre : elle exprime ce que la musique était censée être impuissante à expliciter.
Dans sa symphonie dramatique Roméo et Juliette, Berlioz fait exactement le contraire : certes, la voix est utilisée pour fixer le
cadre et expliciter quelques notions accessoires (d’où quelques chœurs et même quelques airs confiés à des personnages
secondaires) mais l’expression des sentiments les plus profonds reste du ressort exclusif de la musique, c’est-à-dire de
l’orchestre. Celui-ci est seul habilité à exprimer l’essentiel, l’amour absolu et contrarié des deux protagonistes. Ainsi, les
personnages principaux, Roméo et Juliette, n’apparaissent-ils pas dans la symphonie, ils ne parlent pas, ne chantent pas, ne
se montrent pas, mais leur amour s’exprime uniquement dans les passages confiés à l’orchestre. Dans la scène d’amour qui
constitue le numéro trois de la partition, on entend bien au début dans un petit chœur l’écho des jeunes Capulet sortant de
la fête, mais tout le reste est confié aux instruments de l’orchestre : le grand thème de l’amour, superbe et nonchalant s’y
développe en d’incessantes variations, parfois traversées par des épisodes de récitatif instrumental qui sont censés suivre
l’évolution psychologique des personnages. Cette symphonie dramatique qui s’est affranchie du découpage en quatre
mouvements, et souvent même des sacro-saintes formes musicales, est donc tout à fait révolutionnaire :
Tout est prêt pour l’apparition du poème symphonique.
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Sur : https://claripoa.wp-corp.eu.org/symphonie-fantastique/
https://claripoa.wp-corp.eu.org/
La symphonie fantastique est un poème symphonique en 5 mouvements qui a été écrite en 1830 par Hector Berlioz, un compositeur romantique français. Elle fait partie du genre des musiques à programmes, car c'est un poème symphonique. Pour revenir sur la notion des musiques à programmes, les pièces de ce style sont inspirées d'un texte, qui peut être un poème, une histoire etc. Comme autres pièces de ce style, on retrouve Les Quatres Saisons de Vivaldi, basée sur un sonnet, ou encore La Moldau de Smetana.
Et donc, que raconte cette symphonie fantastique ? Dans un premier lieu, il faut savoir que l'histoire est inspirée de la vie de Berlioz. Ensuite, pour faire un résumé rapide, c'est un histoire d'amour qui part très très mal. Pour rajouter plus de détails, on suit un jeune compositeur qui rencontre au loin une jeune fille. Il tombe amoureux au premier regard et en fait son idéal, sa muse. Il pense toujours à elle, mais malheureusement ce n'est pas réciproque, et l'artiste sombre dans le désespoir. Il essaye donc de se donner la mort avec de l'opium, mais la dose étant trop faible, il n'en meurt pas et commence à délirer. S'en suit des cauchemars d'exécution ou la jeune fille apparait, mais caricaturée. Tout cela fini dans une dernière allucination où il se retrouve au milieu d'un sabbat, entouré de démons et sorcières, riants et dansants.
Musicalement, comment tout cela est retranscrit ? Tout d'abord, la jeune fille est représentée par un thème. On le retrouve tout au long de l'oeuvre, interprété par divers instruments, et plus ou moins modifié. On appelle ce thème une idée-fixe, ou leitmotiv. Ensuite, il faut savoir que l'histoire se déroule dans plusieurs scènes différentes, et donc des "styles" musicaux différents. Par exemple, on a dans le 2ème mouvement un bal, et ce mouvement est une valse, qui est bien une danse de bal. Ou encore, le 3ème mouvement se déroule à la campagne, et c'est un pastorale, qui est un terme assez large désignant un pièce à caractère bucolique et champêtre. En outre, on retrouve de nombreux petits détails assez compliqués à expliquer sans musiques, mais qui rajoute une ambiance dans le morceaux, notamment dans les deux derniers mouvements.
Personnellement, mes mouvements préférés resteront les 2, 4 et 5ème. Si le deuxième est très romantique, les deux derniers sont beaucoup plus terrifiants et démoniaques, car ils traitent des allucinations du jeune musicien. On y retrouve plein de sonorités et techniques différentes. Par exemple, vers le début du 4ème mouvement il ya une fugue. C'est une forme d'écriture musicale (merci wikipédia pour la formulation exacte), qui met en scène un thème, le sujet, et des contrechants, les réponses. C'est plus imple à expliquer en schéma, donc voici un super dessin :
Sur le schéma, chaque ligne correspond à un instrument/groupe d'instrument. On a donc a chaque fois le sujet et la réponse simultanément. Après la structure de la fugue peut se complexifier d'avantage, avec des contre-sujet et des contre-réponses. Comme exemple assez connu de pièce avec une fugue, il y a le 2ème mouvement de la 3ème symphonie de Beethoven. Je vous conseille aussi cette oeuvre, elle est vraiment magnifique.
A propos du dernier mouvement, c'est un peu du gros n'importe quoi on va pas se mentir, mais y'a plein de petits détails. Par exemple des rires de monstres, et même un thème du Dies irae, qu'on retrouve normalement dans les requiems (musique de messe lors des enterrements ou des cérémonies des morts). Interprété au glas, qui sont des grosses cloches, ce thème rajoute un ambiance pesante dans le mouvement.
Sur : https://claripoa.wp-corp.eu.org/symphonie-fantastique/
https://claripoa.wp-corp.eu.org/
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Le poème symphonique
Le genre poème symphonique n’a pas très bonne presse. Il ne s’est jamais tout à fait remis des attaques du critique allemand Hanslick, dont nous parlerons dans un instant. Pourtant, il est bien l’aboutissement de la tradition de Beethoven et de Berlioz et, bien qu’il s’affranchisse de la structure symphonique traditionnelle en quatre mouvements, il reste encore,dans la plupart des cas, solidement construit sur le plan musical. Certes, il se présente au premier abord sous une forme en un seul mouvement (où circulent les mêmes thèmes) mais on y reconnaît facilement la succession de tempi en usage dans
les symphonies. Ainsi dans le plus célèbre d’entre eux, Les Préludes d’après Lamartine, on entend d’abord une introduction
lente bi-thématique sur un tempo modéré, puis un andante qui constitue la première partie consacrée à l’amour sur un
thème nouveau. Vient ensuite un allegro ma non troppo (la tempête) sur la cellule de base du thème de l’introduction sans
cesse transformé. La partie centrale allegretto pastorale correspond à la partie lente d’une symphonie traditionnelle. Le tout
s’achève sur un final conclusif, où se retrouvent transformés, sous une forme martiale et héroïque (encore Beethoven), les
thèmes principaux entendus précédemment. Tout cela est parfaitement construit mais, il est vrai, superposé à une trame
littéraire et poétique.
C’est là que se situe le point de rupture avec Hanslick qui, dans son ouvrage célèbre Du beau dans la musique affirme que la musique n’est pas faite pour exprimer des sentiments, mais qu’elle est un simple jeu de formes sonores en mouvement. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans une querelle de fond qui a rebondi au XXe siècle avec les propos de Stravinski et de Boulez. Hanslick a eu le mérite de postuler l’autonomie absolue de la musique en tant qu’art majeur. Reconnaissant qu’elle pouvait aussi véhiculer des sentiments ou des images (ce qui était le cas de toute la musique de son temps), il affirme avec force que ce n’est pas là sa fonction principale. Tout le monde aujourd’hui est à peu près d’accord sur ce point — sauf que lui-même et ses successeurs n’ont pas cessé d’en tirer des conclusions excessives et erronées : Hanslick a condamné les poèmes symphoniques de Liszt, la musique de Wagner, de Berlioz et les symphonies de Bruckner, mais aussi, on pourrait dire par ricochet, la musique de Schumann, Schubert et même Beethoven… En rejetant les plus grands musiciens de son temps, Hanslick est devenu le porte-drapeau d’une critique formaliste et réactionnaire. Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’on lui rende justice, en séparant chez lui le théoricien visionnaire du polémiste rétrograde. Nouveauté de Bruckner N’en déplaise à Hanslick, Bruckner est le plus grand symphoniste de son temps, bien devant Brahms dont le domaine de prédilection est plutôt la musique de chambre. Hanslick s’est complètement trompé dans son parallèle entre Bruckner et Brahms. Il n’a voulu voir en ce dernier qu’un représentant du classicisme et du formalisme — ce qu’il n’est pas — tandis qu’il n’a pas saisi l’originalité absolue de l’univers sonore de Bruckner.
Plus d’un siècle après sa mort, Bruckner reste encore largement méconnu. Certes, on s’est mis depuis quelques années à le jouer plus souvent, dans le sillage de son successeur Mahler plus populaire. Mais la compréhension et l’interprétation de son œuvre restent problématiques. Les quatre notices (dans des langues différentes) qui préfacent l’enregistrement de l’intégrale des symphonies dirigées par Georg Solti sont révélatrices de cette diversité de jugements. Certes toutes les quatre sont d’accord sur les questions techniques de base : toutes soulignent l’importance de trois éléments
fondamentaux : 1/ l’écriture contrapuntique des maîtres de la Renaissance, enseignée par son maître Sechter, 2/ l’influence de la musique romantique d’avant garde du XIXe siècle (Berlioz, Schubert, Liszt), 3/ la fascination exercée par Wagner ; mais cela ne suffit pas à rendre compte de l’originalité absolue de la musique de Bruckner dans ce qui vient de son propre fond. Selon Marc Audus (notice anglaise) Bruckner serait une sorte
d’homme tranquille conforté par sa foi chrétienne, qui, dans l’admiration qu’il éprouvait pour Wagner aurait éliminé l’élément dramatique de ses opéras pour n’en conserver que l’élément lyrique, chantant et quasi contemplatif. Cette conception est contredite,
non seulement par ce que nous savons sur la personnalité de Bruckner qui était d’un tempérament inquiet et dépressif, mais aussi surtout par l’étude de ses partitions : il y a dans la Cinquième symphonie un côté manifestement héroïque et Beethovénien, qui transcrit dans le domaine sonore le combat de l’ombre et de la lumière. Le même phénomène se produit dans la Sixième. Mais il est vrai que les choses changent dans les
deux dernières. La Huitième symphonie, qui a tellement déconcerté le chef Hermann Lévy qu’il a refusé de la diriger, rompt avec les processus traditionnels. Dans le premier mouvement la forme sonate se dissout jusqu’à
devenir imperceptible. Il y a bien un thème mélodique caractérisé (le deuxième) qui alterne avec des fanfares menaçantes, mais .cette opposition ne se résout pas, elle reste statique et ne s’organise pas suivant la logique de la dramaturgie Beethovenienne. Le mouvement se termine pianissimo, dans le silence ; Bruckner a écrit en marge de la partition Totenuhr, c’est à dire glas… là encore il y a sans doute un programme non révélé. Cette- -composition par grands blocs, souvent séparés par des silences, se retrouve aussi dans l’adagio de la Neuvième, le dernier mouvement achevé du cycle des neuf symphonies, qui finit aussi dans la nuance piano sur un accord de MI majeur parfaitement apaisé. Cette conclusion est d’autant plus remarquable qu’elle vient après le déchaînement d’énergie du scherzo, dont le martèlement semble décrire l’explosion de forces telluriques primaires. Peut-être le final, resté à l’état d’ébauche, aurait-il révélé le lien ?
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Par ROBERT FAJON sur :
https://amisdufestival-aix.org/wp-content/uploads/2017/02/Lettre-2016-6.pdf
Les symphonies de Gustav Mahler
Lors de la catastrophe de la Troisième symphonie de Bruckner où tous les assistants étaient sortis de la salle après avoir copieusement sifflé, seules quelques personnes étaient restées parmi lesquelles le jeune Gustav Mahler. Grand admirateur de Bruckner, Mahler peut apparaître comme son successeur naturel, bien que sa musique soit assez différente. Mahler est, dans une certaine mesure, plus facile à saisir pour l’auditeur, ne serait-ce que parce qu’il a décidé, au moins pour ses quatre premières symphonies, de divulguer ses programmes. Un programme n’est pas, comme certains critiques se plaisent à l’affirmer, une béquille destinée à un auditeur qui serait incapable de goûter un plaisir purement sonore, c’est aussi une précieuse indication sur les intentions profondes du compositeur. Schœnberg lui-même exigeait de ses élèves qu’ils eussent dans leur tête un schéma dramatique préalable à la composition de toute œuvre musicale. Ce schéma, quand il est connu, est évidemment une clé pour l’écoute de la musique. Il n’est pas indifférent de savoir que le premier mouvement de la Première symphonie de Mahler s’intitulait au départ Souvenirs de jeunesse et qu’il s’inspire d’une promenade en forêt dans les environs de Vienne, ce qui explique les nombreuses allusions aux bruits de la nature et le thème du promeneur, qui est bien sûr le jeune Mahler lui-même. Une deuxième source sur les intentions de Mahler nous est fournie par les textes associés d’une façonou d’une autre à sa musique. Par exemple, le thème du promeneur nonchalant du premier mouvement de cette symphonie provient de la deuxième mélodie du cycle Lieder des fahrenden Geselle : (Chants du compagnon errant). Il suffit donc de se reporter au texte :
Ce matin je suis allé à travers champs
La rosée était encore suspendue au brin d’herbe
Le joyeux pinson me lança
Hé là, toi, bonjour !
Hé là toi n’est-ce pas vrai ?
Le Monde n’est-il pas beau ?
Claironne-le joliment et lestement !
On peut bien sûr arguer du fait que Mahler a supprimé ensuite ce programme (six ans après !) mais la mélodie reste, ainsi que le
texte qui lui sert de support. De même, le Ländler du deuxième mouvement s’inspire d’un thème du cycle Hans und Grethe de 1880. En combinant les deux sources, on aboutit à une sorte de philosophie en musique. Le programme de la Troisième, qui est inscrit sur la partition, avait pour but d’évoquer les principales étapes de la création du monde : 1/ les forces telluriques, 2/ la végétation, 3/ des animaux, 4/ la naissance de l’homme (chanté sur un texte tiré du Zarathoustra de Nietzsche), 5/ les anges (texte chanté tiré du Knabenwunderhorn), 6/ l’amour. À partir de sa Cinquième symphonie (1901–1902) Mahler abandonne la publication de programmes et il revient vers les formes classiques, mais il ne change pas de personnalité pour autant. Nous abordons ainsi la troisième source d’informations extramusicales sur les symphonies de Mahler : les éléments autobiographiques. À un visiteur qui admirait la beauté du site où était située la villa de Mahler au bord du lac Wörthersee, Mahler aurait répondu « J’ai déjà décrit cela dans mes symphonies ». Peut être peut-on relier ces propos à l’atmosphère idyllique et apaisée de l’adagietto de la Cinquième symphonie. Mahler lui-même considérait que sa Sixième symphonie était la préfiguration des malheurs qui devaient s’abattre bientôt sur lui. Ceci s’affiche dans sa Neuvième et dernière symphonie. Il n’est pas besoin d’un programme pour comprendre que le dernier mouvement, simplement noté adagio, exprime le désespoir et la résignation d’un homme brisé : le thème unique tournoie comme une idée fixe maléfique qui finit par s’éteindre dans le silence et le néant.
La symphonie après Mahler
À la mort de Malher en 1911, s’achève la grande période de la symphonie. Celle-ci avait été le porte-drapeau de la musique allemande mais, désormais, les grands compositeurs la délaissent. Ni Debussy, ni Ravel, ni Bartok n’ont écrit de symphonies. C’est le grand maître de la musique d’avant-garde, Arnold Schönberg, qui a donné le coup de grâce à la symphonie en créant
le concept de symphonie de chambre. Pour les expériences dont il rêvait, la symphonie traditionnelle était devenu un genre trop lourd et difficile à manier. Il lui fallait un cadre plus simple et plus léger : seul un orchestre composé d’un petit nombre de solistes -est à même de réussir les performances qu’il exigeait ; encore fallait-il aussi se débarrasser de l’emphase du pathos romantique. Mais, même ainsi rénové, le genre n’a pas dû lui paraître satisfaisant, puisqu’il l’a abandonné après la première Symphonie de chambre (1906). La Deuxième, commencée la même année, ne sera achevée… qu’en 1940. Il est vrai que l’époque n’était pas
favorable. L’esthétique du Groupe des six dont Cocteau était le chantre, prône un retour à la musique de divertissement. On ira même jusqu’à créer une musique dite d’ameublement. On est aux antipodes de Mahler. Seul, Arthur Honegger poursuivit un temps l’écriture de symphonies néo-romantiques sur le modèle beethovénien de l’opposition de l’ombre et de la lumière.
Les symphonies néo-classiques
Puisque l’on rejette le romantisme, la logique veut que l’on revienne au classicisme : ainsi est né, dans les années vingt, l’esthétique
dite néo-classique, dont Stravinsky s’est fait le théoricien et le chantre, en particulier dans son ouvrage Poétique musicale. Le propos de base revient à la vieille théorie de Hanslick : la musique est un pur jeu de formes en mouvement et ne doit pas chercher à exprimer quelque état d’âme ou sentiment que ce soit. Dans son ouvrage Dialogues and diary d’Igor Stravinsky et Robert Kraft, le compositeur, parlant de sa symphonie en ut (1938) se vante de l’avoir tenue à l’écart des événements tragiques de sa vie cette année-là : « Je n’ai pas cherché, dit-il, à surmonter mon chagrin en le dépeignant ou en l’exprimant en musique, c’est en vain que vous y chercherez des traces d’émotions personnelles ». Cette profession de foi est respectable mais on peut aussi se demander ce que l’auditeur y a gagné. Les symphonies de Haydn ou de Mozart n’expriment pas (ou peu) les sentiments personnels de leurs auteurs, mais elles sont portées par un contexte culturel où l’enthousiasme, la joie de vivre et l’esprit de divertissement débordent de toutes parts. Mais ce contexte n’existe plus en plein XXe siècle. On peut le regretter et faire çà et là quelques pastiches. Stravinsky lui-même l’a fait dans Pulcinella (qui n’est pas une symphonie mais une suite) et Poulenc dans le mouvement lent de son Concerto pour deux pianos. Ce sont des moments nostalgiques et décalés, pleins de charme, mais rien de plus. Des trois œuvres qui portent le titre de symphonie chez Stravinsky, seule La Symphonie de psaumes (1930) est un chef-d’œuvre. Mais, pour autant, ce n’est pas une vraie symphonie, parce qu’il y a les textes.
Stravinsky a beau tenter d’en dissimuler le sens sous le latin, ils reviennent d’autant plus fort. Après tout, les Psaumes comptent parmi les textes les plus importants de la civilisation occidentale.
Restent les épigones et les écoles nationales : dès le XIXe siècle, des compositeurs de ces écoles (Bartok excepté) ont voulu montrer
qu’ils pouvaient s’attaquer au grand genre de la symphonie. Dvorak (1841-1904), Grieg (1843-1907), Sibélius (1867-01957) et bien sûr
Tchaikowsky (1840-1893) ont écrit des symphonies, parfois en assez grand nombre, dont certaines sont de vraies réussites. Mais elles sont trop nombreuses pour pouvoir être détaillées ici. Et il y a aussi les quinze symphonies de Chostakovitch dont on a prétendu qu’elles étaient dans la lignée de Mahler… C’était du temps de l’ex URSS où l’autorité absolue du politique sur le musical jette une certaine suspicion sur la production…
Darius Milhaud a écrit sa première symphonie en 1939. Pourquoi si tard, alors que le compositeur s’était éloigné depuis longtemps de
l’esthétique légère du Groupe des six ? Mystère ! Les symphonies trois (Te Deum 1946) et quatre (commémoration de la révolution de
1848) sont des commandes du gouvernement français qui voulait associer un grand compositeur français à la commémoration des
grands événements de la République. Milhaud reprend la composition de symphonies en 1953, avec la Symphonie numéro cinq. On est en pleine époque du sérialisme triomphant (Le Marteau sans maître de Boulez date de 1954). Milhaud veut montrer que son système d’écriture est capable de perpétuer la tradition des grands genres. Combat difficile : seule la huitième (Rhodanienne) est encore jouée de nos jours. C’est aussi la seule qui se rattache à l’inspiration méditerranéenne, domaine de prédilection du
compositeur. Milhaud explique dans ses mémoires intitulés Ma vie heureuse qu’il a voulu faire pour le Rhône ce que Smetana avait fait
pour la Moldau. Cette symphonie penche donc, bien qu’il n’y ait pas de thème cyclique, du côté du poème symphonique. La
dernière symphonie de Milhaud date de 1961.
Ultime symphonie : la Turangalila d'Olivier Messiaen
Du côté de l’avant-garde, le genre n’avait pas bonne presse, considéré comme l’incarnation de tout ce qui est à rejeter
ou à rénover dans la musique du passé. Mais il y a une exception, la Turangalila symphonie de Messiaen. On ne sait pas
très bien ce que signifie Turangalila : lila veut dire jeu dramatique, ga qui va vers, turan signifie qui va aussi vite qu’un
cheval au galop (à moins qu’il ne s’agisse d’un mode peu connu de la musique indienne) Messiaen lui-même semble
avoir choisi le mot plutôt pour sa sonorité ronflante.
La Turangalila est une œuvre de synthèse : écrite dans le style si particulier de Messiaen avec son harmonie modale et ses rythmes non rétrogradables, elle est aussi un hommage non seulement à Wagner, avec l’allusion au mythe de Tristan et Yseut, mais à Debussy qui prêtait à la musique le pouvoir de symboliser l’harmonie de l’univers. Il n’y a pas de programme, mais, comme dans la Pastorale de Beethoven, les titres de mouvements parlent d’eux-mêmes. Nous en extrayons deux pour la beauté des noms :
Le numéro six : Joie du sang des étoiles et le numéro huit : Jardin du sommeil d’amour. Ces titres se passent de commentaire…
Conclusion
En ce début du XXIe siècle, la situation du genre symphonique est paradoxale : d’un côté il n’y a jamais eu, dans le monde, autant de bons orchestres symphoniques ou philharmoniques et, sans doute, jamais autant de concerts où les symphonies se taillent la part du lion — concerts abondamment diffusés par les radios et les chaînes TV spécialisées, ce qui signifie un public toujours plus nombreux. Mais toutes ces œuvres appartiennent au répertoire, il n’y a pas de création. Cette situation se limite à la seule symphonie, car la sonate et même le quatuor à cordes se portent mieux. Mais la symphonie croule sous le poids de son passé. Comment évoluera ce paradoxe, c’est le secret de l’avenir.
Amis du Festival d'Art Lyrique d'Aix en Provence : http://amisdufestival-aix.org/
Lettre d'information n° 6 du 11 octobre 2016
Françoise Gautier et Olivier Braux :
francoise.lormant.gautier@gmail.com o.braux@orange.fr
Le 10 février 2008 par Pierre-Jean Tribot Sur: https://www.resmusica.com/2008/02/10/le-phenomene-turangalila-dolivier-messiaen/
C’est le « tube » symphonique du compositeur, sa pièce la plus célèbre et la plus jouée et l’une des très rares partitions composée après 1945 qui s’est imposée au répertoire et qui soulève d’enthousiasme une salle de concert à chaque exécution. Tout au long de l’année Messiaen 2008, la pièce sera fêtée d’Aix-en-Provence où se déroula la première audition française (1950) à New-York, sans oublier le festival de Salzbourg qu’elle clôturera sous la conduite de Simon Rattle à la tête du Philharmonique de Berlin. La partition fut même chorégraphiée avec grand succès par Roland Petit pour l’Opéra de Paris (1968). *(1)
1. Présentation générale
La partition est le résultat d’une commande du grand chef d’orchestre Serge Koussevitzky et de l’orchestre symphonique de Boston. Le musicien russe avait laissé carte blanche au compositeur pour qu’il rédige la partition de son choix. La composition s’étala de juillet 1946 à novembre 1948 et la première audition triomphale se déroula à Boston en décembre 1949 sous la baguette de Leonard Bernstein et avec Yvonne Loriod, la future épouse du compositeur au piano et Ginette Martenot aux ondes Martenot.
Le titre de Turangalîla est une association de deux mots sanscrits, qui ne présentent aucun sens littéral simple. « Turanga » désigne « Temps qui court comme à cheval au galop » ou « temps qui s’écoule comme le sable d’un sablier », le tout avec l’idée de mouvement et de rythme. « Lîla » caractérise « jeu » ou « amour ». On peut résumer le sens général de l’œuvre par « hymne à la joie » ou « chant d’amour ». Pour le compositeur, cet amour est à mettre dans la lignée du philtre qui unit à jamais Tristan et Yseult. Dans cette seconde moitié des années 1940, Messiaen travaille ce célèbre mythe et il est judicieux de replacer la Turangalîla-symphonie au sein d’une trilogie débutée par le cycle de mélodie Harawi de 1945 puis complétée par les Cinq Rechants pour chœur a capella de 1948.
La partition exige un imposant orchestre symphonique, un piano solo et des ondes Martenot. Ce dernier instrument, inventé par Maurice Martenot en 1928, offre un son particulier et intense que Messiaen a utilisé à de nombreuses reprises. La redoutable partie pour piano seul se caractérise par ses longues cadences qui précèdent les apogées. L’instrumentation fait la part belle aux cuivres et aux percussions. Outre les cors, trombones et tuba, la section est renforcée d’une large palette de trompettes : de la petite trompette en ré, aux trompettes en ut, sans oublier le cornet en si bémol. Le groupe de percussions est des plus imposants. Trois claviers, jeu de timbre, célesta et vibraphone jouent un rôle assez proche des gamelans indous des îles de la Sonde. La batterie qui regroupe : triangle, temple block, wood-block, petite cymbale turque, cymbale, cymbale chinoise, tam-tam, tambour de basque, maracas, tambourin provençal, caisse claire, grosse caisse et huit cloches en tube, exécute de véritables contrepoints rythmiques.
La symphonie est construite autour de quatre thèmes. Le premier est le « thème statue », il évoque pour le compositeur « quelque statue terrible et fatale » ; il est reconnaissable par ses accords massifs. Le second thème, est intitulé « thème fleur » en raison de la forme délicate et arrondie de ses lignes, un peu à la manière de certaines fleurs comme « la tendre orchidée, au décoratif fuchsia, au glaïeul rouge, au volubilis trop souple ». Le « thème d’amour » est une association des deux premiers thèmes alors que le « thème d’accords » ne renvoie à aucune signification particulière ; il est un groupe d’accords découpés en sept parties souvent combinés à d’autres motifs. La pièce se décompose en dix mouvements divisés en trois grands groupes. Le premier est constitué des mouvements n°2, n°4, n°6 et n°8, il a pour thème l’amour et emploie souvent le « thème amour ». Le deuxième groupe, plus sombre et plus noir dans ses teintes, est constitué des trois mouvements intitulés Turangalîla (les mouvements n°3, n°7 et n°9). Enfin les mouvements n°5 et n°10 ressemblent à des scherzos et ils concluent avec éclat les deux moitiés de la symphonie. Le premier mouvement « introduction » est le seul de son espèce.
2. Les différents mouvements
L’Introduction se décompose en deux parties unifiées par une cadence pour piano. Le « thème-statue » et le « thème amour » sont exposés dans la première partie. Un second temps propose une superposition de couches rythmiques entraînant l’oreille dans une véritable transe collective.
La structure « couplet-refrain » du Chant d’amour 1 nous est présentée par Messiaen : « le refrain alterne toujours deux éléments totalement contrastés de tempo, de nuance, et de sentiment. Le premier élément est un motif rapide, fort et passionné, des trompettes. Le deuxième élément est un motif lent, doux et tendre des ondes Martenot et des cordes ».
Trois thèmes sont au centre de Turangalîla 1. La clarinette et les ondes Martenot introduisent le premier thème ; les bassons, trombones et contrebasses présentent ensuite le second thème qui contraste par ses pulsions violentes avec le premier thème. Les cordes marquent un retour du premier thème qui est aussitôt enchaîné par le troisième thème qu’expose le hautbois. Une dernière partie principale surexpose les deux premiers thèmes et une coda reprend des fragments du troisième thème.
Le Chant d’amour 2, s’apparente à une sorte de scherzo avec deux trios. Le « thème fleur » et le « thème statue » sont exposés à la fin du mouvement alors que le compositeur se joue des formes classiques : son trio enchaîne les deux parties qui sont ensuite superposées.
Dans le Jardin du sommeil d’amour, les « deux amants sont enfermés dans le sommeil de l’amour. Un paysage est sorti d’eux. Le jardin qui les entoure s’appelle Tristan, le jardin qui les entoure s’appelle Yseult. Ce jardin est plein d’ombres et de lumières, de plantes nouvelles, d’oiseaux clairs et mélodieux. Le temps s’écoule, oublié. Les amoureux sont hors du temps : ne les éveillons pas ». Tout est apaisé et suggestif alors que les couleurs orientales parfument cette évocation mystique et mythique des deux amants.
Turangalîla 2 est le mouvement le plus bref de l’œuvre et le plus sombre. Il exprime douleur et mort. Une cadence de piano introduit un thème principal auquel s’oppose un passage d’ondes Martenot et trombones. Pour le compositeur, il s’agissait d’un éventail qui se referme à la fin du mouvement avec une nouvelle exposition du « thème statue » par les cuivres avant qu’un fortissimo de la grosse caisse vienne clore avec puissance la partie.
Le Développement de l’amour reprend les thèmes principaux mais l’on peut repérer une prédominance du « thème amour » qui s’avère interrompu par des « explosions », à la longueur variable, qui symbolisent Tristan et Yseult transcendés.
Des variations sur le premier thème sont au cœur de Turangalîla 3 alors que les instruments à percussions jouent des couches rythmiques d’une grande complexité pendant tout le mouvement.
De forme sonate, l’explosif et jubilatoire Final est une variation sur le premier thème. Il se termine par une implacable coda.
3. Une discographie sélective
La discographie comporte 15 versions, ce qui pour une œuvre contemporaine découle presque du phénomène de société. Le premier enregistrement date de 1951, l’excellent Hans Rosbaud dirige avec tact et maestria son orchestre de la Radio de Baden-Baden (Wergo) rompu à la musique contemporaine. En dépit d’une technique sonore précaire, il s’agit d’un jalon important de la discographie. En 1961, Maurice Le Roux office à la tête d’un orchestre de la RTF (Accord) assez dépassé par les évènements. Créateur de Saint François d’Assise, Seiji Ozawa a gravé une version considérée comme historique à la tête de l’Orchestre symphonique de Toronto (RCA). Si l’inspiration du chef fait le prix de ce disque, on entendra beaucoup mieux orchestralement au fil des années 1980-1990. Deux jeunes chefs firent forte impression dans les années 1980 dans la Turangalîla : Esa-Pekka Salonen qui signait à la tête du Philharmonia de Londres l’un de ses premiers disques (Sony) et Simon Rattle avec son orchestre de Birmingham (EMI). L’actuel chef du Philharmonique de Berlin prend son temps et témoigne, comme toujours, d’une très grande attention portée aux détails. Les mouvements lents, presque extatiques s’avèrent très planants ; on regrette juste un manque d’impact dans les mouvements rapides. Auréolé de nombreux prix à sa sortie, le disque de Salonen est excellent et frénétique, mais on sent que le chef serait capable d’encore plus lâcher ses troupes. Le manque d’impact est aussi un défaut de la version de
Myung-Whun Chung et de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Les années 1990 furent marquées par deux grandes interprétations : celles de Riccardo Chailly et du Concertgebouw d’Amsterdam et d’Antoni Witt et l’Orchestre de la Radio polonaise. La précision de l’Orchestre d’Amsterdam, la technique phénoménale des cuivres et des vents permettent au chef italien de pulvériser les tempi et de faire de cette œuvre une danse jubilatoire. Jean-Yves Thibaudet tient le coup et livre une prestation hors norme et la prise de son Decca magnifie cette interprétation qui prend évidement place aux sommets de la discographie. Grand chef, hélas assez peu reconnu, Antoni Witt compose lui aussi une interprétation, plus lente, mais tout aussi pertinente avec un orchestre que l’on n’attendait pas à un tel niveau.
Les différentes autres versions méritent toutes une écoute : André Prévin (EMI), Marek Janowski (RCA), Yann-Pascal Tortelier (Chandos) et Kent Nagano (Teldec) dans une discographie qui ne compte aucun échec retentissant. Nous n’avons pas pu entendre les versions gravées par Louis de Froment et l’Orchestre de la RTL de Luxembourg (Forlane) et de Hans Vonk enregistrée en concert avec l’Orchestre Symphonique de Saint-Louis (Pentatone). On espère vivement que cette année Messiaen débouchera sur de nouvelles réussites discographiques par des chefs qui possèdent cette partition à leur répertoire : Zubin Metha, Mariss Jansons, Ingo Metzmacher, Pascal Rophé, Yakov Kreizberg, Sylvain Cambreling.
Orientation discographique
les versions mentionnées ci-dessous sont celles encore disponibles dans les bacs des disquaires. Il est cependant possible de compléter sa discographie en téléchargeant sur les plates formes légales d’autres interprétations.
Jean-Yves Thibaudet, piano ; Takashi Harada, ondes Marteno1 Orchestre royal de Concertgebouw d’Amsterdam, direction : Riccardo Chailly. 1 CD Decca. Référence : 436 626-2.
François Weigel, piano ; Thomas Bloch, ondes Martenot1. Orchestre de la Radio Nationale Polonaise, direction Antoni Wit. 2 CD Naxos. Référence : 855447879
Peter Donohœ, piano ; Tristan Murail, ondes Martenot1. City of Birmingham Symphony Orchestra, direction : Sir Simon Rattle. 2 CD EMI. Référence : 7243 5 86 525 2 9 (également présent sur le DVD Leaving home – Orchestral Music in the 20th Century vol. 2 « Rythm »)
* (1) En dépit du grand succès de ce ballet, Olivier Messiaen en avait interdit toute reprise
Crédit photographique : Olivier Messiaen / DR, Ondes Martenot1 /DR, Temple-Block/DR
Mots-clefs de cet article
Dossier Focus sur une œuvre musicale Olivier Messiaen
Le 10 février 2008 par Pierre-Jean Tribot Sur: https://www.resmusica.com/2008/02/10/le-phenomene-turangalila-dolivier-messiaen/
Maurice L. E. Martenot ; Maurice du Breuil
1930-1934 Neuilly-sur-Seine / France / Europe E.982.9.1 sur :
https://pad.philharmoniedeparis.fr/0162041-ondes-martenot.aspx?_lg=fr-FR
Figurant parmi les tout premiers instruments de musique électronique, les Ondes Martenot ont traversé l’ensemble du XXe siècle et restent aujourd’hui utilisées dans les films, les chansons de variété et la musique savante (Honegger, Messiaen, Jolivet, mais aussi Brel, Radiohead, Yann Tiersen y ont recouru).
Inventées par Maurice Martenot, les Ondes Martenot furent présentées pour la première fois à l’Opéra de Paris en 1928. Violoncelliste et opérateur radio pendant la guerre 14-18, Maurice Martenot crée cet instrument avec à l’esprit certaines caractéristiques du jeu des instruments à cordes frottées.
Instrument monodique, l’onde ne peut émettre qu’une seule fréquence à la fois. Dès la deuxième version de l’instrument, l’Onde Martenot ressemblait à une simple boîte au-devant de laquelle courait un ruban souple, mobile, actionné à l’aide d’une bague (dans laquelle se loge l’index de la main droite de l’ondiste) et qui était reliée à un potentiomètre. Le musicien avait alors pour seul appui une tablette saillante sur laquelle était figuré un clavier. Ce modèle – bien que sensiblement différents du tout premier – n’exploitait donc que le « jeu à la bague », ou « jeu au ruban », qui produit des timbres proches de la voix, ainsi que des effets de legato et de glissando.
L'instrument du Musée de la musique
Description
Cette Onde, mise au point entre 1930 et 1934, ne comporte qu’un seul « diffuseur », mobile, renfermant deux haut-parleurs. Deux autres diffuseurs (un « métallique » comportant un gong et l’autre « palme », traversé de vingt-quatre cordes) seront adjoints aux modèles construits dans les années cinquante.
Dans la caisse, à gauche, un tiroir contient les jeux de timbres, ainsi que la touche d’expression et d’intensité. Réagissant aux pressions les plus infimes, celle-ci permet d’émettre le son en modulant finement les paramètres de jeu (attaques, nuances). Au niveau du fronton, un petit disque mobile noir, horizontal, raccordé à un voltmètre, permet de régler l’accord de l’Onde.
Présentation
Ondes créées en collaboration avec Maurice du Breuil.
Description
Instrument monodique. Faux clavier de 7 octaves. Enceinte constirtuée d'un haut-parleur (modèle A) et d'un diffuseur (modèle B). 1 tiroir à gauche contenant les jeux de timbres. Disque mobile raccordé au voltmètre. Meuble en bois clair. 4 pieds.
Dimensions
Longueur totale 1220 mm. Epaisseur 240 mm. Largeur 500 mm.
Acquisition
Achat - 12/1982
Localisation au Musée
Espace XXe - L'accélération de l'histoire
Documentation
Livre(s)
Acquisitions récentes 1982 - 1984, catalogue de l'exposition - Pierre Abondance, François Arné, Josiane Bran-Ricci, [et al.]
Aux origines du musée de la Musique, les collections instrumentales du Conservatoire de Paris : 1793-1993. - Florence Gétreau
Good vibrations : eine Geschichte der elektronischen Musikinstrumente - Conny Restle, Benedikt Brilmayer
Echos : 100 trésors du Musée de la musique - Textes de Philippe Bruguière, Jean-Philippe Echard, Alexandre Girard-Muscagorry, Christine Laloue, Thierry Maniguet, Marie-Pauline Martin, Stéphane Vaiedelich
Article(s)
Une invention "essentiellement française" : seeing and hearing the Ondes Martenot in 1937 - Peter Asimov
Autre(s) Ressource(s)
Les premiers instruments électroniques, Une histoire générale de cet instrument, illustrée d'images et de musique. Les instruments du Musée de la musique fournissent des sources précieuses.
Les incontournables du musée : Ondes Martenot de Maurice Martenot - Musée de la musique
Biographies
FACTEUR
Martenot, Maurice L. E. (1898-1980)
FACTEUR
Breuil, Maurice du
Maurice L. E. Martenot ; Maurice du Breuil
1930-1934 Neuilly-sur-Seine / France / Europe E.982.9.1 sur :
https://pad.philharmoniedeparis.fr/0162041-ondes-martenot.aspx?_lg=fr-FR
Le 28 févr. 2022 Par Clément Holvoet
Sur : https://www.rtbf.be/article/pourquoi-les-symphonies-de-mahler-ont-elles-tant-marque-lhistoire-de-la-musique-10935724
Clément Holvoet s’intéresse à Gustav Mahler et plus particulièrement à ses Symphonies. Très connues et très écoutées, les Symphonies de Mahler constituent un corpus essentiel à l’histoire de la musique, elles sont représentatives du grand art de l’orchestre symphonique et d’une recherche profonde sur ce genre de composition.
Elles sont au nombre de 10, 9 symphonies sont achevées et la 10e, en fa dièse majeur, n’a pour elle que son premier mouvement, puisque Mahler décède avant de la terminer. L’histoire de ces 10 Symphonies s’étale sur 22 années, entre 1888 et 1910. Dans cette série en 10 épisodes, Clément Holvoet va vous raconter leur histoire.
La Première symphonie
Commençons par l’histoire de la Première Symphonie qui débute vers 1885, Mahler est alors âgé de 25 ans. Il commence là l’écriture d’une œuvre qui oscille entre Symphonie et poème symphonique, empli de nouveautés formelles et stylistiques. Ce qu’il tente là est radicalement différent de ce qu’on peut entendre à la même époque, il expérimente, et il faut bien dire, révolutionne le genre de la Symphonie.
Cette première symphonie est un hymne gigantesque à la nature et à sa puissance. Jusque-là brillant chef d’orchestre, Mahler devient subitement compositeur, il peut enfin s’exprimer. Sa première Symphonie est sous-titrée “Titan” et marque résolument une rupture dans le parcours du jeune Mahler, mais aussi dans le fil de l’histoire, cela annonce Stravinsky, entre autres. Elle fut créée en 1889 à Budapest et est formée de 4 mouvements, bien que la pièce connut plusieurs versions et révisions par son compositeur.
C’est une pièce épique, tumultueuse qui a l’époque a choqué les auditeurs. Ils perdent leurs repères, entre romantisme et description poétique, les images et les sons de la nature se mélangent, la forme est malmenée, l’audace est à son comble. La musique populaire est aussi présente, ainsi que le Lied, Mahler y crée des atmosphères et des lieux sonores jamais imaginés auparavant.
C’est le début de sa grande aventure en 10 œuvres, et même s’il s’agit là de son premier essai, c’est un coup de maître, et c’est déjà, de manière assurée, du Mahler pur, de la quintessence.
La Symphonie n°2 dite "Résurrection"
Plongeons ensuite dans l’univers de la Seconde symphonie en do mineur intitulée “Résurrection” de Mahler.
“Pourquoi avez-vous vécu, pourquoi avez-vous souffert ? N’est-ce finalement qu’une énorme et horrible blague ? Nous devons répondre à ces questions, d’une façon ou d’une autre, si l’on veut continuer à vivre – et en effet, même si nous ne faisons que nous diriger vers la mort !” Voici les questions posées par Mahler lui-même, dans le premier mouvement de sa 2e Symphonie, et dont il promet qu’elles trouveront une réponse dans le Final. Pendant 80 minutes environ et sur 5 mouvements, Gustav Mahler vous emmène dans son grand questionnement existentiel.
Dès le premier mouvement, il fait le lien avec sa première symphonie, la Titan, qu’il est en train d’achever au même moment, considérant que ce premier mouvement de la 2nde symphonie signe les funérailles de ce Titan issu de la 1re. Nous sommes dans l’année 1888 et Mahler compose un poème symphonique intitulé Cérémonie funéraire, Todtenfeier, qui deviendra, après un remaniement, ce premier mouvement de la deuxième symphonie, Résurrection.
Le dernier mouvement de la symphonie, quant à lui, est inspiré d’une ode du poète allemand Klopstock, et il compose dès lors un choral sur ce poème, comme une réponse au premier mouvement, dans un esprit dialectique. Tout l’esprit de Mahler est là, spiritualité et innovation, modernité et profondeur. La réception par le public est compliquée à l’époque, les critiques sont mauvaises. C’est à partir des années 60 qu’elle sera progressivement appréciée à sa juste valeur et interprétée par de grands chefs, Abaddo, Klemperer, Rattle, puis Haitink, Boulez et Bernstein. L’effectif de l’orchestre est conséquent, Mahler demande d’ailleurs le plus gros contingent possible pour les cordes, et il ajoute une voix de contralto soliste, comme vous avez pu l’entendre, ainsi qu’une soprano soliste et un chœur.
L’angoisse qui trouve ses réponses, de manière sublimée, en musique, c’est un peu ça cette Deuxième Symphonie de Mahler, “Résurrection”. C’était du jamais vu, et c’est devenu un incontournable.
La troisième symphonie
Nous nous attaquons ensuite à un gros morceau, le plus grand d’entre eux : la 3e Symphonie. Le plus grand car, en effet, la 3e Symphonie de Mahler est la plus longue des 10 que contient le cycle. C’est aussi, par ailleurs, une des plus longues symphonies jamais écrite dans l’histoire. C’est un monumental tableau, en deux parties, et son exécution dure environ une heure et demie, 90 minutes de musique.
Nous sommes alors en 1896, deux ans après l’achèvement de la seconde symphonie, et pour vous donner une idée, la même année 1896 voit la naissance d’œuvres telles que La Bohème de Puccini, la 9e Symphonie d’Anton Bruckner, inachevée ou encore Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, poème philosophique de Nietzsche, que Mahler lui-même avait envisagé de mettre en musique à un moment de sa vie. Il n’en fut rien, mais Nietzsche n’est pas étranger à cette troisième symphonie, cependant, car un de ses textes issus du Zarathoustra est déclamé dans le 4e mouvement par une contralto soliste. Mahler avait même pensé à la sous-titrer “le Gai Savoir”, comme un hommage au penseur allemand.
Pour qualifier cette 3e de Mahler, outre le terme de gigantesque, il convient d’utiliser celui de “Nature”. C’est un thème déjà très présent dans la première Symphonie, la Titan, mais dans la 3e, c’est l’essence-même de la musique. Mahler la compose comme une grande ode à la Nature, dans l’esprit d’un récit de la Création. Pas de nature bienveillante ou apaisée ici, non, du minéral, du tellurique, les forces obscures puis la présence de l’homme et les animaux, et enfin une évocation des anges…
La musique est dans une lignée manifeste : Beethoven – Brahms – Mahler. Ce parcours initiatique lié à la Nature qu’il nous propose dans cette troisième Symphonie a failli s’intituler “Le Songe d’une Nuit d’été”, titre lui aussi assez évocateur. Mahler ne l’a pas conservé, ni d’ailleurs les sous-titres de chacun des 6 mouvements, préférant laisser la musique parler pour et par elle-même. La première représentation de la 3e Symphonie en entier eut lieu en 1902, à Krefeld, avec un franc succès et à la baguette, Gustav Mahler lui-même.
La quatrième Symphonie
Prochain arrêt en l’an 1900.
Souvenez-vous de la 3e, composée 4 ans plus tôt : on était dans l’univers de la Nature et surtout dans la plus colossale des Symphonies du maître viennois avec 90 minutes de musique, un record pour une œuvre du genre. Avec sa 4e Symphonie, c’est tout le contraire. C’est l’une des plus courtes et des plus joyeuses du cycle. Elle est en 4 mouvements et ne dure que (guillemets de circonstance) 55 minutes. C’est probablement la plus intime des Symphonies de Mahler, et elle a d’ailleurs une place toute particulière pour le compositeur.
Là où dans la 3e il nous parlait Nature, ici, il nous évoque l’enfance. Ou plutôt le monde vu à travers le regard d’un enfant, comprenez, l’émerveillement. C’est la première symphonie qu’il compose après avoir obtenu la direction de l’opéra de Vienne, et cette Symphonie est limpide, assez gaie, et Mahler s’est efforcé, d’ailleurs jusqu’à la fin de sa vie, de revoir l’orchestration pour la rendre toujours plus transparente et cristalline. Composée en 4 mouvements, le premier faisant entendre des grelots puis de belles mélodies, lyriques, ainsi que des thèmes presque folks. Le deuxième mouvement fait apparaître un violon désaccordé, et les peurs de l’enfant qu’il était ne sont pas loin. Le troisième, quant à lui, Adagio, Ruhevoll, donc tranquille, est empreint de toute l’intensité mahlerienne, une tristesse heureuse ou une joie triste, l’art de l’oxymore. Le quatrième mouvement, enfin, le final, requiert une voix soliste, une soprano, et est sous-titré “La vie céleste”, tout est dit.
Un esprit lumineux et enfantin pour cette 4e Symphonie, dont l’épure annonce par certains côtés la seconde école de Vienne avec Schoenberg, Berg et Webern. Loin du quotidien, Mahler nous emmène dans les sphères du rêve et du souvenir, de l’enfance et, toujours avec lui, de la nostalgie…
La Cinquième Symphonie
“Mort à Venise”
Cela vous parle, 1971, Luchino Visconti, si l’on vous suggère ce film, c’est tout simplement parce que la musique de Gustav Mahler y est présente. Et pas n’importe laquelle, l’Adagietto de sa 5e Symphonie. Et c’est un Mahler qui l’a échappé belle qui compose ces pages. Nous sommes en février 1901 et Mahler se remet d’une grave hémorragie qui a failli l’emporter. Ayant ainsi vécu l’expérience de la mort proche, Mahler attaque avec vitalité un style nouveau, notamment dans le Scherzo, 3e mouvement, qu’il compose en premier. On y perçoit une joie et un enthousiasme qui contraste avec les 2 premiers mouvements qui revêtent un caractère funèbre.
Vient ensuite le mouvement lent, cet Adagietto que l’on retrouve dans le film de Visconti. Mahler réussit là une impression de temps étiré à l’infini, il réussit aussi un jeu sur la matière sonore avec laquelle il joue comme une pâte, et use de la suspension comme une métaphore : il évite la fatalité et se joue du temps. Vient enfin le Rondo final, très complexe au niveau du contrepoint, et se révèle très joyeux : il y écrit sa victoire face à la maladie.
Alors, n’oublions pas que Mahler n’était pas du genre euphorique, il débute tout de même cette 5e par une marche funèbre. Mais pour autant, il arrive à la conclure de manière positive, en vainqueur. Cette cinquième symphonie forme, avec les deux suivantes, les 6 et 7, la Trilogie Orchestrale, donnant à entendre la puissance du lyrisme et de l’expressivité que Mahler était capable de transmettre à l’orchestre.
Elle fut créée en 1904 à Cologne, mais sans succès aucun. Qu’à cela ne tienne, puisqu’aujourd’hui, La Cinquième Symphonie de Mahler est probablement l’un des plus grands tubes du répertoire symphonique et l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre.
La Symphonie n°6, dite "Tragique"
Passons ensuite à La 6e Symphonie, celle que l’on appelle “Tragique”. Pour celle-ci, plus de programmes qui donneraient les explications des volontés du compositeur, comme c’était le cas avant, et plus de voix chantée, comme dans certaines œuvres précédentes. Le chemin se poursuit, et les restes de musique à programme disparaissent.
Tragique, je le disais, c’est le titre de la 6e Symphonie de Mahler. Et ce n’est pas pour rien car cette 6e Symphonie de Mahler est probablement la plus sombre du cycle, la plus sévère, la plus Tragique, donc, dans son esprit. Elle vient pourtant après la pétillante et optimiste 5e symphonie, toutes proportions gardées bien sûr, ça reste Mahler, 5e et son rondo final où Mahler se pose en vainqueur de l’angoisse.
Lorsqu’il écrit la 6e, c’est pourtant une période plutôt joyeuse de sa vie, et Alma Mahler dit pourtant que cette 6e est la plus personnelle de toutes : il veut dire au monde sa cruauté et livre ainsi une musique sans concessions, dure parfois, comme un homme face à son destin qui n’aurait pas d’hésitation. Et pourtant, il oscille entre Majeur et Mineur, tout comme il hésite sur l’ordre des mouvements. Il renforce le pessimisme en plaçant le Majeur avant le mode Mineur, qui conclut donc, et est ainsi plus puissant, et il sous-tend tout ceci par des leitmotivs rythmiques.
Il revient à une forme plus classique, en 4 mouvements, bien que le 4e soit hors normes, parfois presque 40 minutes, ce qui rompt un peu cette impression de cadre classique. Et en effet, il hésite sur l’ordre des mouvements, notamment pour avoir la meilleure option dramaturgique, son hésitation étant entre l’Andante, mouvement lent, et le Scherzo, vif et sombre. Il conservera finalement le choix du Scherzo d’abord, puis l’Andante, qui était son idée initiale.
Cet Andante, plus lumineux, permet alors l’enchaînement vers le terrible final. Final désespéré et qui amène inexorablement à un terrible point final, le combat est perdu. Pas d’issue possible, et Mahler utilise beaucoup de sortes de percussions, célesta, xylophone, une caisse claire qui nous rappelle les marches militaires, le marteau et les cloches de vache que l’on retrouvera dans la 7e.
Ce final, fait à lui seul quasi la moitié de la Symphonie, c’est un grand voyage dans les ténèbres, ça crie, ça pleure, bref il amène au néant. Le philosophe Adorno l’écrivait : “Tout est mal qui finit mal !” Mahler aurait pu faire sienne cette phrase de Paul Valéry : “L’angoisse, mon véritable métier.” Cette 6e Symphonie, c’est lui, de manière directe, c’est son âme qui parle : désespéré sans doute, mais jamais résigné.
Le chant de la nuit, la septième symphonie
À la découverte de l’étrange
Nous avons quitté la Sixième Symphonie et son point final, son impossible à forcer le destin. Quelle musique Mahler pouvait-il bien écrire après ça ?
Nous sommes entre 1904 et 1905. Mahler est âgé d’à peine 45 ans. Sa 7e symphonie nous plonge dans le domaine de l’étrange. Elle a pour titre “Le chant de la nuit". Avec cette 7e, Mahler déroute. C’est la dernière symphonie formant le petit cycle des Symphonies orchestrales avec les 5 et 6, comme un triptyque. Mahler déroute, donc, car plus d’explications ni de programmes depuis la 6e Symphonie, pas de réelle tonalité non plus, ici, ouvrant le livre nouveau de la Seconde École de Vienne constituée par Schoenberg, Berg et Webern. L’orchestration est riche et complexe, les associations de timbres sont inattendues et surprenantes. L’harmonie est en perpétuel mouvement, ne se fixant jamais tout à fait, les dissonances sont rudes, et Mahler essaie, tente, expérimente et ne nous livre pas ses secrets.
C’est l’une de ses symphonies les plus novatrices dans la recherche, l’une des plus difficiles à saisir aussi, et peut-être, par conséquent, l’une des moins jouées. Elle est en effet exigeante techniquement, insaisissable et âpre pour l’auditeur à certains endroits, obscure et insondable. Elle annonce Chostakovitch et Prokofiev aussi, et Mahler en disait pourtant qu’il la trouvait joyeuse et pleine d’humour. C’est assez vrai pour le final, un Rondo enlevé mais là où Mahler pensait nous communiquer sa joie, son inconscient a fait son travail : l’univers du rêve et de ce qui ne pouvait se dire est venu s’insinuer dans cette gaieté apparente : on plonge alors vers l’univers du clown aussi drôle qu’effrayant, l’ironie n’est pas loin, on est comme envoûté.
Cette 7e Symphonie répond parfaitement à notre question : Mahler marque ici un nouveau tournant dans l’histoire de la musique : il ouvre le champ des possibles. La Symphonie sous le mode d’avant est tordue et explose : Mahler traverse la tradition de la musique vers autre chose. Le virage est pris, et cette dernière Symphonie de la Trilogie Orchestrale de Mahler signe une nouvelle modernité. Cette 7e Symphonie est sa manière à lui de nous exprimer toute la complexité du monde et la difficulté qu’il éprouve, comme être humain, d’en être un acteur.
La "symphonie des Mille" La 8e Symphonie
Parlons maintenant de la “Symphonie des Mille” . Ce surnom lui vient du fait qu’elle requiert un nombre d’interprètes très important, tant dans l’orchestre qu’au niveau des voix. En fait, son effectif est l’un des plus vastes du répertoire symphonique. Pour vous donner une idée, rien que pour les Voix : 3 sopranos, 2 altos, 1 ténor 1 baryton, 1 basse, 1 chœur d’enfants 2 chœurs d’adultes, Côté instruments : 8 cors, 4 bassons, 3 timbales, 1 célesta, 1 piano, 1 orgue, 1 harmonium, 2 harpes, une mandoline, sans compter les cordes, et la liste de tout ceci n’est pas exhaustive, imaginez un peu.
La 8e de Mahler, c’est l’œuvre du gigantesque, la plus grande chose qu’il ait écrite jusque-là, selon ses propres dires, nous sommes en 1906, et il vient d’avoir 50 ans. C’est une œuvre résolument humaniste, elle est en 2 grandes parties, et son exécution dure 80 minutes, c’est long, mais c’est un peu plus court que sa monumentale 3e qui atteignait 95 minutes.
Humaniste, cette 8e, et particulièrement parce que Mahler utilise la figure de Faust dans la seconde partie, comme un personnage qui combat victorieusement le Mal en faisant triompher l’humain. La première partie, quant à elle, est exclusivement dédiée aux voix et est un arrangement d’un hymne latin intitulé “Veni Creator”, l’agencement de ces 2 sujets, un hymne latin et le Faust de Goethe ne pouvant être fait que par Mahler. Eh oui, ses connaissances et sa hauteur de vue sur la création étaient immenses, et seul quelqu’un comme lui pouvait réussir à mettre côte à côte 2 éléments de ce genre.
Sa 8e Symphonie, Mahler la voulait joyeuse. “Cette symphonie est un don à la nation. Toutes mes symphonies précédentes n’étaient que des préludes à celle-ci : mes autres œuvres sont tragiques et subjectives. Celle-ci est une immense dispensatrice de joie.” Et il faut croire que cette envie lui a été favorable. Sa 8e fut un succès considérable à sa création à Munich en 1910. L’un des seuls succès du genre pour Mahler, d’ailleurs, donc les échecs de créations s’enchaînaient. En réalité, ce fut plus qu’un succès, c’était un nouveau tournant dans l’Histoire.
La création de la 8e a été un événement européen, tout le monde voulait en être. Les intellectuels considéraient en effet que cette symphonie contenait en elle une certaine idée de l’Europe et de la pensée humaniste universelle. Ce fut assurément son plus grand succès, mais aussi sa dernière apparition en public. A l’écoute de cette musique, on ne peut s’empêcher de penser comme les gens qui étaient présents ce jour-là et qui crièrent : “Vive Mahler !"
La neuvième symphonie
S’ensuit la dernière symphonie que Mahler ait achevée, il s’agit de la 9e.
Mahler prétendait d’ailleurs qu’il s’agissait de sa 10e, préférant confier le numéro 9 à son “Chant de la Terre”, “Das Lied von der Erde”, réflexion métaphysique confiée au chant, à la voix, sur la vie et la mort, typique chez Mahler. Mais revenons à sa 9e, qui est donc sa 9e œuvre orchestrale et instrumentale, le Chant de la Terre étant centré sur le vocal.
Cette 9e Symphonie, Mahler ne l’entendra pas jouée de son vivant, il la compose en 1909 et l’achève l’année suivante. On retrouve le caractère sombre propre à Mahler, cette fois avec une touche, inévitable, d’adieu. Le monde autour de lui se rompt, il cherche une forme de catharsis, et Mahler est inconsolable. Il utilise ici un canevas classique, 4 mouvements, et une tonalité relativement claire, Ré majeur, pour faire simple. Pour autant, l’œuvre est résolument moderne. Mahler y utilise abondamment la technique de Klangfarbenmelodie, la mélodie de timbre, irisant ainsi les couleurs orchestrales. 2 mouvements lents encadrent 2 mouvements rapides, tout comme d’ailleurs la Pathétique de Tchaikovsky. Mahler y travaillera d’arrache-pied, d’esquisses en essais, de brouillons en recherches, mais la mise au propre se fait d’un seul trait, le point final étant posé le 1er avril 1910.
La forme et la complexité des mouvements sont un cas unique dans l’Histoire de la musique, et il est difficile d’en faire l’analyse. Fini le romantisme, on a là affaire à du réalisme, la dernière note de la symphonie comporte d’ailleurs l’indication “en mourant", et le chef et compositeur Leonard Bernstein émit une hypothèse sur ce dernier mouvement : celle que Mahler aurait voulu y décrire 3 types de morts : la sienne, la mort de la tonalité, et enfin la mort de la culture Faustienne dans les arts, tous domaines confondus. Tout se désintègre, plus de linéarité, Mahler ne se soucie plus de la forme ou des exigences stylistiques : il veut dire, parler, raconter et crier, comme toujours, sa révolte face au monde.
Mais on sent, dans cette 9e symphonie, qu’une forme de réconciliation avec le monde est possible pour Mahler, ainsi que de la compassion pour les hommes. C’est la musique dans ce qu’elle a de plus humain, Mahler marque le siècle, et bien plus encore, c’est l’Histoire de la musique qui s’en trouve bouleversée.
La 10e Symphonie ."La Symphonie inachevée"
Si la 9e Symphonie est en fait la dernière que Mahler ait achevée. La 10e dont il est maintenant question, est incomplète, sacrément incomplète même puisque sur une durée envisagée de 75 minutes, il ne nous reste que le premier mouvement, l’Adagio, pour une durée de 25 minutes environ. Tout le reste n’est qu’un casse-tête de reconstitution pour les musicologues et leurs collègues, tous doivent se débrouiller avec des esquisses et des brouillons, bref du partiel.
Il faut ajouter à cela la difficulté supplémentaire du refus de Mahler de parler d’une œuvre inachevée ou en cours d’élaboration et encore plus d’en faire jouer des parties de son vivant. Il aurait même exigé que l’on fasse disparaître toutes les traces du travail inachevé que l’on pourrait trouver après sa mort. Mais c’est une rumeur parfois contestée.
On sait pourtant déjà pas mal de choses sur cette ossature de la 10e Symphonie. En effet, on sait que Mahler la pensait en 5 mouvements, l’Agagio étant le premier donc achevé et quasi intégralement orchestré par Mahler. De longues phrases s’enchaînent, comme des remords et des larmes, et les dissonances sont à leur paroxysme. Suivent alors II-Scherz, déjà bien avancé bien qu’à l’état d’ébauche, mais où on a beaucoup d’indications d’orchestration, quelques bribes. III-Purgatio, en référence au poème de son ami Lipener, et qui évoque les tourments personnels de Mahler à ce moment-là, Purgatio, n’hésitez pas à lire ce qu’on peut trouver sur la rencontre entre Mahler et Freud à cette époque et enfin IV-Scherzo Allegro pesante et V- Finale.
On peut cependant jouer des versions complètes de cette 10e. Heureusement, tant la puissance de cette musique résonne pour des générations et des générations. La version complétée est celle, en général, de Deryck Cooke, qui connaissait Mahler comme personne et qui a pu ainsi compléter et mettre en relief les prémices mahlériennes. En fait, la modernité de la musique est exceptionnelle car l’art de composer de Mahler était hautement singulier. Il n’y avait que lui pour écrire de la musique comme ça, et bien qu’il s’inscrive dans une lignée de compositeurs, il prend un virage que nul autre n’aurait pris, et il marque ainsi l’Histoire avec un grand H. Il ne nous en laisse qu’un mouvement, certes, mais le projet était immense.
Tout comme Beethoven, il n’a pas pu aller au bout de sa 10e Symphonie, mais la somme des 9 autres annonçait combien cette 10e est essentielle. Il était réconcilié avec le destin d’un homme, avec la fatalité presque, et la terreur de la 9e et du Chant de la Terre trouve ici une dialectique, une forme de sublimation. Tout comme le silence après Mozart est encore du Mozart, un fragment de Mahler, c’est encore du Mahler, et non des moindres.
Le 28 févr. 2022 Par Clément Holvoet
Sur : https://www.rtbf.be/article/pourquoi-les-symphonies-de-mahler-ont-elles-tant-marque-lhistoire-de-la-musique-10935724
LA SYMPHONIE
1 - La symphonie avant Mozart
C’est au XVIIème siècle que le terme « symphonie » commence à prendre son acception moderne, à savoir une pièce purement instrumentale. Au début du siècle, on trouve aussi bien des pièces d’introduction de suites, des intermèdes musicaux, des ritournelles d’opéras, des pièces courtes de
caractère variés. Les fondements mêmes de la symphonie ne sont donc pas encore clairement fixés. « On distingue la Musique vocale en Musique sans Symphonie, qui n’a d’autre accompagnement que la Basse
continue ; et Musique avec Symphonie qui a moins un Dessus d’Instruments, Violons, Flûtes ou Hautbois. On dit d’une Pièce qu’elle est en grande Symphonie quand elle a encore deux autres Parties instrumentales : Taille et
Quinte de Violon. La Musique de la Chapelle du Roi, celle de plusieurs Eglises, et celle des Opéras sont presque toujours en grande Symphonie ». J.J Rousseau- Dictionnaire de Musique (1768). Au cours de la seconde moitié du XVIIème, le genre symphonie voit poindre ses origines à travers les ouvertures d’opéras. Alessandro Scarlatti (1660-1725) donne en premier le nom de Sinfonia à l’ouverture, fixant le plan en 3 parties (vif/lent/vif) et enrichit l’orchestre d’opéra de trompettes, hautbois, flûtes et cors aux côtés de la section des cordes. La Sinfonia en 3 parties anticipe donc la symphonie
moderne. Au XVIIIème siècle en Italie, la Sinfonia se détache de l’opéra et se présente comme une pièce de concert à part entière. En France, un genre spécifique se développe : la symphonie concertante qui marque l’application du style symphonique au principe du concerto (elle est destinée à 2 ou plusieurs solistes et structurée en 2 mouvements – Joseph de Bologne de Saint-George en composera 8). Au milieu du XVIIIème siècle, deux pôles géographiques germaniques joueront un rôle capital dans l’évolution de la symphonie : L’école de Mannheim innove en matière orchestrale. A l’origine de l’orchestre symphonique moderne, Johann Stamitz, son chef de file crée un orchestre constitué de professionnels. Les instruments commencent à s’individualiser : l’alto ne double plus la basse, les vents interviennent parfois en solistes,la basse continue est abandonnée, la clarinette introduite.
Les 2 fils aînés de Bach donnent naissance à la forme sonate qui structurera certains mouvements de
symphonie. L’école viennoise organise la symphonie en 3 ou 4 mouvements et utilise la forme sonate pour
les 1er et 4ème. Mozart et Haydn sauront s’en souvenir…
La symphonie classique est incontestablement d’essence germanique.
2 – La symphonie classique :
Haydn et Mozart Haydn a longtemps été considéré comme le père de la symphonie. Il est l’auteur de 104 symphonies composées entre 1759 et 1795. Il n’a pas inventé les éléments constitutifs de ce genre, il a su les mettre en valeur, les hiérarchiser et les imposer à ses contemporains. Haydn individualise les instruments lors de dialogues et étoffe l’orchestre dans lequel il ajoute une flûte, un basson, deux trompettes et des timbales. Le compositeur excelle véritablement dans l’art du développement. A partir de la Symphonie n° 31, il adopte le plan en 4 mouvements, caractéristique de la symphonie classique :
- Allegro
- Adagio
- Menuet-Trio
- Moderato molto presto ou Allegro
Mozart écrit 41 symphonies entre 1764 et 1788. Dès 1767, il adopte le plan en 4 mouvements, généralise l’emploi de la forme sonate bithématique aux 1er, 2ème et 4ème mouvements. Les thèmes sont très contrastés sous l’influence du Sturm und Drang. Il fait appel à des tonalités éloignées dans les développements et se montre novateur dans l’instrumentation et l’orchestration : il introduit la clarinette à l’orchestre. Ses trois dernières symphonies (K. 543, K 550, K 551) montrent l’ensemble de ses
innovations et annoncent le romantisme. Le plan de la symphonie classique, extrêmement codifié, restera néanmoins intangible 40 années
durant.
3 – Beethoven et son influence
Beethoven, à la suite de Mozart et de Haydn, a perpétué le genre de la symphonie pour finalement le faire complètement éclater. Il en écrira 9 entre 1800 et 1823. Il étoffe et intensifie les possibilités orchestrales en utilisant parfois les bois par 3 et cuivres par 4 (adjonction d’une flûte piccolo et de trombones - 3 dans la Symphonie n° 5) et en ajoutant des percussions
variées. Il en tire des effets de masse saisissants au service d’un dramatisme naissant, caractéristique du romantisme.
Beethoven ne respect pas toujours le plan en 4 parties, ajoutant des mouvements supplémentaires (Symphonies n° 6 et n° 9). Il inclut des développements dès l’exposition de la forme sonate avec variations
ou style fuguée ; remplace le menuet par le scherzo et peut adopter dans le dernier mouvement, un rondoou un thème et variations. Enfin, il s’éloigne de la musique pure pour se rapprocher d’un « programme » tel que dans sa Symphonie n° 9 (avec chœur, quatuor vocal, baryton soliste au service d’un message universel - « Ode à la joie », texte de Schiller).
Beethoven paralysera d’un point de vue artistique un bon nombre de compositeurs au XIXème siècle.
Même si Schumann, Schubert, Brahms s’intéressèrent à la symphonie, il faut attendre Berlioz avec en particulier sa Symphonie fantastique et Liszt avec ses Dante Symphonies pour s’éloigner de l’esprit beethovénien. La musique « pure » n’est plus de mise. Même la symphonie est soumise à un argument
extra-musical, un programme, elle devient narrative. A la fin du XIXème siècle, Mahler et Bruckner s’écartent du modèle classique en utilisant un effectif orchestral gigantesque et en augmentant le nombre
des mouvements.
La symphonie est une œuvre pour orchestre en 4 mouvements contrastés. Elle a été élaborée par les compositeurs de Mannheim au milieu du XVIIIème siècle mais les meilleurs exemples viennent de Haydn (104), Mozart (41) puis
Beethoven (9). Au XIX siècle, la symphonie prend des proportions énormes avec Mahler, puis sera abandonnée au
début du XX siècle.
https://educamus.ac-versailles.fr/IMG/pdf/symphonie_generalites.pdf
La 9ème Symphonie dite du Nouveau Monde
d’Antonin DVORAK
Dossier pédagogique en collaboration avec
l’orchestre Symphonique de Mulhouse
Direction : Daniel KLAJNER
Récitant : Sébastien DUTRIEUX
Frédéric FUCHS et Olivier WALCH, conseillers pédagogiques en éducation musicale du Haut-Rhin
https://www.musique-culture68.fr/wp content/uploads/2015/09/osmfev2011.pdf
Anton Dvorak quitte l'école à 11 ans pour apprendre le métier de son père, boucher du village et celui d'aubergiste. Son père se rend compte assez tôt des dons musicaux de son fils et l’envoie en 1853 chez un oncle pour lui faire,apprendre l’allemand et améliorer la culture musicale qu’il avait acquise avec
l'orchestre du village.
Anton poursuit ses études à l’école d’orgue de Prague. Ayant obtenu un
diplôme, il rejoint la Prager Kapelle, orchestre de variétés dans lequel il tient
la partie d’alto. Son expérience de musicien d’orchestre lui permet de
découvrir de l'intérieur un vaste répertoire classique et contemporain.
Il joue sous la baguette de Bedřich Smetana, Richard Wagner, … et trouve le
temps de composer des œuvres ambitieuses (ses deux premières symphonies).
Dvorak démissionne de l’orchestre en 1871 pour se consacrer à la composition. Il vit des leçons particulières qu'il donne, avant d’obtenir un poste d’organiste. En 1873, il se marie. Il aura neuf enfants.
Alors qu’il rencontre ses premiers succès locaux, un jury viennois reconnaît la qualité de ses compositions et lui offre une bourse pour cinq ans. Elle lui permet d’entrer en contact avec Johannes Brahms qui deviendra son ami et le présentera à son éditeur Fritz Simrock. D’autres musiciens illustres comme les chefs d’orchestre Hans von Bülow et Hans Richter, les violonistes Joseph Joachim et Joseph Hellmesberger et plus tard le Quatuor Tchèque, l’aideront beaucoup à faire connaître et interpréter sa musique.
Ses Danses slaves et diverses œuvres symphoniques, vocales ou de musique de chambre le rendent célèbre. Dvorak se rendra à neuf reprises en Angleterre pour diriger ses œuvres. La Russie, à l'initiative de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le réclame à son tour. Le compositeur tchèque fera une tournée à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Célèbre dans tout le monde musical, il est nommé de 1892 à 1895 directeur du Conservatoire de New York. Sa première œuvre composée aux États-Unis est la 9e symphonie dite « Du nouveau Monde ». Son succès est foudroyant et ne s’est jamais démenti depuis sa première audition. Son séjour en Amérique du Nord voit naître d’autres compositions très populaires comme le 12e Quatuor dit « quatuor américain » (dans lequel il emploie des procédés caractéristiques du blues) et le célèbre Concerto pour violoncelle, qui sera terminé
sur le sol européen. De retour en Bohême, où il retrouve sa douce vie à la campagne, il compose plusieurs poèmes symphoniques inspirés par les légendes nationales. La fin de sa vie est surtout consacrée à la composition d’opéras. Pendant cette période, il dirige également le Conservatoire de Prague. Statue d'Anton Dvorak devant le Rudolfinum, à Prague
Son œuvre est immense et variée, pour toutes les formations instrumentales. Sa musique est colorée et rythmée, inspirée à la fois par l’héritage savant européen et par l'influence du folklore national tchèque et américain (Negro spirituals ou chansons populaires). Frédéric FUCHS et Olivier WALCH, conseillers pédagogiques en éducation musicale du Haut-Rhin 5
L’histoire de la SYMPHONIE C’est au XVIIème siècle que le terme «symphonie » commence à prendre son acception moderne, à savoir une pièce purement instrumentale. Au cours de la seconde moitié du XVIIème, le genre symphonie voit poindre ses origines à travers les ouvertures d’opéras, appelées Sinfonia. Elle est construite en 3 parties (vif/lent/vif), faisant appel
aux trompettes, hautbois, flûtes et cors aux côtés de la section des cordes.
Elle anticipe donc la symphonie moderne. Au XVIIIème siècle, en Italie, la Sinfonia se détache de l’opéra et se présente comme une pièce de
concert à part entière. L’école de Mannheim innove en matière orchestrale. A l’origine de l’orchestre symphonique moderne, Johann Stamitz crée un orchestre constitué de professionnels. Progressivement, la forme de la
symphonie se structure en 3 ou 4 mouvements. La symphonie classique est incontestablement d’essence germanique.
La symphonie classique :
Haydn a longtemps été considéré comme le père de la symphonie. Il est l’auteur de 104 symphonies
composées entre 1759 et 1795. Haydn individualise les instruments lors de dialogues et étoffe l’orchestre dans lequel il ajoute une flûte, un basson, deux trompettes et des timbales. Il adopte le plan en 4 mouvements, caractéristique de la symphonie classique :
- Allegro
– Adagio
– Menuet/Trio
- Moderato molto presto ou Allegro
Mozart écrit 41 symphonies entre 1764 et 1788. Ses trois dernières symphonies (K. 543, K 550, K551) montrent l’ensemble de ses innovations et annoncent le romantisme. Le plan de la symphonie classique, extrêmement codifié, restera néanmoins intangible 40 années durant Beethoven et son influence Beethoven, à la suite de Mozart et de Haydn, a perpétué le genre de la symphonie pour finalement le faire complètement éclater. Il en écrira 9 entre 1800 et 1823. Il étoffe et intensifie les possibilités orchestrales grâce aux progrès de la facture instrumentale et au développement de nouveaux instruments (clarinette – trombone - percussion ….) Il innove dans la
forme et le style, tire des effets de masse saisissants au service d’un dramatisme naissant, caractéristique du romantisme.
Au XIXème siècle, Schumann, Schubert, Mendelssohn et Brahms amènent la symphonie à un degré de perfection.
Berlioz avec sa Symphonie fantastique et Liszt avec ses Dante Symphonies s’éloignent de l’esprit formel, lui préférant des arguments extramusicaux, sorte de musique à programme qui devient narrative.
Dvorak est un des derniers compositeurs à avoir écrit des symphonies dans leur forme traditionnelle, le XIXème siècle ayant été marqué par le poème symphonique (œuvre symphonique qui se base sur une histoire ou un conte en un seul mouvement)
Ex : César Franck le chasseur maudit / Franz Liszt Mazeppa / Bedrich la Moldau / Hector Berlioz
Symphonie fantastique / Camille Saint-Saëns Danse Macabre / Paul Dukas l’apprenti sorcier / Claude Debussy l’après midi d’un faune / Modest Moussorgski Nuit sur le mont chauve / Alexandre Borodine les Steppes de l’Asie Centrale/ …
La Symphonie du Nouveau Monde
Ecrite en 1893, elle est la plus populaire de ses symphonies et l'une des œuvres les plus jouées du répertoire symphonique moderne. Dvorak l'a composée durant son séjour aux États-Unis (1892-1895)
alors qu'il travaille comme directeur du Conservatoire de New York.
Il a le mal du pays et des difficultés à trouver ses repères dans cette immense contrée. Ce sentiment est heureusement tempéré par l'émerveillement du Tchèque devant tant de nouveautés. "Il me semble que le sol américain aura un effet bénéfique sur mes pensées, et je dirais presque que vous entendrez déjà quelque chose de cela dans cette nouvelle symphonie", écrit-il en 1893 à un ami. Mais le plus important pour Dvorak est la découverte des musiques des Indiens et des Noirs.
C'est dans ce contexte qu'il commence, en janvier 1893, l’écriture de sa neuvième symphonie. Le compositeur a indiqué que la Symphonie du Nouveau Monde, première des œuvres composées en Amérique, a été en partie inspirée par le poème de Hiawatha, précisément par les passages des danses (noces de Hiawatha) et des funérailles dans la forêt. « Je n'ai utilisé aucune des mélodies indiennes. J'ai simplement écrit des thèmes originaux englobant les particularités de cette musique et, utilisant ces thèmes comme sujets, je les ai développés avec les moyens des rythmes modernes, contrepoints et couleurs orchestrales. »
La symphonie comporte, classiquement, quatre mouvements :
- Adagio,
- Allegro Molto
- Largo
- Scherzo, Molto Vivace
- Allegro con fuoco.
Neil Armstrong emporta un enregistrement audio de cette symphonie lors de la mission Apollo 11, la première à déposer un homme sur la Lune, en 1969.
Frédéric FUCHS et Olivier WALCH, conseillers pédagogiques en éducation musicale du Haut-Rhin
https://www.musique-culture68.fr/wp content/uploads/2015/09/osmfev2011.pdf
Dvorak : Symphonie du Nouveau Monde
Premier mouvement :
1
L'introduction mystérieuse est brutalement interrompue par des interventions forte des cors puis des cordes, appuyées par les timbales
2
Le premier mouvement enchaîne sur un Allegro Molto très entraînant. Le caractère "américain" du thème initial, au rythme pointé, nous plonge aussitôt dans une ambiance mouvementée. Nous pouvons ressentir l'émerveillement du nouveau venu dans cette contrée si différente, le tourbillon de la vie américaine et peut-être aussi les trépidations des locomotives et des bateaux à vapeur.
3
Un second thème nostalgique s'apparente à un rythme de polka.
Un troisième thème est introduit par la flûte solo (fin de la plage).
4
Premier mouvement en entier.
Dvorak : Symphonie du Nouveau Monde Deuxième mouvement :
Largo
Avec le Largo, Dvořák plonge l'auditeur dans un recueillement qui tranche totalement avec l'allure exubérante du mouvement précédent. Le compositeur a expliqué que ce mouvement, à l'origine intitulé
"Légende", fut inspiré par la poignante scène des "funérailles dans la forêt" du poème de Longfellow. Ce passage est extrait du chapitre XX : Hiawatha est parti chasser au milieu de la forêt désolée, en plein hiver ; il doit à tout prix ramener de quoi manger au foyer, car la famine sévit, et son épouse
Minehaha ("Eau-riante") souffre d'inanition.
5
L’introduction de ce mouvement lent par les vents laisse rapidement la place à un solo de cor anglais (0’40) dans une touchante et délicate mélodie, facilement identifiable et chantable.
Excellent orchestrateur, Antonín Dvořák aurait choisi le cor anglais car il lui aurait rappelé la voix d'un de ses élèves afro-américain qui lui chantait souvent des chants d'esclaves.
Chap. XX La famine (extrait)
…
Et le malheureux Hiawatha,
Loin au milieu de la forêt,
Très loin au milieu des montagnes,
Entendit le soudain cri d'angoisse,
Entendit la voix de Minnehaha
L'appelant dans l'obscurité,
"Hiawatha! Hiawatha! "
Par les champs enneigés et désolés,
A travers les branches recouvertes de neige,
Hiawatha revint en hâte,
les mains vides, le cœur gros,
Il entendit Nokomis, gémissant, pleurant:
"Wahonowin! Wahonowin!
Il vaudrait mieux que j'aie péri à ta place,
Il vaudrait mieux que je sois morte comme tu l'es!
Wahonowin! Wahonowin!"
Et il s'est précipité dans le wigwam,
a vu la vieille Nokomis doucement
se balancer d'avant en arrière en gémissant,
Il a vu sa belle Minnehaha
Etendue morte et froide devant lui,
Et, son cœur en éclatant dans sa poitrine,
Poussa un tel cri de douleur,
Que la forêt gémit et frissonna,
Que les étoiles mêmes dans le ciel
S'émurent et tremblèrent de son angoisse.
Alors il s'est assis, toujours sans rien dire,
sur le lit de Minnehaha,
aux pieds d'Eau-Riante,
à ces pieds chéris, qui jamais
plus ne courraient légèrement à sa rencontre,
Qui jamais plus ne le suivraient légèrement.
Avec les deux mains il se couvrit le visage,
Sept long jours et sept longues nuits il resta assis là,
Comme sans conscience il restait là,
Sans voix, immobile, sans connaissance
Du jour ou de la nuit.
Alors ils enterrèrent Minnehaha;
Dans la neige une tombe ils lui firent
Dans la forêt profonde et sombre
Sous les fleurs plaintives; Ils la vêtirent de ses plus riches vêtements
Ils l'enveloppèrent dans ses robes d'hermine,
La recouvrirent de neige, comme l'hermine;
Ainsi ils enterrèrent Minnehaha
6
L'épisode s'anime : la flûte et le hautbois, à l'unisson y expriment la douleur de la séparation.
7
Les violons reprennent ce thème qui atteint des sommets de lyrisme ; mais la résignation finit par l'emporter.
8
La nature foncièrement optimiste de Dvořák reprend le dessus : le hautbois, la flûte et la clarinette apportent une brève éclaircie. Pendant une poignée de seconde, nous sommes revenus en Bohême, le pays que Dvorak aimait tant. Nous pouvons presque croire au début d'une danse slave quand éclate en un accord majestueux le thème du Nouveau Monde. Le cor anglais réexpose alors le thème initial de ce magnifique mouvement, qui se conclut comme il avait commencé, dans la solennelle sérénité des "accords maçonniques" des vents.
9
Deuxième mouvement en entier.
Dvorak : Symphonie du Nouveau Monde Troisième mouvement :
Scherzo
Brutal retour sur terre : dynamique forte et force rythmique nous ramènent instantanément à l'atmosphère fiévreuse du premier mouvement.
Dvořák a indiqué que ce scherzo devait évoquer une "scène dans la forêt où les Indiens dansent".
La fête de mariage de Hiawatha
Au son des flûtes et du chant,
Au son des tambours et des voix,
Se leva le beau Pau-Puk-Keewis,
Et il commença ses danses mystiques.
D'abord il dansa une mesure solennelle,
Au pas et au geste très lent
Se glissant parmi les pins,
A travers les ombres et le soleil,
Marchant délicatement comme une panthère,
Puis plus vite et encore plus vite,
Tourbillonnant, tournoyant en cercles,
Sautant par-dessus les invités réunis,
Tourbillonnant en cercles autour du wigwam,
Jusqu'à ce que les feuilles se mettent à tourbillonner avec lui,
Jusqu'à ce qu'ensemble la poussière et le vent
Balayent tout alentour par leurs remous tournoyants
10
Thème au hautbois et à la clarinette dès 0’09 repris par les cordes .
Après quelques roulements de timbales, reprise par tout l’orchestre (forte) du thème (0’28) dans une
atmosphère enjouée. Reprise totale à 0’48 du passage.
1’22 Pont joué au basson qui ramène le thème du hautbois (1’30), repris à la clarinette (1’40).
Progressivement, l’orchestre au grand complet développe le thème de la danse entraînante des Indiens.
Dvorak : Symphonie du Nouveau Monde Quatrième mouvement
- Allegro con fuoco
11
Malgré les beautés des parties précédentes, c'est par cet ultime mouvement que la symphonie de Dvořák a pu enthousiasmer un si large public. Son introduction spectaculaire etdramatique - une vertigineuse ascension des violons, prodigieuse d'intensité - aboutit à l'exposé ff du thème "américain" dans son intégralité joué aux cuivres qui donnent une atmosphère grandiose tels les espaces qui ont impressionnés Dvorak. Le thème est repris par les cuivres, soutenus par des accords telluriques des violons, puis par les
cordes seules. L'agitation de cette première partie laisse la place à une mélodie intime de la clarinette qui évoque l’Homme si petit au milieu de la Nature immense. Mais très vite l’enthousiasme de Dvorak reprend le dessus et il se laisse envahir par ces paysages
magnifiques.
Frédéric FUCHS et Olivier WALCH, conseillers pédagogiques en éducation musicale du Haut-Rhin
https://www.musique-culture68.fr/wp content/uploads/2015/09/osmfev2011.pdf
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
La symphonie est un genre musical apprécié du public, qui goûte l'ivresse sonore que lui procure le grand orchestre. Rien qu'au long des 250 années qui séparent le classicisme de Haydn du modernisme de Schnittke, on compte les symphonies par centaines sinon par milliers. Ensemble, elles constituent un réservoir immense que même les plus grands orchestres ne font qu'effleurer. Toutes ces symphonies ne sont évidemment pas de valeurs égales même si chacune a sans doute demandé pas mal de travail à son auteur (Après tout, chaque page de partition doit comporter autant de portées qu'il y a de groupes d'instruments de l'orchestre et à l'époque de Mahler un format A4 ne suffisait plus). Les orchestres qui ont pignon sur rue se restreignent généralement aux oeuvres consacrées du répertoire : lorsqu'une Société philharmonique veut (r)assurer sa billetterie pour la durée d'une saison, il lui suffit de programmer une intégrale Beethoven, Bruckner, Mahler ou Schostakovitch, il a la certitude que le succès sera au rendez-vous. Les orchestres dits (sans le moindre dédain) "de province" réagissent éventuellement en occupant des niches moins fréquentées, c'est leur manière de survivre, sinon au concert du moins dans les studios d'enregistrement. Leur patiente prospection nous vaut régulièrement de belles découvertes que nous ne soupçonnions pas il y a quelques décennies et auxquelles cette chronique fait largement écho.
Disposition possible de l'orchestre symphonique moderne
LA SINFONIA BAROQUE
Le terme "Symphonie" dérive du grec "σύν φωνή (syn-phônê)", signifiant littéralement "sonner ensemble". Chez les romains, cela a donné "symphonia" que les (musiciens) italiens ont modernisé en "sinfonia", une appellation qui s'est imposée à une Europe musicale férue d'italianismes (Pour rappel, c'est en Italie, au 17ème siècle, qu'on a enregistré les progrès les plus significatifs de la facture instrumentale autorisant une musique pour ensembles de plus en plus étoffés). Bien que ne possédant pas encore la structure complexe de la symphonie moderne, la sinfonia est bien le point de départ de notre histoire :
- La formule primitive n'a eu recours qu'aux seules cordes, généralement accompagnées par un continuo assurant la basse. On trouve évidemment des symphonies pour cordes en Italie (lutherie oblige !), sous les plumes de Tomaso Albinoni (1671-1751) (sol mineur) ou d'Antonio Vivaldi (1678-1741) (ré majeur, RV 125) mais on en trouve aussi en Allemagne, dues par exemple à Johann Friedrich Fasch (1688-1758) (sol mineur). Bien que le modèle pour cordes seules ne se soit pas imposé à la postérité, il lui est arrivé de réapparaître ultérieurement (Felix Mendelssohn, n°7, 1821, Hans Rott, la bémol majeur, 1875, Benjamin Britten, Simple Symphony, 1934, William Schumann, n°5, 1943, Gloria Coates, n°1, 1974).
- La formule s'est étoffée progressivement par adjonction d'un nombre croissant d'instruments appartenant aux autres groupes instrumentaux, bois, vents et percussions. On trouve déjà des tentatives du genre chez Salomone Rossi (1570-1630) (Sinfonie à 3-4-5 parties) mais ce n'est que deux ou trois générations plus tard que la formule s'est généralisée, d'abord en Italie, grâce à Giuseppe Torelli (1658-1709) (ré majeur) et Antonio Caldara (1670-1736) (ut majeur), puis en Allemagne, grâce à Johann Melchior Molter (1697-1765) (n°99, il en a écrit plus de 170 !) et Johann Adolf Hasse (1699-1783) (ré majeur, fa majeur). Ces oeuvres étant normalement destinées aux salons princiers, on les range habituellement sous l'appellation de "Sinfonia da Camera".
- A la même époque, on appelle aussi sinfonia une pièce instrumentale préludant à une oeuvre vocale, religieuse ou profane. Certaines Cantates de J-S Bach (1685-1750) commencent par une Sinfonia (Cantate BWV 42). Les "Sinfonie da chiesa" s'insèrent habituellement dans le déroulement de l'Office, telles celles, particulièrement remarquables, de l'opus 2 de Francesco Manfredini (1684-1762) (ré mineur, où l'on entend brièvement le thème de l'Art de la Fugue de Bach). Quant à la "Sinfonia del Drama", qui en est le pendant profane, c'est une ouverture à l'italienne préludant un opéra (Leonardo Vinci (1690-1730), Artaserse, ou Antonio Vivaldi (1678-1741), Montezuma) ou un oratorio (Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Le Messie). On retrouve une classification déjà utilisée à propos de la sonate à l'ancienne (Sonata da camera et da chiesa).
Les oeuvres renseignées ci-avant ne sont qu'une part infime de la littérature mise à jour et on présume que beaucoup d'autres dorment encore dans les bibliothèques. Mal jouée, cette musique est insipide d'où l'intérêt de l'écouter pratiquée par des ensembles instrumentaux jouant sur instruments anciens et attentifs à la dynamique des articulations (Concerto Köln, English Concert, Academy of ancient Music, Arpa Festante, Orfeo Barockorchester, New Dutch Academy, etc).
LA SYMPHONIE PRÉCLASSIQUE
Il est d'usage de situer la fin de l'époque baroque à la mort de J-S Bach (1750) donc la naissance de l'âge (pré)classique à l'avènement de ses fils et de leurs contemporains. C'est commode mais approximatif car les temps étaient déjà en train de changer alors que Bach vivait encore (Cf ci-après, l'oeuvre de Mathias Monn, disparu prématurément la même année que Bach).
Définitivement affranchie de l'oeuvre vocale qui lui servait éventuellement d'hôte, la sinfonia préclassique a conservé la structure en 3 mouvements, vif-lent-vif, héritée de l'âge baroque. Ce modèle s'est répandu dans toute l'Europe et l'on recense encore aujourd'hui des "sinfonie" par centaines dans un inventaire jamais à jour : l'énumération qui suit mentionne éventuellement une borne inférieure pour le nombre d'oeuvres écrites par les compositeurs connus mais c'est sans compter les autres car ils sont loin d'être tous cités ! Une des raisons qui explique cette pléthore tient au fait que les musiciens baroques publiaient des symphonies par (demi-)douzaines afin d'honorer la commande de leur employeur princier. A cette époque, la quantité primait et cette habitude douteuse a longtemps été un obstacle à l'individualisation des oeuvres. - Deux musiciens particulièrement brillants ont fait le lien entre les périodes baroque et préclassique. Abandonnant la rigueur contrapuntique verticale, portée par J-S Bach à son point de perfection, ils ont initié un développement horizontal opérant par sections contrastées (Forme sonate, ABA, etc). En Italie, Giovanni Battista Sammartini (1700-1775) a écrit des dizaines d'oeuvres de qualité (≥78, dont certaines demeurent pour cordes seules : la majeur et célèbre sol majeur), tandis qu'à Vienne, Matthias Monn (1717-1750) (≥21 : sol majeur, si majeur) a fait preuve d'un immense talent (Ne manquez pas le superbe enregistrement consacré à son oeuvre, paru chez CPO).
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
La musique instrumentale de
Georg Matthias Monn (1717-1750)
Matthias Georg Monn - Concerto pour violoncelle en sol mineur (arrangé par Arnold Schoenberg)
(né à Vienne, le 9 avril 1717 - décédé à Vienne, le 3 octobre 1750)
arrangé par Arnold Schoenberg (Schönberg)
(né à Vienne, le 13 septembre 1874 – décédé à Los Angeles, le 13 juillet 1951)
https://repertoire-explorer.musikmph.de/en/product/monn-georg-arr-arnold-schonberg/
https://repertoire-explorer.musikmph.de/prefaces/4769.html
Matthias Georg Monn est
un compositeur dont la musique fait le pont entre la fin du baroque et le début de la période classique. Monn est né à Vienne en 1717 et est mort très jeune dans cette même ville en 1750. On sait relativement peu de choses sur la vie professionnelle de Monn, si ce n'est qu'il a été choriste, organiste d'église et professeur à Vienne et dans ses environs. Au cours de sa courte vie, il a composé seize symphonies, de la musique de chambre et un certain nombre de concertos. Son style musical intégrait les techniques contrapuntiques plus lourdes de compositeurs comme JS Bach avec les textures plus fines et les innovations formelles émergentes de la période pré-classique. Bien que Monn semble avoir été très respecté à Vienne (une partie de sa musique a été jouée à la cour impériale), il n'était pas très connu dans le reste de l'Europe et aucune de ses œuvres n'a été publiée de son vivant.
Comment expliquer alors l’intérêt apparemment singulier d’Arnold Schoenberg pour ce compositeur viennois plutôt marginal ? Schoenberg lui-même est surtout connu comme le père présumé de la musique moderne, un révolutionnaire et un progressiste radical dont la musique dérangeante, dissonante et expressive, associée à un processus de composition quasi mathématique développé dans les années 1920, continue de défier les oreilles des auditeurs jusqu’au XXIe siècle. En effet, Schoenberg a été salué comme le « croque-mitaine » de la musique moderne et décrié comme un destructeur de la tradition musicale classique. Bien entendu, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
Né à Vienne en 1874, Schoenberg était profondément attaché à la tradition musicale austro-allemande et se considérait paradoxalement comme un « révolutionnaire conservateur » dont la musique représentait simplement une étape évolutive inévitable dans le développement de la musique artistique et dont l’éthique compositionnelle revendiquait des racines remontant à la Renaissance. Schoenberg a affirmé, à différentes périodes de sa vie, respecter profondément les valses de Johann Strauss et les opérettes de Franz Lehár, ou être un mozartien, ou un brahmsien, ou trouver des preuves de ses innovations harmoniques explosives déjà présentes dans la musique de Bach. Il a également écrit l’un des traités les plus importants et les plus influents du XXe siècle sur l’harmonie tonale, a utilisé presque exclusivement la musique de l’ère tonale pour enseigner à ses centaines d’étudiants en composition et a passé une grande partie de sa vie à faire des transcriptions et des arrangements de musiques sérieuses et légères d’autres compositeurs.
Il est intéressant de noter que le premier engagement de Schoenberg avec l'œuvre de Monn date d'environ 1911-13, qui était l'apogée de la période la plus radicale de Schoenberg : une exploration de courte durée de ce qu'on appelle « l'atonalité libre » - une musique de dissonance « émancipée », sans tonalités ni harmonie fonctionnelle comme principes organisateurs - et de l'expressionnisme, culminant dans le mélodrame de 1912 Pierrot Lunaine, op. 21. En 1912, Schoenberg avait déjà terminé, sur commande du musicologue viennois Guido Adler, plusieurs réalisations de basse chiffrée pour des œuvres de Monn à inclure pour publication dans une anthologie. Au début de mars 1913, Schoenberg fut à nouveau dirigé vers Monn par Adler, qui lui écrivit pour lui offrir l'opportunité – et des honoraires – de composer deux cadences sur mesure pour le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Monn, qui devait être joué à Vienne par le violoncelliste espagnol Pablo Casals plus tard dans l'année. Schoenberg fournit également les réalisations de basse chiffrée pour la pièce.
Comme à son habitude, le compositeur produisit des cadences beaucoup trop longues et trop élaborées – du moins selon Adler – et qui nécessitèrent même quelques modifications de la partition originale de Monn pour les intégrer. Au final, alors que Schoenberg fut payé pour ses efforts, Casals n’utilisa pas ses cadences : il déclara plus tard qu’il les trouvait peu idiomatiques et « impossibles à jouer ». Les autographes des cadences de Monn de Schoenberg ne furent découverts dans sa succession qu’en 1957, six ans après sa mort ; elles ne furent jamais incluses dans les versions publiées de son arrangement du concerto.
Le concerto de Monn lui-même est écrit comme un concerto grosso, avec un concertino pour violoncelle contre un petit ensemble à cordes et un continuo. L'arrangement de Schoenberg comprend également un « cembalo concertino » optionnel : l'œuvre peut ainsi être interprétée comme un concerto pour clavier, en omettant la partie de basse continue. Dans l'ensemble, l'écriture de Monn pour le violoncelle n'est pas virtuose, évitant la figuration baroque élaborée en faveur de lignes mélodiques claires et bien structurées. L'œuvre est conçue selon la forme traditionnelle du concerto en trois mouvements, avec un allegro d'ouverture, un mouvement central adagio et un allegro non tanto de clôture. Les mesures d'ouverture majestueuses du premier mouvement s'allègent rapidement, passant au mode majeur et offrant des virages mélodiques surprenants et enjoués ainsi qu'une variété rythmique croissante. Le mouvement central sans prétention est tout en charme, construit autour de mélodies tendres et discrètes pour violoncelle sur un fond épuré. L'écriture de Monn est ici lyrique, économique et sans chichis, laissant entrevoir l'influence du galant. Le dernier mouvement s'ouvre avec une grande fioriture, et si le spectre de Bach imprègne certainement une grande partie de la musique, on y trouve également quelques passages énergiques, à la manière de Vivaldi, tandis que d'autres font allusion à la grandiloquence et à la clarté formelle de contemporains comme Johann Stamitz. On peut même dire qu'il y a quelques aperçus hésitants dans l'avenir qui laissent entrevoir la plus grande expressivité qui va bientôt apparaître dans la musique de Haydn.
L'édition par Schoenberg du Concerto pour violoncelle en sol mineur de Monn fut l'une de ses premières collaborations avec les concertos de Monn, mais ce ne fut pas la dernière. Entre la fin de 1932 et le début de 1933, Schoenberg produisit un autre « arrangement » d'un concerto de Monn, apparemment pour Casals, transformant le concerto pour clavecin en ré majeur de Monn en concerto pour violoncelle ; cependant, une première exécution avec Casals échoua et l'œuvre fut en fait créée par Emmanuel Feuermann. Cet arrangement particulier et singulier, qui est presque une recomposition de l'original de Monn, est plus connu et plus fréquemment joué, et présente un orchestre considérablement élargi et de nombreuses libertés prises par Schoenberg.
Alexandre Carpenter, 2023
Pour le matériel de performance, veuillez contacter Universal Edition, Vienne.
https://repertoire-explorer.musikmph.de/en/product/monn-georg-arr-arnold-schonberg/
https://repertoire-explorer.musikmph.de/prefaces/4769.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
- En Bohème, les membres de l'école de Mannheim ont été particulièrement actifs : Franz Xaver Richter (1709-1789) (≥69 : sol mineur, ré majeur), Johann Stamitz (1717-1757, à ne pas confondre avec ses deux fils Carl et Anton, cf infra) (≥58 : la majeur, ré majeur) et Christian Cannabich (1731-1798) (≥70 : mi bémol majeur, ré majeur) mériteraient que les studios d'enregistrement se penchent plus sérieusement sur leur catalogue.
- En Autriche, singulièrement à Vienne, les musiciens ont également pratiqué l'écriture en (grandes) séries : Ignaz Holzbauer (1711-1783) (≥69 : 5 symphonies, appréciez le travail de la chef Michi Gaigg, qui sauve ces oeuvres de la routine), Christoph Willibald Gluck (1714-1787, moins influent dans le domaine instrumental que dans celui lié au monde de l'opéra) (≈ 18 : sol majeur) et Georg Christoph Wagenseil (1715-1777) (≥96 : si bémol majeur et sol mineur).
- L'Allemagne a emboîté le pas avec talent et prodigalité, la liste suivante (très incomplète !) le montre : Christoph Graupner (1683-1760) (≥110 : GWV 571, qui évoque Rameau, singulière GWV 566, avec ses appels de timbales), Johann Melchior Molter (1696-1765) (≥140 : joyeuse n°99), Heinrich Graun (1702-1771) (nerveuse ut majeur), son frère Johann Gottlieb Graun (1703-1771) (≥97 : mi bémol majeur), Christoph Schaffrath (1709-1763) et Anton Fils (1733-1760) (≥30 : la majeur, sol mineur). D'un point de vue autant historique que musical, les contributions des fils de J-S Bach ont été essentielles, particulièrement celles des aînés, Wilhelm Friedemann (1710-1784) et Carl Philipp Emanuel (1714-1788). WF, que son père considérait comme le plus doué, a parfois anticipé le cours de l'histoire préromantique : admirez ces 7 Symphonies, dont, en entrée, la "fa majeur" (dite "des dissonances", enfin tout est relatif !), puis la très belle "ré majeur" en 21:05. La postérité a pourtant davantage célébré son frère, CPE, qui a, de fait, reçu l'attention des plus grands interprètes baroques, séduits par son style nerveux et plein d'humeurs. Tournant définitivement le dos à l'esprit galant, ses 18 symphonies incarnent les courants successifs de l'Empfindsamkeit (Sensibilité exacerbée, 1740-1760) et de sa suite naturelle (plus techniquement sophistiquée), "Sturm und Drang" (Tempête et Passion, 1760-1770). Ses oeuvres, à connaître par coeur, sont réparties en 3 sous-ensembles : 8 Symphonies berlinoises (Wq 173 et suiv.), 6 Symphonies pour cordes seules (Wq 182/1-6) et par-dessus tout 4 Symphonies hambourgeoises (Wq 183/1-4), qui dépassent en véhémence rythmique tout ce qui a été écrit jusque-là. Ces oeuvres novatrices se caractérisent par une liberté fiévreuse dans l'expression des sentiments exacerbés (Changements brusques de rythmes et de tempi, silences inattendus, ..., tous procédés destinés à mimer les sautes d'humeur), qui annoncent les bouleversements révolutionnaires encore en couveuse. N'oubliez pas pour autant les deux demi-frères cadets, Johann Christian Bach (1735-1782) (opus 6, 9 & 18) et Johann Christoph Friedrich Bach (1732-1795) (ré mineur), même s'ils se sont montrés nettement moins aventureux. Dans la foulée, ce sont quantité de musiciens importés (de Silésie, de Bohême, etc) qui ont participé avec plus ou moins de talent à la vie musicale allemande, en particulier berlinoise à la Cour de Frederic II de Prusse : Johann Gottlieb Janitsch (1708-1762) (≥7 : mi bémol majeur et en sol majeur) et deux (des trois) frères Benda, Franz (1709-1786) (ut majeur) et Georg Anton (1722-1795) (ré majeur).
- La mode de la symphonie a diffusé un peu partout en Europe : au Danemark, Johann Adolf Scheibe (1708-1760) (≥70 : ré majeur (Der Tempel des Ruhmes) et ré majeur a 16), en Angleterre, Thomas Arne (1710-1778) (≥12 : n°1 à 4) et surtout William Boyce (1711-1779), dont l'opus 2 propose 8 symphonies électrisantes lorsqu'elles sont jouées à la perfection. A vous de voir si vous préférez le mètre régulier de Neville Marriner (n°1, n°2, n°5) ou celui légèrement plus débridé de Trevor Pinnock (n°1, n°5, n°8). Notez que les oeuvres de Arne et de Boyce sont en fait des ouvertures pour des musiques de scène, détachées de leur contexte. En France, le genre de la symphonie a peiné à s'imposer par respect pour le style Versaillais alors en vigueur : Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) en a écrit 6, en fait des sonates en forme de symphonies (opus 3/1), et Antoine Dauvergne (1713-1797) en a écrit 4 (en fait des concerts de symphonies), aucunes n'avouant franchement leur nom. Simon Le Duc (1742-1777) (n°2) était parti pour s'affranchir des contraintes de Cour mais il est hélas mort trop tôt pour confirmer ses évidentes dispositions.
Dans les Flandres proches, l'oeuvre de Pieter van Maldere (1729-1768) mériterait d'être davantage explorée par les éditeurs (≥45 : sol mineur, ré majeur). Ce musicien, un temps membre du Concert Spirituel à Paris, a compté parmi les premiers immigrés (Grétry, Gossec, etc) en provenance d'une Belgique non encore constituée.
Le répertoire évoqué ci-avant est tellement immense qu'il est menacé par la redondance. Au concert et plus souvent au disque, c'est alors la qualité des interprètes, en particulier leur maîtrise des (articulations sur) instruments anciens, qui décide de l'intérêt de l'écoute. Les ensembles Concerto Köln et Musica Antiqua Köln ne vous décevront jamais mais il y en a d'autres, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Belgique et en France.
LA SYMPHONIE CLASSIQUE
Le modèle de la symphonie (de coupe) classique a été sinon inventé du moins fixé par Joseph Haydn (1732-1809). Il s'agit d'une structure relativement invariable en 4 mouvements, allegro - andante (ou adagio) - minuetto - finale allegro (mais il arrive que l'ordre des mouvements soit permuté ou qu'il n'y en ait que trois). Une excellente intégrale est disponible chez Brillant qui vous donnera d'autant plus de satisfaction qu'elle ne vous aura coûté que 45 euros (pour 33 CD !). Adam Fischer y dirige l'Austro-Hungarian Haydn Orchestra, un ensemble constitué en 1987 sur base de la participation volontaire de membres d'orchestres en activité à Vienne et à Budapest. Les instruments sont modernes et le chef s'est surtout attaché à restituer l'idiome très particulier de la musique de tradition austro-hongroise (accentuations dynamiques, rubato, ralentandi mesurés, syncopes légères, etc). Si vous exigez les instruments anciens, ce qui est légitime en ce qui concerne les oeuvres précoces, de styles galant ou Sturm und Drang, sachez que l'ensemble Il Giardino Armonico a fait des merveilles sous la direction de Giovanni Antonini (n°12, n°70).
Les 106 symphonies de Haydn sont numérotées de 1 à 104 (!) car on adjoint habituellement deux oeuvres arbitrairement répertoriées A (= 1 bis) et B (= 1 ter). Leur composition s'est étalée sur un laps de temps considérable (1757-1795), ce qui explique que le musicien soit passé par tous les stades de l'évolution esthétique prérévolutionnaire. Suivez le guide dans un premier parcours rapide et refaites la promenade complète à votre aise, si cela vous a plu, en détaillant :
- Les Symphonies de jeunesse (préclassique, en gros n°1 à 33). Les n°6-7-8, datant de l'arrivée de Haydn à la cour d'Estherhazy (1761), comptent parmi ses premières grandes réussites dans le genre. Surnommées Le Matin, Le Midi et Le Soir (En français le plus souvent sur les partitions), elles sont (encore) en 3 mouvements, vif-lent-vif, un héritage de l'ancienne sinfonia. Comme la plupart des symphonies de jeunesse, elles sont en tonalité majeure (Il faudra attendre la n°26 pour voir apparaître une tonalité mineure), ce qui leur confère un entrain constituant un excellent remède contre la mélancolie.
- Les symphonies Sturm und Drang (n°34 à 59), dynamiques par définition, n'ont eu aucune peine à inspirer l'un ou l'autre surnom permettant de les identifier (Le Feu, La Passion, Marie Thérèse, Les Adieux, Le Palindrome, Le Maître d'Ecole, ...).
- Les symphonies classiques (n°60 à 81) débordent des cadres précédents par l'ampleur de leur construction : elles sont pour la première fois clairement destinées à la salle de concert alors en pleine expansion (Le Distrait, n°76).
- Les 6 symphonies parisiennes (n°82 à 87, L'Ours, La Poule, La Reine, ...) sont le fruit d'une commande du Comte d'Ogny et elles ont été suivies par cinq autres (n°88 à 92, celle-ci surnommée "Oxford" suite à la proclamation de Haydn au titre de Docteur en Musique de la célèbre Université).
- Les fameuses 12 symphonies londoniennes (n°93 à 104) couronnent l'oeuvre du Maître. Elles ont été composées à la faveur des deux séjours que Haydn a effectués dans la capitale anglaise (1791-1795). Elles ont longtemps alimenté en priorité le répertoire (haydnien) des concerts d'abonnements et, de fait, la dernière, justement surnommée London Symphony, s'impose comme le dernier témoignage d'une époque révolue.
Note.
Les sous-titres abondent dans les symphonies de Haydn (souvent en français, langue pratiquée à la Cour, sauf bien sûr en ce qui concerne les symphonies londoniennes) mais ils ne sont généralement pas de l'auteur : la plupart ont été donnés après coup pour attirer l'attention sur une particularité de l'un des mouvements, participant de l'anecdote ou de la malice, celle-ci fréquente chez le compositeur. Par exemple, la symphonie n°45 s'appelle Les Adieux car Haydn a prévu que les musiciens quittent la scène un à un pendant l'ultime section adagio du finale afin de protester contre le séjour prolongé que le Prince Nicolas Esterházy leur imposait dans sa résidence d'été, loin de leurs foyers d'Eisenstadt (Une action syndicale qui fut couronnée de succès dès le lendemain !). Autre exemple, la symphonie n°82 a été baptisée "L'Ours" en rapport avec le début volontairement pataud de son vivace final. Quant au palindrome dont il est question dans la symphonie n°47, il renvoie au 3ème mouvement (menuet) dont le thème principal (10 mesures) est finalement réexposé (deux fois consécutivement) d'abord à l'endroit puis à l'envers.
Symphonie n°47 Palindrome à la fin du menuet
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
Nos oreilles volontiers blasées rechignent souvent à apprécier à leur juste valeur les progrès accumulés par Haydn au cours de ses 38 années de composition symphonique. Au risque de passer pour un dangereux contestataire, je soutiens que ce vaste corpus surpasse en (valeur) moyenne tout ce qui s'est écrit dans le genre à cette époque, Mozart y compris. Celui-ci n'a de fait surpassé Haydn que dans ses (disons sept) dernières symphonies.
L'autre artisan de la symphonie classique a précisément été Wolfgang Mozart (1756-1791), qui a travaillé le genre entre 1764 et 1788. Le catalogue établi, vers 1862, par Ludwig von Köchel (1800-1877), est toujours d'actualité malgré un grand nombre d'erreurs et de corrections successives, la dernière en 2013. Il recense 41 symphonies authentifiées à ce jour. La première, KV 16 a été composée par un enfant de 8 ans sans que l'on connaisse avec certitude le niveau d'assistance du père. Une réponse commode mais désormais caduque a été que Leopod Mozart (1719-1787) n'a jamais rien écrit de comparable. On a pu penser cela à une époque où l'on ne connaissait de lui qu'une anodine Symphonie des Jouets mais aujourd'hui notre connaissance de son oeuvre a nettement progressé dans le bon sens (sol majeur). La majorité des symphonies de jeunesse de Wolfgang (n°7) ne s'écartent guère de l'esprit de la Sérénade, un genre qu'il a abondamment pratiqué par ailleurs. Par rapport aux oeuvres contemporaines de Haydn, on observe un retour au style galant que le génie de Mozart transcende cependant. Au bilan, il n'empêche que les 20 premières oeuvres (KV 16 à 133), sont nettement interchangeables, seulement sauvées par leur grâce inimitable. Le niveau s'est élevé à partir de la Symphonie n°21 pour atteindre des sommets de classicisme à partir de la n°35. L'ensemble culmine avec l'extraordinaire fugue finale de la Symphonie n°41 (Jupiter, en 28:05). Pour la petite histoire, ce finale démarre sur un motif de 4 notes, do, ré, fa, mi déjà joué (en notes longues, par les cors) dans l'andante de la n°1
une façon de fermer la boucle car Mozart ne reviendra plus à la symphonie, consacrant les trois années qui lui restent à vivre à ses dernières grandes oeuvres vocales.
Diriger une symphonie de Mozart avec un orchestre moderne est une entreprise périlleuse, en cause l'équilibre des parties : voici deux interprétations déjà anciennes mais parfaitement mises en place par de vrais chefs mozartiens, Karl Böhm (1894-1981) et Josef Krips (1902-1974). Si vous préférez une intégrale sur instruments anciens, celle réalisée par Trevor Pinnock (chez Archiv) est parfaite et elle ne vous coûtera que 33 euros pour 11 CD. Celle de Jaap ter Linden, parue chez Brillant, est encore moins chère mais, chaque chose pour son prix, elle est aussi moins incisive.
La firme Chandos a publié une vaste collection d'enregistrements consacrés à des symphonies contemporaines de celles de Mozart mais rarement entendues (Série Contemporaries of Mozart). Ils bénéficient d'une interprétation exemplaire des London Mozart Players, dirigés par Matthias Bamert. 30 CD sont parus isolément, à un prix fort peu démocratique mais fort heureusement, ils ont ensuite été regroupés en 3 albums de 10 CD chacun, à un prix cette fois tout à fait convenable (Vérifiez quand même, si toutefois vous les trouvez, car les éditeurs sont versatiles !). Vous trouverez quelques beaux échantillons dans les paragraphes qui suivent.
Le modèle de la symphonie classique a rapidement diffusé autour de son foyer initial (Bohême-Autriche-Allemagne) :
En Bohême, Franz Ignaz Beck (1734-1809) (≥24 : sol mineur), Josef Myslivecek (1737-1781) (≥85 : n°1 à 6), Jean-Baptiste Vanhal (1739-1813) (≥76 : sol, ré & ut mineur, d'un grand pouvoir expressif !) et Leopold Kozeluch (1747-1818) (sol mineur) ont fait de petites merveilles. J'attire particulièrement votre attention sur (le réel talent de) Paul Wranitzky (1756-1808), qui s'est imposé comme révolutionnaire avant la lettre dans ses belles ut mineur et ré majeur, bientôt suivies par la pompeuse et descriptive Grande Symphonie pour la Paix avec la République française. Les temps étant manifestement en train de changer, il n'a manqué à toutes ces oeuvres qu'un nouvel idiome capable d'incarner ce changement d'époque (Réécoutez le formidable adagio initial de la "ré majeur" et déplorez, comme moi, la rupture inappropriée de ton lorsque l'allegro s'enchaîne, en 3:40).
En Autriche, Michael Haydn (1737-1806), le frère cadet de Joseph, a écrit 43 oeuvres auxquelles on ne peut reprocher que d'avoir été coulées dans un moule unique. Un enregistrement intégral est disponible chez CPO (n°5, n°8, n°16, n°28, n°39). Karl Ditters von Dittersdorf (1739-1799) s'est illustré dans le genre naissant de la symphonie à programme (La Prise de la Bastille ou l'excellent cycle d'après les Métamorphoses d'Ovide, I, II, III, IV, V, VI). Franz Anton Rösler (alias Antonio Rosetti, 1750-1792) (≥44 : ré majeur) et Anton Eberl (1765-1807) (ut majeur, 1785, ré mineur, 1804) se sont révélés de bons artisans tardifs, dommage qu'Eberl ait si explicitement pillé l'oeuvre de Mozart (n°35, KV 385 : exercez-vous à rassembler les preuves dès le début de l'ut majeur).
En Allemagne, si Carl Friedrich Abel (1723-1787) a fait figure de proue (6 Symphonies, opus 7), ma préférence va vers un autre personnage illustre que ce site partiellement dévolu à la science ne pouvait ignorer : William Herschel (1738-1822), le grand astronome à qui l'on doit la découverte d'Uranus en 1781, a également écrit de la très belle musique (Symphonie n°8). Ernst Eichner (1740-1777) (≥31 : Symphonie, opus 7-4) fut célèbre en son temps, hélas pour lui, les temps ont changé; quant à Georg Joseph Vogler (alias l’abbé Vogler, 1749-1814), il est demeuré connu davantage comme pédagogue influent que comme compositeur (ut majeur, 1799) tant il fut moqué par Mozart. Enfin, l'excellent Joseph Martin Kraus (1756-1792) (≥12 : ut mineur, mi bémol majeur) est désormais passé à la postérité grâce à quelques beaux enregistrements de l'ensemble Concerto Köln, parus en album chez Capriccio.
En Italie, Luigi Boccherini (1743-1805) (≥33 : ut majeur G 523, ré majeur G 490) s'est imposé d'autant plus facilement comme chef de file que son plus sérieux rival, Antonio Casimir Cartellieri (1772-1807), n'a pas dépassé l'âge de 25 ans. On redécouvre aujourd'hui l'oeuvre de ce météore musical itinérant, né à Gdansk d'un père italien et d'une mère lettone, et qui a terminé sa courte carrière, à Vienne, comme Maître de Chapelle du Prince Joseph Lobkowicz. Il y a bien connu Beethoven, partageant même avec lui l'affiche de quelques concerts privés. Ses 4 symphonies font un lien remarquable entre le Haydn tardif et le jeune Beethoven.
En France, où la symphonie ne fait toujours pas partie des genres prioritaires, on n'a pu compter que sur l'inusable François-Joseph Gossec (1734-1829), qui a survécu à tous les régimes sans pour autant véritablement évoluer en passant de l'un à l'autre (ré majeur).
La symphonie classique a été profondément stylistiquement liée à l'(ordre régnant au sein de l')Ancien Régime. La Révolution de 1789 ayant frappé les esprits un peu partout en Europe, il est rapidement devenu clair que la Musique, en particulier la symphonie, allait fatalement s'en trouver bouleversée. Nul ne sait quels chemins elle aurait emprunté pendant la décennie 1790-1800 si Mozart avait vécu plus longtemps car avec la "Jupiter (1788)" il était clairement passé dans une nouvelle dimension. Le Destin a répondu à sa façon à cette question passablement vide de sens : Mozart est décédé prématurément, en 1791, abandonnant la place viennoise à un autre musicien d'exception, Ludwig van Beethoven (1770-1827).
Alors qu'il n'avait pas encore quitté sa ville natale de Bonn, le jeune Beethoven a suivi avec enthousiasme les péripéties de la Révolution française, n'en retenant que les épisodes glorieux. Dans l'enthousiasme d'un romantisme naissant, il a compris que le moment était venu de libérer les individus et surtout que la Musique y contribuerait plus vite et plus sûrement que la Politique. Il a puisé dans des événements idéalisés à l'extrême l'inspiration nécessaire, capable de révolutionner non seulement son art mais l'Art tout entier. Ce fut le sens de son combat, affirmé dès la création de sa première symphonie, en 1800.
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
LA RÉVOLUTION BEETHOVENIENNE
Les prémices
Une oeuvre (scientifique, artistique, ...), aussi novatrice soit-elle, ne sort jamais tout à fait du néant : bien des idées nouvelles même inabouties préexistent souvent, attendant qu'un esprit clairvoyant opère la cristallisation nécessaire. L'oeuvre symphonique de Beethoven a participé de ce cheminement créatif. Elle a certes plongé ses premières racines dans l'oeuvre sinon dans l'enseignement épisodique de son professeur, Joseph Haydn, mais c'était loin de suffire. Les idées originales et le langage novateur adapté (Toutes choses que le même Haydn, attentif mais incrédule, qualifiait de "bizarreries"), Beethoven les a certainement puisées intérieurement mais en respirant l'air du temps et ce n'est pas diminuer ses mérites de penser qu'il a pu s'inspirer d'accents répandus par quelques devanciers incapables d'expliciter davantage leurs intuitions.
L'un d'eux fut assurément Justin Heinrich Knecht (1752-1817), un organiste et compositeur allemand que l'on redécouvre aujourd'hui. Sa surprenante symphonie à programme, Le Portrait musical de la Nature (1785 !), est désormais disponible chez Carus sous la direction du toujours excellent Frieder Bernius. Cette oeuvre préfigure, avec 20 ans d'avance, la Symphonie Pastorale, orage compris. On peut légitimement se demander si Beethoven a eu connaissance de cette oeuvre étonnante. Personnellement je n'en serais guère surpris : dès l'exposition, on entend distinctement des accents que l'on retrouve non seulement dans la "Pastorale" mais aussi dans les premiers mouvements de l'"Eroica" et, plus surprenant, du "Triple Concerto".
Le massif des 9 symphonies
Beethoven n'a écrit que 9 symphonies, ce qui paraît peu si l'on compare avec ses illustres devanciers, Haydn et Mozart. Mais c'est précisément cette parcimonie qui fait le prix de l'ensemble car aucune de ces oeuvres ne ressemble à l'autre. Sans être, inévitablement, d'importances égales (On colporte que les symphonies paires innovent moins, se concentrant sur une consolidation des acquis des oeuvres précédentes mais ce slogan est loin de faire l'unanimité), elles sont toutes indispensables au répertoire et d'ailleurs celui-ci ne s'en prive pas : les symphonies du Maître de Bonn sont - de loin et depuis 200 ans - championnes du monde de la programmation des concerts symphoniques. Les analyses séminales de Berlioz et Wagner, ont été suivies d'un nombre incalculable d'études (En français, les travaux historiques de Jacques-Gabriel Prod'homme et Jean Chantavoine), soucieuses de percer le mystère de leur éloquence et peut-être surtout de leur inaltérabilité malgré une programmation insistante. Il n'est pas certain qu'ils y soient parvenus et c'est tant mieux pour la préservation du mystère musical.
La préoccupation essentielle de Beethoven a été d'écrire une oeuvre universelle, compréhensible par le plus grand nombre sans rien concéder à la facilité. Un fait au moins ne s'est jamais démenti : un grand nombre de mélomanes en herbes ont commencé leurs pérégrinations musicales au son des 9 symphonies. Même ceux qui se sont crus lassés de les avoir trop entendues et qui en ont pris congé, pour se lancer à la découverte d'autres horizons, y reviennent tôt ou tard, lorsque l'exigence finit par s'imposer de distinguer l'essentiel de l'accessoire.
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
Les interprètes
Les 9 symphonies ont été enregistrées un nombre incalculable de fois depuis un siècle et il est illusoire de mettre d'accord deux mélomanes à la recherche des meilleures interprétations. L'expérience montre, à ce sujet, que nous sommes souvent pris en otage par la version, parfois ancienne, qui nous a révélé une oeuvre particulière lorsque nous étions jeunes : elle nous pousse souvent inconsciemment à retrouver le son de cette "Madeleine de Proust". De toutes façons, il n'est pas possible de départager les "meilleures" versions sans faire des choix préalables concernant les paramètres qu'on entend privilégier (et qui conviennent mieux à certaines symphonies plutôt qu'à d'autres) :
Les nostalgiques de la grande tradition germanique ne jurent que par les versions grandioses captées sur le vif ou en studio, autour des années 1950, et dirigées par Otto Klemperer (1885-1973) (n°9), Bruno Walter (n°9), Erich Kleiber (n°9) ou Wilhelm Furtwängler (n°9, interprétation légendaire, quasiment métaphysique, enregistrée lors de la réouverture du Festival de Bayreuth en 1951; certains lui préfèrent la version de Berlin de 1942 et surtout celle de Lucerne de 1954 mais je crains qu'ils se laissent abuser par la meilleure qualité de la prise de son). A cette époque on privilégiait l'ampleur et la rondeur de la sonorité orchestrale sans craindre une part de flou artistique dans les attaques. Ce n'est pas un hasard si l'illustration comparative choisie porte sur (le début de) la 9ème : les premières mesures font surgir la lumière d'un monde désordonné en pleine gestation. Furtwängler, en particulier, a estimé que pour suggérer idéalement cette genèse, il convenait de ne pas exiger une synchronisation parfaite des musiciens de l'orchestre dans la quinte descendante initiale (la-mi), jouée pianissimo par les cors et en trémolo par les cordes
(Il en ira différemment, en 1954, lorsque Karajan prendra la relève de Furtwängler à la tête de l'orchestre de Berlin, insistant au contraire sur la précision de l'attaque ). Même lorsqu'ils sont anciens, ces enregistrements historiques demeurent étonnamment audibles, le souffle épique qui anime l'orchestre compensant largement le souffle des enregistreurs de l'époque. Voici une intégrale Furtwängler compilée par EMI.
D'autres amateurs préfèrent les interprétations cliniques, où chaque détail est mis en place sans rien laisser au hasard de l'improvisation. Ceux-là ne se séparent pas des interprétations chirurgicales du Karajan des années 1960, telle celle de la n°5 filmée par Henri-Georges Clouzot, en 1966, dans un film-culte volontairement (et judicieusement) cadré en noir & blanc. On ne peut manquer d'admirer l'extraordinaire pouvoir de conviction d'un chef qui administre la preuve définitive que cette oeuvre est une merveille de concision ne tolérant aucune altération de note. Karajan atteint là un des objectifs majeurs de la direction d'orchestre : entendre intérieurement un son et l'obtenir des musiciens sans exception. C'est particulièrement le cas dans le célèbre début de la 5ème qui ne se décline pas du tout "pom-pom-pom-pom" (onomatopée parfaitement ridicule) mais bien "ta-ta-ta-daa", en insistant sur l'exploit d'avoir obtenu des cordes quasiment seules (à l'exception des deux clarinettes) l'attaque la plus percussive qui soit.
Notes. 1. La collaboration pourtant prometteuse entre Karajan et Clouzot ne s'est pas prolongée au-delà de quelques réalisations, le chef estimant qu'il n'était pas suffisamment mis en évidence. Karajan s'est alors associé au cinéaste Hugo Niebeling qui a corrigé le tir dans une n°6 (Pastorale) impeccablement léchée. Pour la petite histoire, Karajan qui voulait décidément tout contrôler, a également mis un terme à cette collaboration pour se charger personnellement de sa propre mise en scène. Prosaïques (n°7), ses montages n'ont pas été à la hauteur de sa direction d'orchestre, chacun son job. 2. Karajan a enregistré plusieurs cycles complets, que l'on différencie en fonction de l'orchestre ou de la décennie pendant laquelle ils ont été gravés (London Philharmonia orchestra, années 1950, chez EMI ou Berliner Philharmoniker, années 1960, 1970 et 1980, chez DGG). Karajan a, en effet, (ré)enregistré les symphonies toutes les décennies, entendant mettre à profit les progrès techniques les plus récents. Au plan interprétatif, ce fut une toute autre histoire, les deux premières intégrales étant de loin les plus recommandables par leur urgence radicale. C'est d'ailleurs l'intégrale des années 60 qui a retenu le maximum des suffrages tant auprès des spécialistes que du public (Un million d'exemplaires vendus !). Les deux dernières versions bénéficient certes de tout le confort imaginable, en particulier d'un orchestre sans faille (Les Berliner), mais le résultat est devenu trop apprêté.
Les chefs appartenant aux générations suivantes ont cherché leur voie entre les approches contrastées ci-avant. Dans la mouvance liée à la grande tradition, on trouve Sergiu Celibidache (1912-1996), Gunther Wand (1912-2002), Kurt Masur (1927-2015), Carlos Kleiber (1930-2004, le fils d'Erich), Lorin Maazel (1930-2014), Gunther Herbig (1931- ) et beaucoup d'autres. A Berlin, on trouve sans surprise, les successeurs de Karajan à la (tête de) la Philharmonie, Claudio Abbado et Simon Rattle, tandis que d'autres chefs se sont mis en évidence à la tête des autres grands orchestres continentaux (Staatskappelle de Dresde, Gewandhaus de Leipzig, Concertgebouw d'Amsterdam, Wiener Philharmoniker, etc) : Daniel Barenboim (1942- ), Riccardo Chailly (1953- ), Christian Thielemann (1959- ), ... .
Mentionnons enfin une troisième voie, très différente. Comprenant qu'il leur serait toujours plus difficile d'innover dans un répertoire aussi fréquenté, quelques chefs directement issus du monde baroque ont eu l'idée d'exercer leur compétence des instruments d'époque afin de proposer une sonorité présumée proche de celle en cours à Vienne, vers 1820. On comprend la démarche même si on doute de la pertinence absolue de l'argument invoqué : il ne fait guère de doute que la qualité des interprétations entendues lors des académies viennoises devait être médiocre (Même 60 ans plus tard, le chroniqueur musical, Bernard Shaw, se plaignait encore de n'entendre que des versions routinières servies par des ensembles peu professionnels au sens où nous l'entendons aujourd'hui). La démarche "classiqueuse" se défend cependant d'un point de vue acoustique (verdeur des instruments) et prosodique (dynamique des articulations). Nikolaus Harnoncourt a été le premier à montrer la voie, ici dans l'Eroica, bientôt suivi par Roger Norrington, John Elliot Gardiner et le dernier en date, Jos van Immerseel. Ironiquement, tous, chacun à leur tour, ont prétendu opérer un retour aux sources des partitions originales, révélant quantité de détails (différents !) qui étaient auparavant noyés dans la masse orchestrale voire qui avaient carrément disparu, en cause l'utilisation d'éditions "remaniées" présumées abusivement fantaisistes. Sans réelle surprise ce sont les deux premières symphonies qui tirent le meilleur bénéfice de cette approche et, de fait, l'ensemble Anima Eterna livre une des meilleures versions existantes de la n°1. Les interprétations "historiquement informées" souffrent cependant (à mon avis) d'une addiction à l'inouï : une fois passé l'effet de surprise, elles finissent par s'émousser et perdent progressivement de leur pouvoir de persuasion. Cette approche qui a plutôt bien fonctionné pour les n°1 à 8 s'est néanmoins heurtée à l'obstacle de la 9ème, une oeuvre monumentale trop projetée vers l'avenir pour s'accommoder d'une réduction des effe(c)t(if)s sonores.
Le fantasme d'une 10ème symphonie
On sait avec certitude qu'en 1827, année de sa disparition, Beethoven avait en tête le projet d'une 10ème symphonie destinée à la Société philharmonique de Londres. S'il faut en croire l'ami Karl Holz, son visiteur d'un jour, il lui aurait joué une réduction pour piano (d'esquisses ?) du premier mouvement. Ces esquisses ont été perdues, au mieux (?) dispersées à la mort du compositeur au profit d'iconoclastes qui voulaient conserver ou monnayer des reliques du Maître. Il a fallu attendre de nombreuses décennies avant qu'elles réapparaissent en ordre dispersé, à la faveur de ventes publiques. Barry Cooper, l'un des meilleurs spécialistes de Beethoven, a identifié l'équivalent de 200 mesures probablement destinées au premier mouvement d'une nouvelle oeuvre. Il a même tenté de les assembler pour un résultat tout à fait estimable même s'il est probablement très éloigné de ce qu'aurait été le produit fini tant, chez Beethoven, il y a loin de l'esquisse à la mise au net (allegro initial, reconnaissons que le passage à partir de 4:35 sonne comme du vrai Beethoven; ensuite hélas, on commence à tourner en rond car il manque les développements imprévisibles qui sont la marque du meilleur Beethoven).
Quelques spécialistes de l'intelligence artificielle (Projet soutenu par Deutsche Telekom dans le cadre des festivités de l'année Beethoven 2020) tentent actuellement d'exploiter les mêmes esquisses en empruntant une voie différente reposant sur l'injection des procédés connus (voire des tics) d'écriture du compositeur dans un logiciel d'apprentissage semi-automatique (Deep Learning, cf la thèse de Paula Muñoz Lago). Précisons que si la démarche peut paraître amusante, elle participe davantage de l'exercice informatique que de la création artistique. Il ne faut pas demander aux algorithmes ce qu'ils ne peuvent donner : même s'ils sont incroyablement astucieux, jamais ils ne feront preuve de génie, celui-ci étant imprévisible par définition. C'est peut-être frustrant mais c'est au fond mieux comme cela. On attend une version remaniée de ce projet en 2020 car une première version (de chambre), publiée en 2019, laissait franchement à désirer.
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
Les contemporains de Beethoven
Composer des symphonies à l'époque de Beethoven pouvait sembler relever de la témérité voire de l'inconscience. Tempérons cependant en rappelant qu'à cette époque, l'information circulait encore en diligence, d'où la réputation du musicien Beethoven, hors de Vienne, précédait souvent sa musique d'une ou deux décennies. Quoi qu'il en ait été, plusieurs musiciens se sont jetés à l'eau :
Un autre viennois de génie, Franz Schubert (1797-1828), a démarré gauchement puis il a pris de l'assurance à mesure que la mort le menaçait. L'inventaire n'est pas simple car il a commencé plus de symphonies qu'il n'en a terminées, soit 7, si vous adhérez à la thèse officielle selon laquelle le compositeur a incontestablement commencé 30 mesures d'un troisième mouvement pour la célèbre "Inachevée", et 8, si vous faites partie de ceux qui considèrent, avec quelque raison, qu'il a logiquement abandonné l'idée d'un scherzo allegro (voire d'un quatrième mouvement, finale allegro) qui aurai(en)t rompu le charme de l'enchaînement allegro-andante des deux mouvements existants. C'est en tout cas ce que confirment les tentatives récentes de complétion, par exemple, celle de Brian Newbould. Cette manie typiquement schubertienne d'abandonner des esquisses sans jamais y donner suite (au moins 5, tel ce Fragment, D615) a semé la confusion parmi les musicologues toujours pressés de classer les oeuvres par genres. La numérotation usuelle des symphonies de Schubert est officiellement déclinée comme suit dans le catalogue d'Otto Erich Deutsch : n°1 (D82), n°2 (D125), n°3 (D200), n°4 (D417, "Tragique"), n°5 (D485), n°6 (D589), n°8 (D759), n°9 (D944, "La Grande"). L'absence d'une symphonie n°7 n'est pas une erreur mais la conséquence des hésitations mentionnées (La nature ayant horreur du vide, Brian Newbould, encore lui, s'est chargé de reconstituer une symphonie n°7 à partir d'esquisses éparses abandonnées par Schubert et tant qu'il y était, il a récidivé avec une Symphonie n°10 (D936a), en fait une orchestration de 3 mouvements n'existant qu'à l'état d'esquisses pour piano. Le chef liégeois Pierre Bartholomée a également proposé et enregistré sa propre version). Les Symphonies n°8 et n°9 sont les plus justement célèbres mais ne négligez pas les autres et ne comptez pas sur moi pour vous conseiller une version discographique car je manquerais d'objectivité : depuis que j'ai découvert la version dégraissée sur instruments anciens du Hanover Band, dirigé par Roy Goodman, je ne peux plus m'en passer (n°1, n°2 & 6 et n°9, 1er mouvement).
Carl Maria von Weber (1786-1826), a composé deux symphonies courtes mais pleines d'entrain, qui s'accommodent également parfaitement d'une interprétation sur instruments d'époque (n°1 et n°2).
Anton Reicha (1770-1836), originaire de Prague, est venu très jeune à Bonn où il a bien connu Beethoven. Leur amitié ne s'est jamais démentie même lorsque le destin les a séparés (Reicha s'est déplacé vers la capitale française où il est devenu un professeur influent). L'oeuvre symphonique de Reicha comporte une douzaine de symphonies longtemps demeurées inédites mais désormais partiellement accessibles (ut mineur, mi bémol majeur, 1803, fa majeur, 1808). Autres musiciens originaires de Bohême : Jan Václav Voříšek (1791-1825) (ré majeur, 1821) et surtout Ignaz Moscheles (1794-1870), qui fut un collaborateur occasionnel de Beethoven et avec lequel il est resté en contact épistolaire toute sa vie (ut majeur, 1828).
Friedrich Witt (1770-1836) a bénéficié d'une méprise de l'histoire : sa Symphonie Iena (Surnom d'emprunt désignant le lieu de redécouverte du manuscrit non signé) a longtemps été attribuée au jeune Beethoven, à une époque où l'on considérait qu'un musicien "inconnu" était incapable d'une telle réussite. L'oeuvre emprunte une partie de son matériau à la Symphonie 97 de Haydn (Exercez-vous à le retrouver, par exemple en 4:22). On a découvert, par la suite, que Witt avait écrit 22 autres symphonies. Actuellement en cours d'édition, elles ne manquent décidément pas d'intérêt (la majeur, 1785, n°6, 1808, n°9, 1819).
Les deux élèves les plus assidus de Beethoven, Ries et Czerny, ont pris des leçons entre 1800 et 1810. Lâchés dans la nature, ils se sont mesurés à leur maître sans prendre de risques. Dans ses 8 symphonies (n°1 1809, n°3, 1816, n°4, 1818, n°6, 1822, n°7, 1835), Ferdinand Ries (1784-1838) ne s'est guère gêné pour emprunter des tournures entières de phrase à son illustre professeur. Par exemple, la n°2 (1814) se réfère clairement à l'Eroica et les accents qui ouvrent la n°5 (1813) ont des airs déjà entendus ! Toutes ont été enregistrées chez CPO et, si vous connaissez vos classiques, vous passerez de bons moments à traquer les emprunts au Maître de Bonn. Carl Czerny (1791-1857) s'est trouvé un peu dans la même situation d'emprunt avec ses 6 symphonies (n°1, n°2, n°6, non datées), toutes enregistrées chez Christophorus.
Joseph Wölfl (1773-1812), rival de Beethoven au piano, dans les salons viennois, n'a guère autant brillé à l'orchestre (sol mineur, 1803, ut majeur, 1804) et Philipp Riotte (1776-1856), également très en vue à Vienne à la même époque, peine à sortir de l'anonymat (n°1, 1812). Par contre, Friedrich Ernst Fesca (1789-1826) mérite toute votre considération (Superbes, n°2, 1809, et n°3, 1816, parues chez CPO).
CD ClementiEn dehors de Vienne, Peter von Winter (1754-1825) (ré majeur, 1795 ?), Franz Krommer (1759-1831) (n°4, 1819), Bernhard Romberg (1767-1841) (n°1, 1810, n°2, 1810, n°3, 1820) et Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) (mi bémol majeur, 1806) se sont frayé un chemin dans l'ombre de Beethoven mais, plus on s'éloigne de Vienne, plus on rencontre des musiciens pour qui le modèle haydnien est resté d'actualité. Par exemple en Pologne : Józef Elsner (1769-1854) (ut majeur, 1805) et Karol Lipiński (1790-1861) (si bémol majeur, 1809). En Italie, les meilleurs compositeurs ont émigré : Muzio Clementi (1752-1832) s'est installé à Londres dès 1766 et Luigi Cherubini (1760-1842) en France, en 1787. On pense que Clementi a composé une vingtaine de symphonies mais la plupart sont perdues, sauf six non datées qu'il faut impérativement connaître : si bémol (quelle fougue !) & ré, opus 18, tempétueuse n°1, n°2, n°3 (avec ses brillantes variations sur le thème astucieusement déguisé du "God save the King", dans l'andante, à partir de 11:30) et n°4. Cherubini n'a composé qu'une Symphonie en ré majeur (1815); était-ce à elle que Beethoven pensait pour tenir Cherubini en si haute estime ? Né en Allemagne, Johann Wilhelm Wilms (1772-1847) est parti vivre en Hollande. Ses 7 symphonies sont passionnantes surtout lorsqu'elles sont interprétées par le Concerto Köln (n°6, 1820, n°7, 1835). Le danois Christoph Weyse (1774-1842) est davantage connu pour avoir accueilli la veuve de Mozart lorsque celle-ci s'est installée à Copenhague, en 1810, que pour avoir composé 7 symphonies pourtant très belles (n°6, 1798, n°7, 1799).
En France, Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) s'est trouvé bien seul pour défendre les idées révolutionnaires (Brillante et originale n°1, 1808, n°2, 1809, n°3, 1809, n°4, 1810). Les années de composition ne doivent pas abuser : à cette époque, seules les symphonies n°1 & 2 de Beethoven étant jouées à Paris, Méhul n'a probablement pas eu connaissance des développements en cours à partir de l'Eroica. Ferdinand Hérold (1791-1833) pouvait difficilement espérer rencontrer un succès comparable avec ses oeuvres banales pour l'époque (n°2, 1815). Restons à Paris où Juan Crisóstomo de Arriaga (1806-1826), natif de Bilbao, aurait certainement brillé si seulement il avait vécu au-delà de ses 20 ans (en ré, 1824).
L'intermède Berlioz-Liszt
Les générations qui ont succédé à Beethoven ont été confrontées au problème de continuer à écrire des symphonies capables d'exister sans paraître dérisoires. Par un de ces pieds-de-nez dont l'histoire a le secret, alors que la France avait largement boudé le genre jusque-là, c'est un musicien français, le bouillonnant Hector Berlioz (1803-1869), qui a proposé, dès 1830, une solution originale dans le cadre de la musique dite "à programme" (Symphonie fantastique, exigez Charles Munch si vous voulez qu'elle le soit vraiment !). Autant chef que compositeur, Berlioz a connu les symphonies de Beethoven dès leur introduction à Paris. Il en a d'ailleurs fait ultérieurement des analyses qu'il a vulgarisées dans son ouvrage recommandable, "A travers Chants". Il est remarquable que, malgré cette proximité, il a réussi cette oeuvre singulière qu'est la "Fantastique" sans se laisser intimider par son modèle. Pourtant ce coup de maître n'a été suivi d'aucun effet immédiat, de part et d'autre des rives du Rhin : en France parce que le genre de la symphonie peinait décidément à s'imposer et en Allemagne parce que le poids de la tradition liée au principe de la musique dite "pure" faisait obstacle.
Il faudra attendre 25 ans pour qu'un musicien hongrois, Franz Liszt (1811-1886), comprenne l'intérêt de la voie ouverte par Berlioz et l'emprunte à nouveau dans deux oeuvres puissantes, à connaître absolument, les Symphonies Faust (1854) et Dante (1856, admirez la direction ... dantesque de Daniel Barenboim). Liszt s'est beaucoup investi dans le développement de la musique germanique, cherchant, en particulier, à la libérer du carcan de la tonalité classique. Réécoutez le tout début de la symphonie Faust : après un lab initial, vous entendrez la première série dodécaphonique consciemment militante de l'histoire de la musique (sol, si, ré#, fa#, sib, ré, fa, la, do#, mi, sol#, do), soit tous les degrés de la gamme chromatique. Cette tentative de se libérer des contraintes liées aux modes classiques, majeurs et mineurs, a trouvé une oreille attentive chez Richard Wagner. Par contre, les musiciens traditionnels, emmenés par Johannes Brahms, ont fait la sourde oreille.
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
LA TRADITION (POST)ROMANTIQUE AUSTRO-ALLEMANDE
En Allemagne, Felix Mendelssohn (1809-1847) (5 opus remarquables mais seules les n°3, 4 & 5 sont vraiment connues) a indiqué l'autre chemin praticable, celui de la musique pure (= dépourvue d'intention extra-musicale), directement issu des oeuvres de la période médiane de Beethoven. Ses collègues et successeurs ont suivi ses traces, de Robert Schumann (1810-1856) (4 opus dont les n°3 & 4, les plus connues) à Johannes Brahms (1833-1897) (4 opus tous célèbres et d'ailleurs présents au palmarès cité en introduction). La formule a tellement bien fonctionné qu'on a fini par croire (un peu abusivement) que la symphonie était devenue une chasse gardée germanique, capable à elle presque seule d'alimenter le répertoire des salles de concerts symphoniques. Les seuls cycles concurrents ont été composés par Pyotr Ilyich Tchaïkovsky (1840-1893) (6 opus dont les trois dernières "squattant" les programmes mais n'oubliez pas les autres !) et Antonin Dvorak (1841-1904) (9 opus, même remarque). Toutes ces oeuvres figurant au grand répertoire, intéressons-nous plutôt à celles qui n'ont jamais connu cet honneur :
Un grand nombre de musiciens ont vécu dans l'ombre directe de Mendelssohn et de Schumann. Ludwig Spohr (1784-1859) a terminé 9 symphonies (n°1, 1811, n°5, 1837, n°7, 1841), qui se laissent écouter avec un certain intérêt (Une 10ème a été complétée par Eugen Minor). La n°6 ("Historique", 1839) se veut originale avec ses 4 mouvements illustrant chacun une période différente de l'histoire musicale (1720, 1780, 1810 et 1840). Si l'idée semblait intéressante, sa réalisation laisse toutefois à désirer. Johann Ludwig Böhmer (1787-1860) n'a pas manqué d'aisance dans cette ré mineur (1844) mais Carl Loewe (1796-1869), surtout connu pour ses cycles de ballades populaires, a frappé plus fort avec sa n°1 (1832), une franche réussite que la n°2 (1834) n'a pas réussi à égaler. Un troisième larron est Franz Lachner (1803-1890), un musicien qui s'est souvent montré plaisant, en particulier dans ses 8 symphonies (n°5, 1835, n°6, 1837, n°8, 1851).
La deuxième génération a vécu suffisamment pour connaître Brahms. Johann Rufinatscha (1812-1893) a écrit 5 belles symphonies (n°2, 1840, n°5, 1850, la n°3 est perdue). On sait peu que le (très) jeune Richard Wagner (1813-1883) s'est essayé à la symphonie avant de bifurquer vers l'opéra (ut majeur, 1832). Il connaissait bien l'oeuvre de Beethoven pour l'avoir analysée et il est clairement resté dans son sillage. Il en a même commencé une deuxième, deux ans plus tard (mi majeur, 1834), mais il en a abandonné les esquisses (complétées par le grand chef, Felix Mottl). Les oeuvres de Robert Volkmann (1815-1883) (Brillantes n°1, 1863 et n°2, 1865), Adolf Reichel (1816-1896) (n°2, 1869) et Eduard Franck (1817-1893) (si bémol majeur, 1856 et majestueuse la majeur, 1883) ont été enregistrées par de très bons orchestres provinciaux, un témoignage s'il en fallait de la vitalité de la vie musicale d'Outre-Rhin. Joachim Raff (1822-1882) est l'auteur de 11 symphonies louées par Mendelssohn et Liszt (n°7, 1875, n°8, 1876, n°9, 1878). Sa gigantesque n°1, "La Patrie" (1861, 70 minutes !) a d'ailleurs obtenu le convoité premier prix de la Wiener Gesellschaft der Musikfreunde. Ensuite, il vous appartient de passer en revue les oeuvres écrites par une ribambelle de compositeurs plus ou moins (in)connus mais qui ont souvent quelque chose à dire : Carl Reinecke (1824-1910) (n°2, 1874, n°3, 1895), Karl Goldmark (1830-1915) (n°2, 1887), Salomon Jadassohn (1831-1902) (n°4, 1889), Felix Draeseke (1835-1913) (n°3, 1886), Max Bruch (1838-1920) (n°1, 1868, n°2, 1870, n°3, 1887), Josef Rheinberger (1839-1901) (n°1, 1866, n°2, 1874), Friedrich Gernheim (1839-1916) (n°1, 1875, n°4, 1895), Hermann Goetz (1840-1876) (étonnante fa majeur, d'un musicien malheureusement happé par la tuberculose à 36 ans), Heinrich von Herzogenberg (1843-1900) (n°1, 1884, n°2, 1889), Robert Fuchs (1847-1927) (n°2, 1887), August Klughardt (1847-1902) (n°1, 1873) et Anton Urspruch (1850-1907) (mi bémol majeur
, 1881). Hans Rott (1858-1884) n'a vécu que 26 ans mais il a quand même trouvé le moyen de faire le lien entre Bruckner et Mahler (n°1, 1880 et n°2 inachevée); ce dernier a d'ailleurs volontiers convenu qu'il devait beaucoup à Rott. Enfin Eugen d'Albert (1864-1932), pianiste allemand d'origine écossaise connu pour ses interprétations de Bach et Beethoven, a également brillé à la scène mais aussi à l'orchestre comme en témoigne cette superbe fa majeur (1886). Seul grand nom manquant à l'appel, Max Reger (1873-1916) n'a pas publié de symphonie, seulement une Sinfonietta (1904) qui n'en est d'ailleurs pas vraiment une (Elle dure 50 minutes et elle ne se déroule pas sur un mode particulièrement léger !). Veuillez noter que plusieurs musiciens cités ci-avant ont fait l'objet d'une chronique dédicacée à laquelle vous pouvez vous référer en suivant le lien mentionné.
A la fin du 19ème siècle, la musique austro-allemande était encore en position dominante mais plus pour très longtemps. Deux géants, Anton Bruckner (1824-1896) et son élève Gustav Mahler (1860-1911), ont inauguré le métier de symphoniste professionnel. On entend par là des compositeurs qui se sont essentiellement consacrés à la symphonie (avec tout de même de beaux restes dans d'autres domaines, un quintette à cordes et des messes chez Bruckner et des cycles de lieder orchestraux chez Mahler). On pourrait s'étonner qu'ils n'aient l'un et l'autre écrit qu'une dizaine de symphonies (colossales tout de même) mais ils n'avaient pas que cela à faire : Bruckner avait une charge d'orgue et d'enseignement et Mahler de direction d'orchestre et (de maison) d'opéra. Tout mélomane qui se respecte a fait le tour de leurs oeuvres cultes au moins une fois dans sa vie et il en est sans doute sorti ébloui sinon bouleversé, en particulier par les mouvements lents des deux 9ème (Bruckner n°9, 1896, Malher n°9, 1910). Ces deux oeuvres (ne) brillent (pas que) par leur longueur : la 9ème de Bruckner dépasse l'heure alors qu'il lui manque son finale, empêché par la mort, et celle de Mahler approche l'heure et demie ! Cette observation n'est pas anodine : vers 1900, la symphonie austro-allemande s'est prise pour une supernova, enflant progressivement, en durée comme en effectif orchestral, jusqu'à l'implosion finale. Ce fut le début de la fin de la domination germanique, de Vienne à Leipzig, contestée dans les faits par l'émergence des écoles nationales alors en pleine expansion.
- Un musicien de génie, Arnold Schönberg (1874-1951), a vu le danger et c'est, de son propre aveu, pour tenter de maintenir l'hégémonie menacée qu'il a codifié l'expérience dodécaphonique. En fondant ce qu'on a appelé la deuxième école de Vienne (La première référant habituellement au tandem Haydn-Mozart et même Beethoven par extension), il était convaincu qu'il prolongerait l'ordre ancien pour un siècle au moins. Note. Cette prédiction avait quelque chose de tragique sous la plume d'un artiste juif qui allait quitter l'Autriche en 1933 : en lançant sa prophétie hasardeuse autant qu'utopique, elle usait, avec 20 ans d'avance, d'une rhétorique réutilisée par Adolf Hitler à propos d'un nouveau Reich devant durer 1000 ans.
- Schönberg n'a pas composé de symphonie pour grand orchestre (seulement 2 symphonies de chambre qui ne nous concernent pas directement) contrairement à son professeur et beau-frère, Alexandre von Zemlinsky (1871-1942). Celui-ci a incarné ce qu'on pourrait appeler la troisième école de Vienne. Au premier quart de 20ème siècle, la capitale autrichienne rassemblait une nouvelle élite autour de Gerhart Hauptmann (Prix Nobel de littérature), Josef Olbricht et Otto Wagner (Architectes), Gustav Klimt (Peintre), Siegmund Freud (Psychanalyste), Gustav Mahler et Arnold Schönberg (musiciens). Zemlinsky a brillé dans ce cercle grâce, en particulier, à 3 superbes symphonies (n°1, 1893, n°2, 1897 et la très originale Symphonie lyrique, 1923). La défaite de 1918 et la tourmente politique qui a suivi l'ont ensuite entraîné à émigrer aux USA.
- Il n'a dès lors plus subsisté sur le sol allemand que le seul prodige, Richard Strauss (1864-1949), qui, outre une pléiade d'oeuvres magnifiques dans tous les domaines, a écrit 4 symphonies qu'on entend étonnamment peu : deux oeuvres de jeunesse (16 et 20 ans ! : n°1, 1880, n°2, 1884) et deux oeuvres matures "à programmes" (Domestique, 1903, et colossale Alpestre, 1915).
La symphonie germanique est ensuite rentrée dans les rangs, en particulier elle a retrouvé des dimensions raisonnables sous la plume de musiciens certes peu connus mais encore bien inspirés : Franz Schmidt (1874-1939) dont les 4 oeuvres sont de très bonne facture (n°1, 1899, n°2, 1913, n°3, 1928 et n°4, 1934). Trois étoiles sont même habituellement décernées à la 2ème, en particulier aux variations dans le deuxième mouvement (démarrant en 16:00 et culminant en 23:03). Le contemporain exact, Julius Bittner (1874-1939), surprend avec cette fa mineur (1923) au parfum exotique; il est étonnant que ce musicien très connu dans la Vienne des années 1900 ait disparu aujourd'hui de la circulation. Karl Bleyle (1880-1969) n'a pas manqué d'idées dans cette fa majeur (1906), une oeuvre de jeunesse; il a malheureusement quasiment cessé de composer peu après. Emil von Reznicek (1860-1945) a réussi à faire parler ses ascendances tchèques dans 5 oeuvres de qualité (n°1, 1902, n°2, 1904, n°3, 1918, n°4, 1919).
Voici enfin une dernière liste de musiciens tout à fait estimables même s'ils ne s'imposent pas comme les maîtres de leur temps : Felix Woyrsch (1860-1944) (ut mineur, 1907), Hermann Bischoff (1868-1936) (n°2, 1910), le trop sous-estimé Siegfried Wagner (1869-1930, le fils de Richard) (ut majeur, 1913), Hans Pfitzner (1869-1949) (ut dièse mineur, 1932, ut majeur, 1940), Paul Graener (1872-1944) (ré mineur, 1912), Siegmund von Hausegger (1872-1948) (Natursymphonie, 1911), Richard Wetz (1875-1935) (Belle et sinueuse n°2, 1919, n°3, 1922), Karl Weigl (1881-1949) (n°1, 1905). Joseph Marx (1882-1964) est connu pour son unique Symphonie "Automne" (1921), une belle oeuvre qui illustre parfaitement le retard autrichien à la modernité. Le cas de Marcel Tyberg (1893-1944) est assez singulier, qui ne s'est pas gêné pour imiter - le mot est faible - avec quelques décennies de retard, Anton Bruckner (Dans sa n°2, 1927) et Gustav Mahler (Dans sa n°3, 1938).
Album Weingartner
La grande tradition symphonique austro-allemande a également bénéficié d'une longue filiation dans la direction d'orchestre, d'Hans von Bülow (1830-1894) à Kurt Masur (1927-2015), en passant par Gustav Mahler et Richard Strauss. La pratique de l'orchestre a donné des ailes à ceux parmi eux qui se sont sentis visités par l'inspiration et surtout qui ont estimé avoir assez de métier pour instrumenter leurs idées. Deux exemples précoces ont été Albert Dietrich (1829-1908) (ré mineur, 1868) et surtout Friedrich Gernsheim (1839-1916) (n°1, 1875, n°2, 1882, n°3, 1887) : tous deux ont écrit des oeuvres solides, à défaut d'être révolutionnaires. La génération suivante a fait encore mieux, dopée parfois jusqu'à la caricature par l'exemple de Mahler : Felix Weingartner (1863-1942) (n°1, 1899, n°2, 1901, n°3, 1910, n°4, 1917, n°5, 1926, n°6, 1929), Bruno Walter (1876-1962) (ré mineur, 1907), Otto Klemperer (1885-1973) (n°2, ne manquez pas le mouvement lent en 4:31) et Wilhelm Furtwângler (1886-1954) (n°2, 1946). L'album, paru chez CPO, qui rassemble les 7 symphonies de Weingartner est une vraie découverte !
LES ÉCOLES NATIONALES (POST)ROMANTIQUES
Il a fallu attendre la deuxième moitié du 19ème siècle pour que le reste du monde musical réagisse à l'hégémonie austro-allemande, en particulier dans le domaine symphonique. Chaque nation a ainsi pris conscience des spécificités de sa langue, de son patrimoine culturel et populaire, etc, à charge pour ses musiciens de les traduire en une musique authentiquement nationale. Cette section regroupe les pays par zones d'influences esthétiques et elle empiète plus ou moins sur le 20ème siècle toutes les fois qu'un retard stylistique l'impose.
Ecoles nationales (post)romantiques : France
Aquelques rares mais valeureuses exceptions près (Méhul, Berlioz et quelques acolytes), la symphonie n'a jamais fait fortune en France avant 1850. Il faut fouiller pour découvrir les noms (et entendre les oeuvres) de Louise Farrenc (1804-1875) (n°1, 1842, n°2, 1845, n°3, 1847), Félicien David (1810-1876) (n°3, 1838) et surtout Théodore Gouvy (1819-1898) (6 belles symphonies qui témoignent de sa double nationalité franco-prussienne : n°2, 1848, n°3, 1854, n°4, 1855, n°5, 1865). Tous ces musiciens ont combattu plus ou moins consciemment la mode envahissante du tout-puissant opéra(-comique) parisien.
Il a fallu tout le tact et le pouvoir de persuasion d'un musicien liégeois installé à Paris, César Franck (1822-1890), pour convaincre ses hôtes de l'urgence qu'il y avait à combler le retard instrumental criant que la France avait accumulé par rapport à ses voisins d'Outre-Rhin. Fervent wagnérien, il a montré l'exemple avec sa superbe Symphonie en ré mineur (1886), qui émargeait davantage au courant peu fréquenté Berlioz-Liszt qu'à celui, encombré, hérité de Mendelssohn. C'était habile de sa part car cela ouvrait une perspective inédite aux musiciens français qui allaient pouvoir s'exprimer en toute indépendance.
Quelques disciples plus ou moins proches ont répondu à l'appel de Franck, avec le bon goût de privilégier l'oeuvre rare mais parfaitement polie : Théodore Dubois (1837-1924) (fa mineur, 1908), Ernest Chausson (1855-1899) (si bémol majeur, 1890) et Paul Dukas (1865-1935) (Incontournable ut majeur, 1896). Trois autres musiciens ont été (un peu) plus prolixes : Vincent d'Indy (1851-1931) (n°1, 1870, n°2, 1903 et la patriotique n°3, 1918), Guy Ropartz (1864-1955) (n°1, 1894, n°2, 1900, n°3, 1905, n°4, 1910 et n°5, 1945, composée à 80 ans !) et Albéric Magnard (1865-1914), dont les 4 symphonies forcent l'admiration, en particulier la merveilleuse 3ème (n°1, 1889, n°2, 1893, n°3, 1896, n°4, 1913). Organiste de formation, Charles Tournemire (1870-1939) a également composé 8 symphonies où l'on retrouve des sonorités héritées de son instrument favori. Elles ont toutes été enregistrées par les orchestres de Liège (n°3, 1913) et de Moscou (n°8, 1924). L'occasion se présente de rendre hommage à Philippe Gaubert (1879-1941), un musicien estimable mais fort oublié, sauf par les fidèles de l'Opéra de Paris qui se souviennent qu'il en a été Directeur de la Musique (fa majeur, 1934).
Le renouveau de la symphonie en France n'a été qu'un feu de paille, non que la compétence vint à manquer (on en verra des exemples à la période moderne, cf 2ème partie) mais plutôt parce que le genre de la symphonie était décidément trop historiquement connotée germanique. Or la défaite éclair de 1870, dans le cadre du conflit franco-prussien, a été très mal vécue en France : même les esprits les plus savants (Poincaré, Pasteur, etc) ont été marqués par ce qu'ils ont ressenti comme une catastrophe nationale. Les musiciens français ont alors massivement préféré se tourner vers une esthétique intimiste (en particulier, impressionniste) "made in France" où la symphonie n'avait quasiment plus sa place.
Une mention spéciale s'impose, à ce stade, destinée à honorer Camille Saint-Saëns (1835-1921), le plus inspiré des musiciens académiques (à moins que ce soit l'inverse). Il a transmis à la postérité, 5 oeuvres brillantes : la beethovenienne la majeur (1850, l'auteur avait 15 ans !), une fa majeur, "Urbs Roma" (1856), et trois opus numérotés dans l'ordre, n°1, 1853, n°2, 1859 et n°3, 1905. La postérité n'a accueilli au répertoire que la seule la n°3 (avec orgue) et c'est injuste. D'ailleurs, en France comme ailleurs, c'est toute l'oeuvre de Saint-Saëns qui devrait être célébrée et je ne pense pas au "Carnaval des Animaux" !
Enfin, il convient d'évoquer le cas particulier de compositeurs qui ont consacré leur vie à l'opéra, par goût, sensibilité ou opportunisme, mais qui ont démontré ponctuellement qu'ils auraient certainement pu s'illustrer dans le genre présumé plus savant de la symphonie. Les tentatives de Charles Gounod (1818-1893) (n°1, 1855, n°2, 1855), Ernest Reyer (1823-1909) (Le Sélam, Symphonie vocale orientale, 1850), Edouard Lalo (1823-1892) (sol mineur, 1886), Georges Bizet (1838-1875) (célébrissime ut majeur, 1855 et Symphonie "Roma", 1868), Benjamin Godard (1849-1895) (Symphonies Gothique, 1874, et Orientale, 1884) et André Messager (la majeur, 1886) nous font regretter leur manque de persévérance dans la voie tracée d'une musique claire et raffinée.
Bien que la Belgique voisine se soit montrée fort discrète, ne manquez pas les belles partitions d'Auguste de Boeck (1865-1937) (sol majeur, 1896), de Joseph Ryelandt (1870-1965) (n°3, 1908, n°4, 1913) et de l'anversois Jef van Hoof (1886-1959), ce dernier pas moderne pour un sou (pour ne pas dire en retard d'une guerre) mais sincère dans sa démarche (n°2, 1941, n°4, 1950, turbulent scherzo en 17:35).
La Suisse a été plus généreuse : Hans Huber (1852-1921), très admiré de son vivant, est tombé dans un oubli dont il sort à peine. Sans révolutionner le paysage musical de l'époque, ses 8 symphonies ne manquent pas de charme (n°8, 1920). On s'attardera toutefois davantage sur les oeuvres de Hermann Suter (1870-1926) (ré mineur, 1914), Fritz Brun (1878-1959) (n°4, 1926), Hermann von Glenck (1883-1952) (Symphonie opus 11, 1906) et, dans une moindre mesure, Richard Flury (1896-1967) (n°1, 1923).
Ecoles nationales (post)romantiques : Suède, Danemark et Norvège
La symphonie romantique a durablement prospéré dans les pays nordiques donc ne vous étonnez pas que les dates de composition de certaines oeuvres dépassent la mort de Mahler : accepter cette entorse au sous-titre de cette chronique permet d'éviter de situer ces musiques rétro en plein modernisme (2ème partie). L'inventaire suivant est détaillé par pays d'origine :
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie
Les symphonies de Berwald
- En Suède, le père-fondateur, Franz Berwald (1796-1868), a produit 4 oeuvres remarquables qu'il a affublées de surnoms présumés caractéristiques (n°1 "sérieuse", 1842, n°2 "capricieuse", 1842, n°3 "singulière", 1845 et n°4 "naïve", 1845), un procédé qui sera repris par d'autres ultérieurement. La génération suivante a marché dans ses pas sans se poser la question du renouvellement : Joseph Dente (1838-1905) (Etonnante ré mineur, 1887), Wilhelm Peterson-Berger (1867-1942) (n°3, 1915, beau lento assai), Wilhelm Stenhammar (1871-1927) (Remarquables n°1, 1903, et n°2, 1915), Hugo Alfven (1872-1960) (n°1, 1897, n°3, 1905, n°4, 1919. Il a renié sans toutefois la détruire une tardive n°5, 1953), Otto Olsson (1879-1964) (sol mineur, 1902), Melcher Melchers (1882-1925) (ré mineur, 1925) et John Fernström (1897-1961) (n°6, 1938).
Les symphonies de Gade
- Au Danemark, on trouve déjà de belles oeuvres sous la plume de Johan Peter Hartmann (1805-1900, un nom à retenir pour la suite car la lignée sera longue) (n°1, 1836, n°2 1848). Toutefois, le père-fondateur de l'école danoise se nomme Niels Gade (1817-1890) (8 Symphonies incontournables, enregistrées chez BIS : n°1, 1842, n°2, 1843, n°3, 1847, n°7, 1864, n°8, 1871). Suit Emil Hartmann (1836-1898, le beau-frère de Gade et le fils de Johan Peter) (n°5, 1880), Les 7 symphonies schumaniennes d'Asger Hamerik (1843-1923), enregistrées chez DaCapo, constituent une autre agréable découverte (n°1 "poétique", 1880, n°2 "tragique", 1883, n°3 "lyrique", 1884, n°4 "majestueuse", 1889, n°5 "sérieuse", 1891, n°6 "spirituelle", 1897, n°7 "chorale", 1897). Appréciez le finale de la n°6 (à partir de 25:37), spirituel comme sur surnom l'indique. Peter Lange-Müller (1850-1926) a écrit deux symphonies aux tournures inhabituelles mais hélas indisponibles à l'écoute. J'attire l'attention de ceux qui ne veulent pas se prendre la tête sur l'oeuvre de Victor Bendix (1851-1926) : une musique simple mais tellement agréable (Lyrique n°3, 1895 et légère n°4, 1906). Complétons avec August Enna (1859-1939) (n°2, 1908) et Louis Glass (1864-1936), un élève de Gade, qui a écrit 6 oeuvres, nostalgiques (la mieux réussie : n°3, 1901) ou épiques (n°6, 1924). Carl Nielsen (1865-1931) s'est montré digne de son professeur, Niels Gade, s'avérant être le plus grand symphoniste danois : ses 6 symphonies, à nouveau porteuses de sous-titres évocateurs, constituent un massif aussi impressionnant que celui (contemporain) de Sibelius en Finlande; elles doivent impérativement être connues (n°1, 1894, n°2 "Les 4 Tempéraments", 1902, n°3 "Expansive", 1911, n°4 "Inextinguible", 1916, n°5, 1922, n°6 "Simplice", 1925). On retombe ensuite inévitablement d'un étage avec Hakon Borresen (1876-1954) (n°1, 1901, et n°2, 1904) et Rudolph Simonsen (1889-1947) (Etrange n°2, 1921, écoutez le beau mouvement lent, en mode ancien, en 07:28).
- La Norvège n'a guère autant brillé : Johan Svendsen (1840-1911) a vécu l'essentiel de sa vie à Copenhague où il a écrit deux symphonies légères mais plutôt bien notées (n°1, 1866, n°2, 1877). Son ami, Edvard Grieg (1843-1907), s'est curieusement montré peu à l'aise avec la symphonie : il n'a pas renouvelé son unique essai qu'il jugeait d'ailleurs sévèrement (ut mineur, 1864). Une génération plus tard, Christian Sinding (1856-1941) l'a jouée sur le mode (très) léger (n°1, 1887, n°2, 1904, n°3, 1919), Sigurd Lie (1871-1904) sur le mode banal (la mineur, 1903) mais, au bilan, c'est encore Eyvind Alnaes (1872-1932) qui s'est le mieux tiré d'affaire (n°1, 1896).
Ecoles nationales : Finlande et Etats baltes
La symphonie romantique a également prospéré sur les bords de la Baltique et la même remarque s'applique à propos des dates de composition.
- La Finlande tardivement indépendante (en 1917) a mis du temps à s'activer avant de rayonner par la grâce des 7 Symphonies de Jean Sibelius (1865-1957), évoquées par ailleurs. Les 9 symphonies d'Erkki Melartin (1875-1937) (n°1, 1902, n°3, 1907, n°5, 1915, n°6, 1924) auraient pu logiquement s'en inspirer mais elles sont davantage tournées vers Mahler, compositeur que Melartin a introduit en Scandinavie, lors des nombreux concerts qu'il y a dirigés. Ernst Mielck (1877-1899), mort bien trop jeune, promettait beaucoup avec sa fa mineur (1897). Ernest Pingoud (1887-1942), d'origine alsacienne mais né à Saint-Pétersbourg où il a étudié avec Glazounov et Rimski-Korsakov, aurait mérité de meilleurs enregistrements de ses deux symphonies (n°1, 1920, et n°2, 1921). Leevi Madetoja (1887-1947) est resté fidèle à l'idiome national et rien que cela devrait vous inciter à l'écouter (n°1, 1916, n°2, 1918, n°3, 1926). Victime d'une panne progressive d'inspiration, il a peiné à achever une 4ème symphonie qui n'a existé que sur le papier, l'auteur s'étant fait dérober le manuscrit lors d'un séjour en France.
- Parmi les trois petits états baltes, seule l'Estonie s'est tôt éveillée à l'art symphonique grâce aux talents conjugués d'Arthur Lemba (1885-1963) (ut dièse mineur, 1908), d'Heino Eller (1887-1970) (n°1, 1936, et n°2, 1947, hélas inachevée) et du retardataire (mais sincère) Villem Kapp (1913-1964) (n°2, 1955). La lettonie et la Lituanie ayant suivi avec retard, vous les retrouverez en deuxième partie (Période moderne).
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
ANDRE HAUTOT
Dr. en Physique Université de Liège Belgique Musicographe
https://www.physinfo.org/chroniques/symphonie1.html
Ecoles nationales (post)romantiques : Pologne et Russie
On connaît trop peu la tradition musicale polonaise pourtant extrêmement riche. Józef Brzowski (1805-1888) (Symphonie dramatique, 1840) y a fait figure de précurseur, suivi à distance respectable par Zygmunt Noskowski (1846-1909) (n°3, 1903), Zygmunt Stojowski (1870-1946) (ré mineur, 1897, attendez que l'allegro se déchaîne vers 02:00), Witold Maliszewski (1873-1939) (Habile n°1, 1902), Mieczysław Karłowicz (1876-1909) (mi mineur, 1902) et surtout Karol Szymanowski (1882-1937) (n°1, 1907, n°2, 1910, n°3, 1916 et la belle concertante n°4, 1932), le musicien qui a anticipé la modernité occidentale dans une Pologne encore sous l'emprise du romantisme de Chopin. Karol Rathaus (1895-1954) n'a malheureusement plus rien écrit de significatif après son exil forcé aux USA et son attirance par la musique de film n'a rien arrangé (n°2, 1923). On trouvera, en deuxième partie, une Pologne plus active que jamais à l'époque moderne.
Passons à présent en Russie, bientôt promise au grand destin de ravir pour un siècle la palme symphonique, rien moins que cela ! Notez que le plus illustre compositeur russe de l'époque, Pyotr Ilyich Tchaïkovsky (1840-1893) (6 opus universellement célèbres), n'y est pas pour grand-chose, ayant toujours été considéré dans son propre pays comme bien trop occidentalisé pour favoriser un essor authentiquement national. La véritable école russe a pris son essor sous l'impulsion de Mikhail Glinka (1804-1857), qui n'a jamais terminé sa "Symphonie sur deux thèmes russes" (Vissarion Shebalin s'en est chargé : ré mineur, 1834). La longue et glorieuse histoire de la symphonie russe a véritablement commencé avec Anton Rubinstein (1829-1894), un musicien polyvalent (pianiste, chef d'orchestre et compositeur) dont les oeuvres, encore empreinte de tournures occidentalisantes, sont autant passionnées que passionnantes (n°1, 1850, superbe n°2, 1851, n°3, 1855, n°4, 1874, n°5, 1880, n°6, 1886 !). Elle s'est diversifiée, de plus en plus russe, avec trois membres du Groupe des Cinq, Alexander Borodin (1833-1887) (n°1, 1867, n°2, 1869), Mili Balakirev (1836-1910) (n°1, 1864, n°2, 1900, n°3, 1910, inachevée et orchestrée par Glazunov) et fatalement le brillant orchestrateur du groupe, Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), qui ne pouvait laisser passer l'occasion de montrer l'exemple dans le maniement de l'orchestre (n°1, 1865, n°2, 1868, n°3, 1873). Ensuite, Alexander Kopylov (1854-1911) (ut mineur, 1888), Serge Taneiev (1856-1915) (n°2, 1878, n°4, 1901), Mikhaïl Ippolitov Ivanov (1859-1935) (n°1, 1908), Anton Arensky (1861-1906) (n°1, 1883, n°2, 1889), Georgy Catoire (1861-1926) (ut mineur, 1897), l'excellent Alexander Gretchaninov (1864-1956) (n°1, 1894, n°3, 1923, n°4, 1927, n°5, 1936), le merveilleux Vasily Kalinnikov (1866-1901) dont on ne se consolera jamais assez de la perte prématurée (Russissimes n°1, 1895 et n°2, 1897), l'ésotérique mais essentiel Alexander Scriabin (1872-1915) (n°1, 1900, n°2, 1901, n°3, 1904; les Poèmes de l'Extase, 1908, et du Feu, 1910, sont parfois assimilés à des symphonies, n°4 & 5) et Reynold Glière (1875-1956) (n°1, 1900, n°2, 1907) poursuivent, parfois en dents de scie, l'irrésistible ascension symphonique russe.
Alexandre Glazounov (1865-1936) mérite une attention particulière avec ses 8 symphonies surannées mais formellement très au point (n°3, 1890, n°5, 1895, n°8, 1906). Il est dommage que ce personnage influant de la vie musicale russe ait si obstinément milité pour une musique du passé. Installé en France dès 1929, il a dénigré le modernisme ambiant, indisposant au passage Stravinsky qui s'est souvenu de lui comme le personnage le moins agréable qu'il ait rencontré.
Le bilan qui précède, aussi prometteur qu'il paraisse, n'annonce pas encore fermement l'hégémonie symphonique à venir mais il la prépare. Il revient aux musiciens de la génération suivante d'avoir su tirer profit des secousses de la Révolution de 1917 (y compris la tolérance au modernisme de la courte période léniniste) puis de la résistance (active ou larvée) à la dérive staliniste, pour enregistrer la plus éclatante des victoires de l'Art sur la politique. Nikolaï Roslavets (1881-1944) aurait pu servir d'éclaireur mais, dans un pays de plus en plus intolérant, il a payé ses audaces artistiques au prix fort d'un exil à Tachkent (Symphonie de chambre n°1, 1926). Beaucoup d'oeuvres de ce musicien remarquable ont, de ce fait, été perdues mais certaines ont été reconstituées (par Marina Lobanova) dont une symphonie en ut mineur (1910), toujours en attente d'enregistrement. La lente et souvent douloureuse ascension de tous les autres sera examinée dans la 2ème partie de cette histoire symphonique.
Ecoles nationales (post)romantiques : Europe centrale
Ce titre générique demeure suffisamment vague pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'embarrasser des déplacements incessants de frontières à cette époque. Ce paragraphe couvre essentiellement l'héritage prépondérant des musiciens de Bohême, si actifs au siècle précédent.
La Bohême a, en effet, continué de produire des musiciens de qualité. Peu concernés par les enjeux de la modernité à venir, ils ont réussi à faire preuve d'originalité dans l'éloquence classique : écoutez Johann Wenzel Kalliwoda (1801-1866) (n°3, 1830, n°5, 1840, n°6, 1843) ou, une génération plus tard, Vilém Blodek (1834-1874) (ré mineur, 1859) et surtout Ignaz Brüll (1846-1907) (mi mineur, 1880, ne pas manquer). Tous ces musiciens ont fait le lien avec Bedřich Smetana (1824-1884), dont l'unique symphonie exhale un vrai parfum national (mi majeur, 1854), puis avec le cycle de l'illustre, Antonin Dvorak (1841-1904) (9 symphonies dont on ne se lasse pas). Le côté narratif de ces oeuvres a inspiré quantité de musiciens étiquetés nationaux qui y ont vu la possibilité de mettre en valeur leur patrimoine folklorique, en particulier, Zdeněk Fibich (1850-1900) (n°1, 1877, n°2, 1893, n°3, 1898) et, une génération plus tard, l'élève et gendre de Dvorak, Josef Suk (1874-1935) (n°1, 1898, n°2, 1906).
Le slovaque, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837), n'a curieusement pas touché à la symphonie, au contraire du hongrois Karl Goldmark (1830-1915) (Excellentes n°1, 1877, avec sa curieuse "Marche & variations", et n°2, 1887).
Ecoles nationales (post)romantiques : Pays latins
Suivant sans doute l'exemple de la France mais l'exagérant, les musiciens latins n'ont écrit que fort peu de symphonies. En Italie, on ne remarque que Giovanni Sgambati (1841-1914) (n°1, 1881 et n°2, 1885) et surtout Giuseppe Martucci (1856-1909) (n°1, 1888 et n°2, 1899). On déplore hélas que ni le grandiose Ferruccio Busoni (1866-1924) ni le léger mais spirituel Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948) n'aient contribué au genre d'où il ne reste plus que quelques valeurs sûres tels, Ottorino Respighi (1879-1936), pour une oeuvre seulement (Sinfonia drammatica, 1914) et Alfredo Casella (1883-1947) (n°1, 1906, n°2, 1909 et une tardive n°3, 1940).
Comme en France, deux musiciens spécialisés dans l'opéra, Gaetano Donizetti (1797-1848) et Vincenzo Bellini (1801-1835) (Volubiles ré mineur et si bémol majeur), ont meublé leurs temps libres en composant respectivement 13 et 7 symphonies que l'on n'entend rarement.
Les premières (véritables) symphonies espagnoles sont dues à Miguel Marqués (1843-1918) (Symphonies n°1, 1869, n°3, 1876, n°4, 1878), Teobaldo Power (1848-1884) (n°2, 1884), Tomás Bretón (1850-1923) (n°1, 1872, n°3, 1905) et Ruperto Chapi (1851-1909) (ré mineur, 1879), vous aurez noté que, sans atteindre des sommets, le niveau a sensiblement monté.
Ecoles nationales (post)romantiques : Pays-Bas
Le lecteur sera peut-être surpris qu'un paragraphe soir consacré à la musique des Pays-Bas mais il doit savoir que les musiciens de ce petit pays ont brillé à l'ère romantique, et tant pis s'ils ont prolongée parfois bien au-delà des délais que d'autres jugent raisonnables. On commence avec Johannes Verhuslt (1816-1891), remarqué par Mendelssohn en personne (mi mineur, 1841), et on poursuit avec Daniël de Lange (1841-1918) (Excellente ut mineur, 1865), Bernard Zweers (1854-1924) (n°1, 1881, n°3, 1890), Cornelis Dopper (1870-1939) (n°1, 1896, n°2, 1904, n°7, 1932), Jan van Gilse (1881-1944) (n°2, 1903) et Leopold van der Pals (1884-1966) (n°3, 1927). Il n'existe aucun catalogue à jour des oeuvres du néerlandais d'origine allemande, Julius Röntgen (1855-1932). On crédite en principe ce compositeur important de 25 symphonies mais certaines manquent à l'appel des éditeurs, perdues ou sommeillant encore inédites dans les archives du Nederlands Muziek Instituut (La Haye). Actuellement 10 seulement ont été enregistrées chez CPO. Le désordre règne particulièrement parmi les oeuvres écrites avant 1930 (n°3, 1910). A cette date, peu avant son décès, il a été pris d'une fringale symphonique, au point d'en écrire 17 en deux ans, l'occasion pour lui de combler à moitié son retard en modernité (Pari plutôt réussi dans une série d'oeuvres qui valent le détour : n°8, 1930, n°10, 1930, n°18, 1931).
Ecoles nationales (post)romantiques : Grande Bretagne
Les anglais ont longtemps écouté avec envie ce qui se composait sur le continent. Ce n'est pas un hasard si, à toutes les époques, ils ont attiré sur leur île plusieurs musiciens de valeur, leur garantissant de bonnes conditions de travail (Haendel, Haydn, Clementi, ...; ils ont aussi fait des propositions à Beethoven qui aurait volontiers accepté sauf qu'il était casanier). Quand le moment est enfin venu de briser leurs complexes symphoniques, ils se sont lancé dans l'aventure et il n'y a plus eu moyen de les arrêter au point qu'ils ont continué à écrire de belles symphonies d'inspiration romantique à toutes les époques ultérieures.
Cela a commencé avec l'excellent Hubert Parry (1848-1918) (n°2, 1883, n°4, 1889, n°5, 1912) et Charles Villiers Stanford (1852-1924) (Symphonies n°1, 1877, n°3, 1887, n°5, 1894). Frederic Cliffe (1857-1931), qui avait démarré en fanfare avec un opus 1 particulièrement réussi (ut mineur, 1889), n'a étrangement plus rien écrit après 1905. Une deuxième symphonie existe, mais seulement éditée en 2010, elle attend toujours qu'on l'enregistre; nous aussi. Toutefois, c'est Edward Elgar (1857-1934) qui a forcé le respect des continentaux dès les premières mesures de sa mythique n°1 (1908). L'oeuvre suivante (n°2, 1911) n'a pas connu un succès comparable. Quant à la n°3 (1934), elle est demeurée inachevée quoique fidèlement complétée par Anthony Payne, une belle réussite dans ce genre d'exercice périlleux.
Ce qui est remarquable, Outre-Manche, c'est que même des musiciens dits "de seconde zone" se débrouillent très bien, tels l'écossais John Blackwood McEwen (1868-1948) toujours plaisant (n°5, 1911), Gustav Holst (1874-1934), l'auteur des fameuses Planètes (1917, en fait une symphonie déguisée en Suite orchestrale, très supérieure à l'antérieure fa majeur, datée de 1900), Donald Tovey (1875-1940) (ré majeur, 1913) et Hamilton Harty (1879-1941) (Irish Symphony, 1904).
Ecoles nationales (post)romantiques : USA
Le préambule mais aussi les conclusions énoncés à la section précédente valent également ici, mot pour mot. Initialement, c'est le modèle beethovenien qui a prévalu, aux USA (du fait de l'omniprésence sur le territoire de légions entières de musiciens émigrés austro-allemands) et ce fut une longue quête des compositeurs américains de trouver leur propre voie (Cf la chronique consacrée à l'histoire musicale des USA). Les pionniers, encore fort dépendants de ce qui se faisait en Europe (depuis 50 ans au moins, les temps ont bien changé !), peuvent paraître encore maladroits, mais cela n'a pas duré ! Ils eurent pour nom : George Frederick Bristow (1825-1898) (n°2, 1856, n°4, 1872), John Knowles Paine (1839-1906) (n°1, 1875, n°2, 1879), George Chadwick (1854-1931) (n°2, 1885 et brillante n°3, 1894) et Amy Beach (1867-1944) (Symphonie Gaélique, 1896). Ensemble, ils ont contribué à fonder l'école nord-américaine, appelée à gravir les échelons de la renommée au 21ème siècle.