JAZZ ET VIOLON...
Ou comment le violon a réussi à se faire une place de choix dans le jazz.
Didier Lockwood, "Improvisible" dans la Matinale Culturelle de France Musique.
Violon jazz au féminin avec Florence Fourcade
VIOLON, LA TRANSVERSALITÉ FERTILE
Une petite histoire du violon hexagonal.
Par Nicolas Dourlhès Publié le 13 novembre 2016
Moins connu que le saxophone, le piano ou la batterie, le violon semble évoluer dans les marges de l’histoire du jazz. Pourtant, à y regarder de plus près, cette marginalité n’a jamais été celles des exclus mais plutôt la capacité à se situer à la croisée de plusieurs univers. Transversalité qui en retour aura permis d’élargir le territoire de cette musique. Particulièrement avec quelques musiciens français. Retour sur 75 ans de coups d’archet en tous sens.
Dans l’aventure du jazz, le violon n’est pas le plus représentatif bien qu’il connaisse l’histoire la plus longue en tant qu’instrument. A ranger dans la catégorie des cordes frottées et dans le prolongement de ses ancêtres qu’étaient le rebec ou la vièle, il irrigue, depuis le XVIe siècle et son invention en Italie, toutes les musiques dans le monde entier. Simple à transporter, avec sa voix claire, on le retrouve dans les traditions britannique, nordique (Finlande, Norvège) mais également méditerranéenne (Espagne, Italie, Grèce) ou encore dans la culture celtique (Bretagne, Irlande). Formidable instrument à danser, la musique qui le caractérise le mieux en Europe est certainement celle des Pays de l’Est au travers des traditions tsigane et klezmer. Grand voyageur, il s’étend jusqu’au Moyen-Orient puis l’Inde où, comme dans la musique classique européenne, il bénéficie d’une approche savante extrêmement poussée. Car le violon n’a ni frontière ni milieu de prédilection. Fortement connoté, depuis l’époque romantique, comme l’instrument d’une élite (on le retrouve également dans la musique arabo-andalouse), il participe néanmoins au grand brassage culturel de l’Amérique du Nord et devient instrument prépondérant de la country music américaine et bien évidemment du blues puis du premier jazz.
Dès les années 20, des violonistes comme Eddie South (1904-1962), Joe Venuti (1894 ?/1903 ?-1978) ou encore Stuff Smith (1909-1967) participent à des orchestres New-Orleans ou swing. Jusqu’alors restés dans la masse orchestrale, ces musiciens ont le mérite d’extraire leur instrument jusqu’au devant de la scène et se lancer sans retenue dans des improvisations. Si Joe Venuti développe un phrasé legato issu du classique qu’il poussera jusqu’à une forme de joliesse pénible, Stuff Smith en revanche s’acharnera sur son archet avec une véhémence qui, si elle néglige parfois la précision, privilégie l’expressivité. L’histoire du violon se tiendra tout entière entre ces deux pôles.
En France, dès les années 30, un musicien issu du Conservatoire de Lille et prix d’excellence, Michel Warlop (1911-1947) se passionne très tôt pour le jazz et joue dans la formation Grégor et les Grégoriens (formation dirigée par l’Arménien Gregor Kelekian qui évolue dans un style proche de Paul Whiteman) ; il met également son savoir-faire au service de partenaires comme Alix Combelle, Django Reinhardt ou encore des Américains de passage en Europe (Coleman Hawkins notamment). Dans un style nerveux lui aussi mais avec beaucoup plus de sens mélodique, il sera certainement un modèle pour celui qui deviendra une des grandes figures du jazz mondial, Stéphane Grappelli (1908-1997).
Grappelli a permis de poser des bases d’un jazz européen par un mélange de swing et de musique tsigane en compagnie de Django Reinhardt, notamment dans le Quintette du Hot Club de France, une musique d’une grâce incomparable où la pulsation permanente permet de propulser d’incessantes mélodies lumineuses. Sa carrière ne s’est pourtant pas arrêtée là et, à la suite de la guerre, il a continué, tout en restant fidèle à sa grammaire d’origine, à mettre son archet au service d’un jazz désormais intéressé par les avancées du be-bop. On le retrouve ainsi en compagnie d’Oscar Peterson, Martial Solal ou encore, quelques années plus tard, Michel Petrucciani. Véritable ambassadeur, il rencontre également Yehudi Menuhin - autre individualité sans frontière) - et fait ainsi connaître le jazz à un public plus large.
Par Nicolas Dourlhès Publié le 13 novembre 2016
La génération née dans l’après-guerre lui doit évidemment beaucoup et quelqu’un comme Jean-Luc Ponty ne peut que lui être redevable, même s’il emmène l’instrument vers d’autres horizons. Également élève d’un conservatoire de musique dans ses années d’apprentissage, il se détourne peu à peu du classique pour s’intéresser à la liberté qu’offre le jazz. Membre dans le début des années 60 de l’orchestre de Jef Gilson puis au côté d’Eddy Louiss et Daniel Humair qui écrivent les riches heures du club Le Caméléon à Paris, son départ vers des esthétiques mâtinées de rock pour intégrer les Mothers Of Invention de Frank Zappa lui permet de trouver une voix propre, principalement lorsqu’il électrifie son instrument.
Car le violon souffre depuis longtemps d’un manque de puissance face à des mastodontes sonores comme le saxophone ou batterie. L’arrivée sur le marché de prothèses permettant de franchir ces murs permet de lui donner une place de premier rang et de libérer un discours. Usant d’effets avec intelligence sans délaisser le phrasé de l’instrument, Ponty deviendra un expert des pédales wah-wah et effets de distorsion au sein de ses groupes personnels ou de collaborations diverses comme dans le Mahavishnu Orchestra, ouvrant la voie à d’autres musiciens.
De son côté, né en 1956, Didier Lockwood fera un cheminement inverse. Premier prix SACEM à 16 ans, il est recruté par Christian Vander en 1972 pour participer à Magma dans lequel il officiera trois ans avant de partir au côté de son frère pour des groupes de jazz-rock : (Zao et Surhya). Puis après quelques années à côtoyer quelques grandes figures du jazz durant les années 80 dans des groupes étiquetés jazz-fusion ou non (Gordon Beck, Tony Williams, Henri Texier, Daniel Humair, Michel Portal), il revient peu à peu vers un jazz plus traditionnel. Il prolonge les mélodies swinguées de Stéphane Grappelli et fait vivre (voire fructifier) tout un patrimoine qu’il élève au rang d’une forme d’académisme avec une vitalité indéniable.
D’un an plus jeune, le Girondin Dominique Pifarély suit le même parcours mais avec un engagement plus notable pour des lieux inouïs. Adepte tout autant - dans ses débuts tout au moins - d’une forme d’électrification qui lui permet de projeter le son, il finit par délaisser les effets qui lui sont souvent associés pour se contenter d’une amplification qui ne dénature que très peu le timbre de l’instrument. Également premier prix de Conservatoire (le violon appelle la virtuosité et la rigueur qu’apporte une éducation classique) et après quelques participations à des groupes de son temps (jazz-rock encore), il remplace Didier Lockwood en 1978 dans le Swing Strings System de Didier Levallet (formation française de cordes sur des thématiques de jazz contemporain) puis continue ensuite de travailler auprès du contrebassiste et du guitariste Gérard Marais. Dans les années 90, il joue avec Louis Sclavis dans son Ellington On The Air ou encore dans le Acoustic Quartet (avec Chevillon et Ducret) et participe aux avancées d’un jazz européen (on le retrouve avec Mike Westbrook et son Orchestra) qui s’émancipe peu à peu des modèles afro-américains pour y incorporer un bagage issu de la musique classique ou contemporaine. Tentant de repousser les limites entre écriture et improvisation (Pifarély joue avec Carlos Zingaro, violoniste lui aussi et grande figure portugaise de l’improvisation européenne), que ce soit en solo, quartet (récemment avec Antonin Rayon, Bruno Chevillon et François Merville), grande formation (Ensemble Dédales) ou dans la collaboration au long cours et d’une rare finesse qu’il entretient avec le pianiste François Couturier, Dominique Pifarély, par sa sonorité austère mais jamais hermétique, met au jour des territoires d’une poésie supérieure parfaitement affirmée qui s’éloignent de toute forme de folklorisme, fût-il jazzistique.
Par Nicolas Dourlhès Publié le 13 novembre 2016
Deux autres musiciens issus des générations suivantes continuent ce travail de leur côté : Régis Huby (né en 1969) et Guillaume Roy (né en 1962, il est un des rares à maîtriser l’alto). Sous l’influence de Steve Reich, le premier s’appuie dès Simple Sounds (2007) comme dans son récent quartet Equal Crossing sur des cycles longs et répétitifs dans lesquels interviennent de multiples variations ; le violon, quoique capable de performance solide en leader, se fond dans l’orchestre et devient une pièce essentielle de la dynamique générale. C’est pourtant avec le Quatuor IXI (Régis Huby, Théo Ceccaldi, Guillaume Roy, Atsushi Sakaï) que Régis Huby et Guillaume Roy vont le plus loin avec leur instrument. Véritable quatuor à cordes tel qu’on l’entend dans sa forme classique (deux violons, un alto, un violoncelle), ils travaillent l’interaction entre les individualités à partir d’un matériau minimal extrêmement flexible qui se construit dans le moment et rappelle Chostakovitch ou Stravinsky. Roy, en ce sens, apporte le contrepoint idéal au vibrionnant Théo Ceccaldi et au solide Régis Huby. Centré sur le son dans sa dimension physique, il développe un langage plus âpre mais d’une magnifique poésie que ne dément pas son solo From Scratch (paru chez Emouvance en 2013).
Toute une tradition violonistique existe en effet depuis plusieurs décennies, qui explore la périphérie de l’instrument et expérimente de nouvelles formes d’expressivité à partir d’une matière faite de grincements, hachures et crissements. Leroy Jenkins dès les années 60, avec une radicalité parfois éprouvante, est celui qui dans l’esthétique free a permis de repousser les limites de l’instrument. Ornette Coleman, de manière plus anecdotique, a lui aussi pallié une faible capacité technique sur cet instrument par des discours moins axés sur le phrasé. Aujourd’hui le français Frantz Loriot (1980) pousse plus loin cette exploration. Son solo Reflections On An Introspective Path (Neither/Nor Records, 2015) échafaude de véritables sculptures sonores dans le prolongement de Loriot [1].
Riches de tout un corpus esthétique et stylistique, la plupart de ces musiciens, formidables improvisateurs, piochent au besoin dans l’Histoire pour synthétiser de nouvelles formes. Mark Feldman, avec John Zorn durant les années 90, a su mélanger dans un discours cohérent une culture allant de la musique indienne au klezmer en passant par la musique contemporaine, improvisée ou free. En France, Théo Ceccaldi (né en 1986) participe de cette volonté universelle, que ce soit avec son duo Musique de Salon, au côté de Roberto Negro avec qui il contourne les danses du même nom, ou encore dans sa formation Freaks qui bouscule les oreilles de l’auditeur par un zapping stylistique permanent, le violon, instrument si petit, extrêmement connoté, montre sa capacité à s’émanciper de sa propre image et s’avancer vers l’avenir… sans y perdre son âme. [2]
VIOLON JAZZ 1927-1944
HOLLYWOOD - CHICAGO - NEW-YORK - LONDRES - PARIS - BRUXELLES - BERLIN - COPENHAGUE
HISTOIRE
Vous avez dit violon jazz ? Cette question a toujours l’air de sonner comme une contradiction.Le violon n’est évidemment pas a priori l’instrument qui fait penser au jazz. Et pourtant, il n’a jamais cessé d’être associé à la musique des noirs d’Amérique.À l’époque coloniale, les esclaves étaient chargés de faire danser leurs maîtres blancs. Les noirs détenaient ainsi une sorte de monopole de la musique de danse. Cet état de fait se prolongera d’ailleurs au-delà de la première guerre mondiale. Et l’instrument roi pour la danse était le violon.En 1850, l’écrivain G.G. Foster raconte (New York by gas light) que toutes les salles de danse du quartier des “Five Points” étaient animées par un violoniste qui distillait ses horribles grincements pour la modique somme de six pence par danse.Lafcadio Hearn, vers 1870, témoigne que la musique des dancings noirs de Cincinnati était jouée par le violon, le banjo et le violoncelle.Le violon, avec les guitares, mandolines et banjos, était également l’accompagnateur habituel des chanteurs de “country blues”.À la fin du siècle dernier, à la Nouvelle Orléans, on trouvait d’une part les fanfares de cuivres (brass bands) utilisées pour les parades, les défilés et aussi pour des concerts de musique légère et, d’autre part, les orchestres à cordes (string bands), pour faire danser.L’Excelsior String Band, orchestre de danse, émanait directement de L’Excelsior Brass Band, formation réputée dirigée par le violoniste Henry Nickerson.Peu à peu, les fanfares et les orchestres de danse assimilèrent le style des pianistes de ragtime et des chanteurs de blues. De cette fusion devaient naître d’abord les “orchestres syncopés”, puis le jazz.Les instruments à vent des brass bands s’imposeront comme leaders dans les premiers orchestres de jazz et le violon , dont la puissance sonore est insuffisante, devra renoncer au rôle de soliste.Il faudra attendre l’amplification électrique, à la fin des années 30, pour que les violonistes puissent à nouveau s’exprimer au sein des grandes formations, comme par exemple Ray Nance dans l’orchestre de Duke Ellington et Ray Perry chez Lionel Hampton. Entretemps, les violonistes créeront leurs propres petites formations.L’arrivée du cinéma parlant en 1927 met au chômage un nombre considérable de musiciens noirs qui ne peuvent retrouver du travail, les portes des orchestres blancs leur étant fermées.Lorsqu’au début des années trente, Joe Venuti quitte l’orchestre de Paul Whiteman, il faut toute l’influence de la chanteuse Bea Palmer, qui ne veut pas d’autre accompagnateur qu’Eddie South, pour que celui-ci soit engagé. Encore ne pourra-t-il jouer que caché derrière un écran et sans que son nom soit mentionné !
Pour apprécier l’importance du violon dans le blues et dans le jazz, la consultation de l’ouvrage de Briant Rust (Jazz records 1897 - 1942) est éloquente. On est étonné d’y découvrir les noms de quelque cinq cents violonistes ayant enregistré pendant cette période qui sont certes, pour la plupart, musiciens d’orchestre ou accompagnateurs , mais dont une centaine ont enregistré sous leur propre nom.On découvre même un certain Josh Hammond qui jouait du “one string fiddle”. L’histoire ne dit pas si ce violon à une corde était celui dont aurait rêvé Paganini. On peut douter que ses redoutables variations sur la corde de sol aient été au répertoire de notre jazzman.Ces musiciens jouent souvent de plusieurs instruments (clarinette, saxo, trompette…), comme Darnell Howard, Juice Wilson, Edgar Sampson, Ray Perry, Ray Nance.Certains, tels Paul Nero, Marshall Sosson, Harry Lookofsky et Joe Kennedy Jr. ont mené parallèlement une carrière classique et de jazzman.Notons en passant que cette pratique du crossover (passage d’un genre à l’autre), naturelle chez les anglo-saxons, reste toujours suspecte dans notre pays. De très grands musiciens comme, par exemple Leonard Bernstein, André Prévin ou le pianiste Friedrich Gulda, n’ont jamais été vraiment pris au sérieux par nos gardiens de l’orthodoxie musicale.
Joe Venuti, le premier, crée le véritable langage du violon jazz et en fait un instrument soliste à part entière.À sa suite, vers la fin des années 20, on voit apparaître les plus grands : Stuff Smith, Eddie South, Stéphane Grappelli. Plus tard viendront Svend Asmussen, Michel Warlop, Ray Nance, Ray Perry.À partir du début des années 50, alors que les échos du Quintette du HCF se sont tus, la renaissance du style New Orleans, ansi que l’arrivée du be-bop, nous font quelque peu oublier l’existence du violon dans le jazz.Pourtant, la tradition se poursuit en même temps que le violon assimile le style bop. Les noms ne manquent pas pendant cette période : John Frigo, Harry Lookofsky (qui réalisera seul en re-recording un enregistrement dans lequel il joue trois parties de violon et deux parties d’alto !), Dick Wetmore, Joe Kennedy Jr, Claude Williams, Elek Bacsik.Le free-jazz ne sera pas en reste, avec Ornette Coleman, Alan Silva et Leroy Jenkins.Plus près de nous, citons Jean-Luc Ponty qui jouit, outre Atlantique, d’une extraordinaire popularité, puis Didier Lockwood, Dominique Pifarely, Pierre Blanchard, Michel Urbaniak, l’anglais Nigel Kennedy (par ailleurs grand concertiste classique), les américains Darol Anger et John Blake.La nouvelle génération est particulièrement riche de talents et le violon trouve aujourd’hui sa place dans tous les genres de musique.Sous l’influence des interprètes, la lutherie a elle-même considérablement évolué. Outre le désormais classique violon électrique sous toutes les formes imaginables, nous avons vu apparaître, le violectra, le violon à cinq cordes qui s’étend au registre de l’alto, le double violon à dix cordes, construit à l’initiative du violoniste indien L. Shankar (deux manches portant cinq cordes chacun : l’un couvrant l’étendue de la contrebasse et du violoncelle et l’autre celle du violon et de l’alto).
En fait, il est bien difficile de définir un style propre au violon jazz.On peut cependant distinguer schématiquement deux grandes tendances, l’une privilégiant la beauté du son et le lyrisme du discours, l’autre qui essaie de traduire, au violon, l’expression des instruments à vent et recherche l’efficacité rythmique, les deux ayant un dénominateur commun : le swing. En simplifiant, on peut dire que, dans la première catégorie, se trouvent généralement des violonistes blancs, pour la plupart de formation classique, avec des exceptions dont Michel Warlop et Jean-Luc Ponty, tandis que les musiciens noirs, sauf Eddie South, se reconnaissent plutôt dans l’autre esthétique.Tout ceci, bien sûr, avec de nombreuses nuances en fonction de la personnalité de chaque musicien.L’essentiel, et le plus sûr, n’est-il pas de les écouter ?
Alain Délot
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS SA 1996
Remerciements :
- à Alain Antonietto, dont les connaissances inépuisables, l’amitié et les encouragements m’ont été infiniment précieux pour la réalisation de cette compilation.
- à Lionel Risler pour son oreille infaillible et la qualité de son travail de report. -
aux amis collectionneurs qui m’ont généreusement donné accès à leurs trésors : Philippe Baudoin, Jacques Lubin et Marc Monneraye.
STÉPHANE GRAPPELLI
C’est toujours un enchantement d’entendre cet éternel jeune homme dont l’enthousiasme, l’inspiration et le swing, sont demeurés intacts. Le son est d’une justesse absolue, ce qui est loin d’être une évidence chez les violonistes. Et, si ses jambes accusent parfois quelques signes de fatigue, la technique des doigts et de l’archet reste infaillible.Il est né à Paris le 26 janvier 1908. Sa vie d’enfant ne sera pas facile. Il perd sa mère à l’âge de quatre ans et connaît très tôt les pensionnats. Il apprend le violon tout seul, sur un instrument que son père lui offre à l’âge de dix ans.Pour s’en sortir, il fait un tas de petits métiers et joue de la musique partout où l’occasion se présente : dans la rue, dans les bals, les restaurants, les cinémas, accompagnant les films muets. Outre le violon, il apprend, toujours seul, le piano, le saxo, le trombone, l’accordéon.En 1927, il entre dans l’orchestre de Grégor et ses Grégoriens. Il participe à de nombreuses tournées qui le mèneront jusqu’en Argentine.La rencontre avec Django Reinhardt est décisive. Il dit lui même : “Toute l’oeuvre de ma vie se déploie comme une guirlande autour de la personnalité géniale de Django Reinhardt”.Jusqu’en 1939, leur histoire se confond avec la belle aventure du Quintette du Hot Club de France, créé en 1934. Les deux enregistrements de cette période que nous avons choisis, Them their eyes et I wonder where my baby is tonight, présentent le Quintette au sommet de son art.Au mois d’août 39, ils partent pour l’Angleterre. La déclaration de guerre les surprend en pleine tournée. Django rentre précipitamment en France. Grappelli reste en Angleterre où il séjournera jusqu’à la fin de la guerre.Les enregistrements de cette époque sont moins connus. Il nous a paru intéressant de les présenter ici. Grappelli nous livre une version très enlevée et inspirée de Dinah, ainsi qu’une interprétation pleine de lyrisme de la merveilleuse ballade Body and soul, qui nous donnent en outre le plaisir d’entendre le grand pianiste anglais, George Shearing.Il rentre en France en 1947, retrouve Django et reforme le Quintette. L’entreprise ne durera pas. La mode a changé, le style bop est arrivé. Grappelli a ses propres engagements et, après une tournée en Italie en 1949, que Django ne finira d’ailleurs pas, c’est la fin du duo.Stéphane Grappelli poursuit seul sa carrière, enregistre avec des formations diverses et donne d’innombrables concerts dans tous les pays du monde.
Sa discographie est l’une des plus riches qui soient dans l’histoire du jazz.À l’aise dans tous les styles, il a joué avec les musiciens les plus divers : les violonistes - Svend Asmussen, Joe Venuti, Stuff Smith, Ray Nance, Didier Lockwood, Jean-Luc Ponty, Darol Anger et… Yehudi Menhuin, les pianistes - Earl Hines, Hank Jones, Oscar Peterson, Duke Ellington, les guitaristes - Barney Kessel, Baden Powell - le bassiste Slam Stewart…Parmi ses partenaires réguliers, on peut citer : Alan Clare, Marc Hemmeler, Gérard Gustin (piano), Diz Disley, Marc Fosset et Martin Taylor (guitare).Ses concerts aux États-unis, à New-York ou en Californie, sont toujours un événement pour lequel on s’arrache les places à prix d’or.Il a su traverser plus de soixante-dix ans de musique sans jamais abdiquer sa personnalité.Retenons pour achever ce portrait la belle formule d’Alain Antonietto : “Entre la sclérose d’un narcissisme figé et l’opportunisme d’une “évolution” à tous crins, Grappelli a su choisir sa voie ; non pas celle de la juste mesure, mais celle de la folie de vouloir rester lui-même. Contre vents et marées”.
Alain Délot
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS SA 1996
HUGO RIGNOLD
est né en 1905 à Kingston-on-Thames (UK).Il fait ses études à la Royal Academy of Music où il apprend : le hautbois, la trompette, la contrebasse, en plus du violon et de l’alto.Pendant les années 20 et 30, il joue dans des orchestres symphoniques et donne également des concerts de musique de chambre en quatuor ou en quintette. Dans le même temps, il joue dans les orchestres de danse de Jack Hylton, Jack Harris, le New Mayfair Dance Orchestra.Après la guerre, il dirige successivement : l’Orchestre Symphonique du Caire, le Ballet de Covent Garden, l’Orchestre Philharmonique de Liverpool et l’Orchestre du Cap. En 1957, il est nommé directeur musical du Royal Ballet et de 1960 à 1968, il est à la tête de l’Orchestre Symphonique de Birmingham.Sa vie termine à Hampstead, dans la banlieue de Londres en 1976.En écoutant Calling all keys, on se dit que, vers 1935, les échos du Quintette du Hot Club de France avaient traversé le Channel et suscité quelques vocations. Hugo Rignold, qui montre ici une belle technique et une grande élégance, ainsi que les autres violonistes jazz anglais du moment, Eric Siday et Laurie Bookin entre autres, n’ont manifestement pas résisté au charme de cette musique.
Alain Délot
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS SA 1996
JOE VENUTI
Giuseppe Venuti est probablement né le 16 septembre 1894 à Malgrate di Lecco (Italie). La légende selon laquelle il aurait vu le jour sur le bateau qui amenait sa famille en Amérique n’est qu’un subterfuge inventé par son père pour faciliter son accession à la nationalité américaine. L’artiste s’en est expliqué à la fin de sa vie lorsqu’en 1971 il revint en pélerinage en Italie, sur les lieux de son enfance.Contrairement à son apparence, c’est un homme au caractère plutôt difficile, connu pour ses multiples facéties et qui n’hésite jamais à faire une bonne blague, surtout si elle est de très mauvais goût.Il est le premier véritable violoniste soliste de l’histoire du jazz. C’est un musicien à la sonorité généreuse et à la technique parfaite qui a su explorer toutes les possibilités de son instrument : harmoniques, pizzicati, doubles cordes. Il a même imaginé de jouer sur les quatre cordes à la fois en passant le violon entre le bois de l’archet et les crins détendus. (Four string Joe). Svend Asmussen reprendra d’ailleurs ce procédé dans son premier enregistrement de Tiger rag en 1935.La rencontre avec son jeune compatriote, le guitariste Eddie Lang (de son vrai nom : Salvatore Massaro), est une étape décisive de sa carrière. Cette association durera jusqu’à la disparition prématurée à l’âge de trente ans d’Eddie Lang, en 1933.La cohésion de cet ensemble est parfaite. Au lyrisme de Venuti, Lang ajoute un accompagnement en rythme et en contrepoint si riche que l’on a parfois l’impression d’entendre une section rythmique complète. (Going places)Il joue également avec les orchestres de Red Nichols, Frankie Trumbauer, Paul Whiteman, Jean Goldkette, Sam Lanin, Hoagy Carmichael, Adrian Rollini, Tommy Dorsey, Bix Beiderbecke.En 1934, il part en Europe où il rencontre un grand succès, notamment en Angleterre. Pendant une vingtaine d’années, il voyagera ainsi avec son propre orchestre.En 1956, il collabore avec la CBS à Los Angeles. Jusqu’à la fin des années 60, il travaille également à Las Vegas et à Seattle.À partir de 1969, il vient souvent en Europe. Il grave à Paris le célèbre Venupelli blues en compagnie de Stéphane Grappelli. En 1971, il enregistre à Milan avec des musiciens italiens.Il a définitivement rangé son violon à Seattle le 14 août 1978.
Alain Délot
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STUFF SMITH
Hezekiah, Leroy, Gordon “Stuff” Smith est né le 14 août 1909 à Portsmouth (Ohio). Il passe sa jeunesse à Cleveland. Son père, coiffeur et musicien amateur, lui fabrique son premier violon.À douze ans, il commence à jouer dans l’orchestre de son père. Quelques années plus tard, il va suivre des cours de musique à l’université de Caroline du Nord. À quinze ans il est chanteur et danseur dans une troupe de music-hall.En 1926, il entre dans l’orchestre d’Alphonso Trent à Dallas, avec qui il réalise ses premiers enregistrements. En 1928, il joue à New-York avec Jelly Roll Morton, puis revient chez Trent où il reste jusqu’en 1929.Il part pour Buffalo où il crée son orchestre en 1930 avec, entre autres, le trompettiste Jonah Jones et le batteur Cozy Cole.En 1935, il s’installe à New-York avec son sextette dans une petite boîte de la 52e rue, l’Onyx Club, où il restera jusqu’en 1940, à l’exception d’une tournée de quelques mois en Californie (1937). Il fait véritablement la fortune de cet établissement et sa popularité est immense.Il compte parmi ses amis le violoncelliste Gregor Piatigorski, les violonistes Fritz Kreisler et Jascha Heifetz ( qui l’accompagnera au piano !), qui viennent souvent le voir à l’Onyx Club. Il leur explique ainsi son style de jeu : “ Je n’ai besoin que de quelques centimètres à la pointe de l’archet. Ainsi, je le contrôle mieux, comme un instrumentiste à vent contrôle son souffle. Quand je veux un effet staccato, je joue naturellement au talon de l’archet, mais très violemment, comme si je voulais frapper une cymbale”.
Dans les années 40, il joue essentiellement en trio et revient pour quelques mois à l’Onyx Club avec cette formation, fin 1944.Après la guerre, il ouvre un restaurant à Chicago, tout en continuant à jouer avec de petits ensembles.Dans les années 50, Stuff joue la plupart du temps en Californie. En 1957, il enregistre avec Dizzy Gillespie. Cette même année, il part pour l’Europe avec le “Jazz at the Philharmonic”, mais il tombe malade en cours de route et doit abandonner la tournée. En 1963, il retrouve Herb Ellis, qui avait fait partie de son trio en 1944, pour une séance mémorable dans un studio de Hollywood.En 1965, il revient en Europe et enregistre plusieurs disques à Paris dont le célèbre Steff and Stuff avec Stéphane Grappelly.L’année suivante le retrouve dans les studios de Radio Bâle en Suisse pour un concert Violin summit, en compagnie de Stéphane Grappelly, Svend Asmussen et Jean-Luc Ponty.Il ne quittera plus l’Europe jusqu’à sa mort qui survient à Munich le 25 septembre 1967. Il repose à Copenhague.Stuff ne recherche pas le “beau son” des violonistes. Son style est violent, heurté, sa sonorité âpre. Le rythme passe avant tout. Il semble perpétuellement en conflit avec l’instrument dont il cherche à repousser les limites, prêt à tous les excès, le modèle à atteindre étant pour lui le son de la trompette de Louis Armstrong, peut-être le cri du peuple noir. Écoutez ses accents déchirants dans Desert sands. C’est sans doute le plus authentiquement jazz de tous.
Alain Délot
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS SA 1996
ROBERT EDWARD “JUICE” WILSON
Robert Edward “Juice” Wilson est né le 21 janvier 1904 à Saint-Louis (Missouri). Outre le violon, il joue de la clarinette et du saxo alto.Orphelin à l’âge de trois ans, il part pour Chicago, joue de la batterie à l’école et fait partie du Chicago Militia Band. Il débute l’étude du violon en 1912 avec le professeur William Jones. À 14 ans, il commence à jouer au Queen’s Hall dans l’orchestre de danse de Jimmy Wade. De 1918 à 1919 il entre, avec Eddie South, chez Freddie Keppard, qui lui donne des leçons de trompette. Il le quitte l’année suivante pour aller jouer sur les bateaux de croisière sur les Grands Lacs.`En 1920, il est à New-York où il joue avec James P. Johnson et Luckey Roberts. L’année suivante, il part pour Buffalo. Là, il reprend ses études de violon avec un professeur allemand, Joseph A. Ball, premier violon du Buffalo Symphony Orchestra et jouera même au sein de l’Orchestre Symphonique des Jeunes.En 1929, il part avec l’orchestre de Noble Sissle pour une tournée en Europe. Il passe par Paris et Londres où il grave les seuls enregistrements que nous connaissions de lui au violon, dont Kansas City Kitty.L’année suivante, c’est l’ Italie, puis l’Espagne et l’Afrique du Nord. En 1937, il s’installe à Malte où il restera dix-sept ans. À partir de 1955, il passe par le Liban, l’Italie, Gibralter et s’installe à Tanger.Ce n’est que dix ans plus tard, après un détour par Paris, qu’il regagnera les États-Unis.Nous n’avons malheureusement que peu de témoignages enregistrés de son jeu au violon. Il est considéré comme un des grands de cet instrument.
Alain Délot
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RAY NANCE
Raymond Willis Nance est né à Chicago le 10 décembre 1913. Tout jeune, il apprend le piano, le violon et la trompette.Il débute en 1932 comme animateur et chef d’orchestre dans les cabarets de sa ville natale.En 1938, il joue avec Earl Hines puis, l’année suivante, dans l’orchestre d’Horace Henderson. En 1940, il entre chez Duke Ellington en remplacement de Cootie Williams. Il ne le quitera qu’à deux reprises , en 1944 et 1964, chaque fois pendant environ un an, pour diriger sa propre formation.À partir de 1966, il travaille beaucoup en Europe, notamment en Suisse. En 1974, il enregistre en Allemagne avec le pianiste Kenny Drew.Ray Nance est décédé à New-York le 29 janvier 1976.Le côté comique parfois exagéré qu’il cultivait sur scène a sans doute fait un peu oublier qu’il était un grand soliste, aussi bien à la trompette qu’au violon, ainsi qu’un chanteur de talent.C’est un musicien rare dont Duke Ellington disait : “He never played a bad note in his life”.
Alain Délot
© FRÉMEAUX & ASSOCIÉS SA 1996
SVEND ASMUSSEN
né le 28 février 1916 à Copenhague. Après des études classiques de violon, il donne de nombreux concerts dans des églises. À l’age de dix-sept ans, il fait ses débuts professionnels avec un quartette sur le modèle du Joe Venuti’s blue four. Ce n’est pourtant qu’en 1937 qu’il décide, après avoir hésité entre une carrière de dentiste et de sculpteur, de se consacrer entièrement à la musique. Il travaille au Danemark avec les artistes étrangers en tournée : Fats Waller, Joséphine Baker, Les Mills Brothers…Benny Goodman qui n’a pas le compliment facile dit de lui : “C’est un sacré musicien, il a toujours été un de mes préférés. Quel goût merveilleux dans tout ce qu’il joue !” Il est si impressionné en l’entendant qu’il l’invite par deux fois à venir s’installer aux États-Unis. Mais, à cette époque, sa notoriété est telle en Scandinavie qu’il préfère rester dans son pays.Après la guerre, il s’oriente plutôt vers la musique “populaire”. Son disque “The fiddling viking”, qui fut un grand succès aux États-Unis, montre pourtant à quel point le jazz reste toujours présent dans son jeu, même quand il joue de la musique de danse.Le trio qu’il forme avec le guitariste Ulrik Neumann et la chanteuse suédoise Alice Babs connaît un immense succès international. On se souvient de leur “tube” : Side by side.Il enregistre avec les plus grands : Duke Ellington, Lionel Hampton, Stéphane Grappelli (cette réunion au sommet dans l’album “Two of a kind” est un pur chef d’oeuvre), Ray Nance, Toots Thielemans. Son enregistrement avec John Lewis (The European encounter) est un grand moment de musique de chambre tant est grande la connivence entre ces deux artistes.
Aussi à l’aise dans une église pour un concert de musique sacrée que dans l’intimité d’un cabaret de jazz, ou sur la scène d’un music-hall, c’est un musicien complet dont l’inspiration est riche de toutes les styles de musique, classique, folklorique, populaire, jazz, et dont les improvisations sont toujours extrêmement variées et pleines de trouvailles inattendues. Il possède, en plus d’une technique sans faille et d’un swing constant, une sonorité ample surtout dans le registre grave du violon, qu’il affectionne particulièrement et qu’il cultive également sur le violon ténor ou le violectra.L’accueil plutôt tiède du public français nous rappelle que, chez nous, tout ce qui n’est pas correctement étiqueté est suspect et qu’on ne saurait être considéré comme grand musicien si l’on est un touche à tout fût-ce de génie et si, de surcroît, on ne se prend pas trop au sérieux.Le plus bel hommage vient du maître lui-même, Stuff Smith. Il raconte sa découverte d’Asmussen au cours d’une soirée chez Timmie Rosenkrantz : “Ce n’est pas possible ! Je n’ai jamais entendu un swing pareil au violon”. “De toute ma vie de violoniste, ce garçon, Svend, est le premier musicien qui m’ait vraiment donné envie de danser”.Dans My melancholy baby, Svend expose le thème pizzicato, puis reprend l’archet, chante et improvise au vibraphone avant de conclure au violon.It don’t mean a thing est une éblouissante démonstration de swing et de virtuosité et une belle leçon de bonne humeur communicative de la part du quartette vocal.Ring dem bells nous fait apprécier l’extraordinaire cohésion de cet ensemble.Aujourd’hui, ce jeune homme qui vient de fêter ses 80 ans et qui n’a rien perdu de son swing ni de son humour continue de nous enchanter.
Alain Délot
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RAY PERRY
est né à Boston (Massachussets) le 25 février 1915.Il commence par des études de violon classique puis, à l’âge de vingt ans, apprend le saxophone.Il joue avec Chick Carter, Blanche Calloway et surtout Lionel Hampton de 1940 à 1943, avec qui il enregistre au violon et au saxo alto et baryton.Très influencé par Stuff Smith, comme on peut l’entendre dans cet enregistrement de Smart Alec, il est l’un des premiers à avoir utilisé un violon amplifié, dès 1940.Ray Perry est mort à New-York à la fin de l’année 1950.
Alain Délot
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EDDIE SOUTH
Edward Otha South est né à Louisiana (Missouri) le 27 novembre 1904, mais c’est à Chicago où ses parents s’installent bientôt qu’il passera sa jeunesse. Très jeune, il reçoit un enseignement classique au conservatoire. Cet enfant prodige aurait dû poursuivre dans cette voie mais, à cette époque, l’idée qu’un soliste noir puisse interpréter le concerto de Tchaikovsky sur la scène du Carnegie Hall n’était pas vraiment dans l’air du temps.Le grand violoniste de la Nouvelle Orléans Charlie Elgar le prend sous son aile, Darnell Howard l’initie au jazz. À seize ans, il poursuit ses études au Chicago College of Music où il suit les cours de Petrowitsch Bissing.Il débute vers 1921 dans les orchestres de Charlie Elgar, d’ Erskine Tate et de Mae Brady. De 1923 à 1927, il est directeur musical des Jimmy Wade’s Syncopators avec qui il réalise son premier enregistrement. Il revient un court moment chez Erskine Tate, puis commence à enregistrer sous son propre nom, avec ses “Alabamians”.En 1929, il part pour une tournée en Europe avec Marian Harris et profite de ce voyage pour aller à Budapest s’initier à la musique tsigane auprès de Jazoz Derzo. De retour à Paris, il enregistre le célèbre “Deux guitares”. Pendant son séjour, il suit la classe de Firmin Touche au Conservatoire. Il séjourne ensuite à Londres avant de regagner Chicago où il tourne et enregistre avec son orchestre.En 1937, nouveau retour à Paris où il joue au Pavillon des Oiseaux.
Il signe probablement ses meilleurs enregistrements avec Django Reinhardt (Eddie’s blues), Michel Warlop et Stéphane Grappelly (Lady be good). L’interprétation swing du Concerto en ré mineur de Bach nous rappelle la parenté évidente entre le jazz et la musique ancienne : une musique souvent peu écrite, un accompagnement en basse chiffrée, laissant une assez large part à l’improvisation, puisant aux sources de la danse, des notes inégales, des compositeurs interprètes et souvent polyinstrumentistes. Bref, de la musique vivante ! En entendant cette improvisation, je ne peux m’empêcher d’imaginer, ce jour là, caché dans un coin du studio, un vieux monsieur portant perruque écoutant, ému et ravi, l’hommage que lui rendaient ces merveilleux fous de musique.En passant par la Hollande, il retourne aux États-Unis en mai 1938, sur le Normandie, en compagnie de Benny Carter et d’autres musiciens américains. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie, faisant des apparitions régulières à la télévision et jouant régulièrement, avec son quartette à New-York, Los Angeles et Chicago..Son style subtil et raffiné qui lui a valu son surnom : “L’ange noir du violon” le situe exactement aux antipodes de Stuff Smith. Certes, son goût pour les belles mélodies, son lyrisme naturel et sa recherche constante de sonorités pleines et riches, l’entraînent souvent hors des sentiers du jazz et, si un excès de sentimentalisme, de préciosité, voire certaine mièvrerie a pu lui être reproché, lorsqu’il y ajoute son swing, comme par exemple dans Fiddleditty, c’est un véritable enchantement.C’est à Chicago que l’ange s’est envolé le 25 avril 1962
Alain Délot
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CLAUDE LAURENCE
André Hodeir est né à Paris le 22 janvier 1921. Il commence à l’âge de cinq ans de solides études de violon. Plus tard ce sera le Conservatoire de Paris où il obtiendra trois premiers prix.En 1942, il joue avec André Ekyan et fonde son propre orchestre, sous le pseudonyme de Claude Laurence.De cette époque date l’enregistrement de Minor swing qui est en fait une improvisation d’un bout à l’autre puisque le thème n’est jamais exposé.Sa carrière violonistique sera de courte durée puisqu’il abandonnera définitivement le violon vers 1950, pour se consacrer à la composition, à l’arrangement et à l’écriture.Rédacteur en chef de Jazz-Hot de 1947 à 1950, il est sans doute le véritable fondateur de la critique de jazz en France. Nous lui devons de nombreux ouvrages sur le sujet ainsi que des romans.En 1954, il fonde le Jazz Groupe de Paris.Parmi ses oeuvres musicales importantes, on peut citer Jazz on Joyce, la cantate Anna Livia Plurabelle et Bitter ending. Il a également composé de nombreuses musiques de films.
Alain Délot
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MICHEL WARLOP
est passé comme un météore dans le ciel de la musique. Ce surdoué, écorché vif, qui s’est dépêché de dévorer la vie, a eu la mauvaise idée de nous quitter trop tôt, à l’âge de trente six ans.Né le 23 janvier 1911 à Douai, cet enfant prodige apprend très tôt le piano et le violon et collectionne rapidement les récompenses.Repéré par Piero Coppola, compositeur et chef d’orchestre, directeur artistique du “Gramophone”, il aurait dû faire une brillante carrière de soliste. Mais Michel Warlop ne résiste pas aux sirènes du jazz.Coppola certainement déçu conservera pourtant une certaine tendresse pour cette “brebis égarée”. Lui qui, dans ses mémoires, avoue un penchant pour le jazz et une admiration particulière pour Duke Ellington, a même composé une “Hallelujah rapsodie” pour orchestre de jazz symphonique n’ayant, il est vrai, qu’un lointain rapport avec le jazz.En 1930, Michel Warlop entre chez Grégor et ses Grégoriens, fait la connaissance de Stéphane Grappelli.Il accompagne régulièrement des chanteurs : Maurice Chevalier, Germaine Sablon, Mireille, Jean Tranchant, Irène de Trébert, André Claveau…Il participe à des enregistrements avec Stéphane Grappelli, Eddie South (Lady be good), avec le Quintette du Hot Club de France et avec Django Reinhardt.En 1940, il est envoyé comme prisonnier en Allemagne, mais son état de santé précaire le fait libérer rapidement. Au retour, il crée une formation plutôt inattendue en jazz : le septuor à cordes.On ne se lasse pas de réécouter Oui, l’inépuisable tube d’Alix Combelle. Strange Harmony mêle swing et lyrisme tendre. Dans Christmas swing, inspiré par le thème de Django Reinhardt et porté par son accompagnement, Warlop se laisse aller à un fabuleux délire musical (on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être l’association de ces deux-là). Sur Harmoniques, comme le titre l’indique, il se promène avec toute l’aisance que lui donne sa formation classique, sur les notes harmoniques, dans l’exposé du thème, puis dans l’improvisation.Pour qualifier son style, laissons la parole à Daniel Nevers, qui a beaucoup fait pour que notre musicien ne sombre pas dans l’oubli : “Au fond, Michel Warlop inventa le “trumpet-violin style”, avec juste ce qu’il fallait de lyrisme écorché vif”.Usé par l’abus d’alcool, il disparaît à Bagnères-de-Luchon le 6 mars 1947.
Alain Délot
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