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Publié par J.L.D.

Les grands violonistes, découvrez leurs passionnantes biographies, sans doute vous aideront-elles à mieux comprendre leur parcours, leur particularité et surtout leur singularité qui a fait d'eux les plus grands artistes de leur temps

Niccolò Paganini

1) Paganini, le plus grand violoniste de tous les temps

Pour résumer

Rédigé par Camille V. le 21/03/2019 sur https://www.kelprof.com/

Né en 1782 dans la République de Gênes, Nicola Paganini commence la mandoline à 5 ans avant de s’orienter vers le violon deux ans plus tard. Violoniste virtuose et précoce donc, mais aussi grand compositeur de l’époque romantique, il a véritablement chamboulé les codes de l’instrument en développant de nouvelles techniques, des trilles au démanché. La légende raconte que son talent lui venait en partie de l’extensibilité “hors norme” de ses mains et doigts...

Ses deux illustres violons, Il Cannone de Guarneri del Gesu et le Vuillaume de Jean-Baptiste Vuillaume, sont aujourd’hui exposés à l’Hôtel de Ville de Gênes. Ses principales compositions sont les suivantes : 24 Caprices pour un Violon seul, 1802-1817 ; Concertos pour Violon, 1817-1830 ; Mose-Fantasia, 1818-1819.

Niccolo Paganini.

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

https://www.larousse.fr/encyclopedie/musdico/Niccolo_Paganini/169445

 Violoniste, altiste, guitariste et compositeur italien. Il prit ses premières leçons de musique avec son père, mandoliniste amateur, puis étudia avec Servetto, violoniste dans l'orchestre du théâtre de Gênes et avec Costa, maître de chapelle de la cathédrale San Lorenzo. À neuf ans, il fit ses débuts à Gênes en jouant ses variations sur la Carmagnole. Il travailla quelques mois avec Rolla, puis avec Ghiretti, maître de Paer. En 1797, accompagné de son père, il fit une tournée de concerts en Lombardie. De 1801 à 1804, il se consacra à la guitare puis étudia les compositions de Locatelli. Sur quoi il devint à Lucques directeur de la musique de la princesse Bacciochi, sœur de Napoléon (1805-1813). Il rencontra Rossini à Bologne en 1813. De 1828 à 1834, il parcourut l'Europe, suscitant partout l'enthousiasme ; il se rendit successivement à Vienne, où l'empereur le nomma « virtuose de la cour », en Allemagne, Autriche, Bohême, Saxe, Pologne, Bavière, Prusse, et dans les provinces rhénanes. En 1831, il arriva à Paris, où il donna son premier concert à l'Opéra le 9 mars, et où il resta jusqu'en mai. Ayant fait ses débuts à Londres le 3 juin 1831, il resta en Angleterre jusqu'en juin 1832. En janvier 1834 il rencontra Berlioz à qui il demanda d'écrire un solo pour alto ; ainsi naquit Harold en Italie que Paganini cependant ne devait jamais jouer. Le 27 mai 1840, il mourut à Nice où il s'était rendu dans l'espoir de rétablir sa santé. 

Bien que n'appartenant pas à leur génération, Paganini a fasciné les artistes romantiques, violonistes, pianistes, compositeurs, peintres ou écrivains : Chopin, Schumann, Liszt, Th. Gautier, Goethe, Heine. Sa silhouette méphistophélique, le halo de mystère qui entoure sa vie, la légende d'un pacte noué avec le diable et sa virtuosité spectaculaire rejoignent un des aspects de l'art romantique, qui veut surprendre. Les mots « prodigieux », « fantastique », « surnaturel » reviennent toujours à son propos sous la plume de ses contemporains. Fétis écrivit par exemple dans la Revue musicale du 12 mars 1831 : « Le violon entre les mains de Paganini n'est plus l'instrument de Tartini ou de Viotti ; c'est quelque chose à part qui a un autre but. » Personnage hoffmannesque, Paganini souleva par son jeu un enthousiasme proche de l'envoûtement. Après l'avoir entendu à Paris en 1832, Liszt se retira pour parfaire une technique pianistique pourtant déjà considérable. Plus d'un siècle après sa mort, il reste le symbole du violoniste virtuose, se jouant des difficultés les plus ardues qu'il crée à son propre usage.

En fait, il n'a pas inventé la technique du violon mais, personnalité dotée d'un extraordinaire pouvoir de synthèse, il réunit en un tout artistique, convenant à la manière de penser et de sentir de la première moitié du xixe siècle, ce qui avant lui existait déjà dans cette technique. Il donna à celle-ci un nouvel élan, et lui apporta l'épanouissement grâce à son talent créateur formé en dehors de l'académisme des écoles. Il explora les virtualités acrobatiques du violon, exaltant l'instrument, mettant en valeur ses possibilités expressives et ses positions les plus élevées, et usant du démanché avec hardiesse, passant sans transition du registre grave au registre aigu et vice versa ; il fut le premier à utiliser au maximum les ressources de la 4e corde, à laquelle il destina de nombreuses compositions (sonates Maria-Luisa, Napoléon, Militaire, Majestueuse Sonate sentimentale, 3 thèmes variés) ; il pratiqua la scordatura, écrivit de longs passages en chromatisme. Grâce à une extensibilité exceptionnelle de la main, il se joua des extensions les plus périlleuses et donna les premiers exemples de trilles à l'octave et à l'unisson. Il utilisa avec audace le staccato jeté, les doubles, triples, quadruples cordes et les accords, dans des combinaisons réclamant souvent des doigtés délicats, des croisements de doigts ou extensions rendus plus difficiles encore par la rapidité du tempo. Il étendit l'emploi des sons harmoniques, inventa de nouvelles combinaisons, utilisa aux deux mains le pizzicato en traits rapides, en le mêlant aux sons coll'arco, comme accompagnement du chant joué avec l'archet.

Les difficultés techniques de ses œuvres, « point solsticial de la virtuosité » (selon Schumann), et notamment celles des 24 Caprices, ont inspiré de nombreux compositeurs parmi lesquels Schumann, Liszt, Brahms, Rachmaninov, Casella, Castelnuovo-Tedesco, Lutoslawski et Dallapiccola. Paganini a composé uniquement de la musique instrumentale, destinée à ses instruments de prédilection : la guitare, l'alto et surtout le violon, auquel il destina notamment six concertos.

Niccolo Paganini.

Jean-Marc Warszawski
Refonte de la page, 31 décembre 2009
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idem 2 juillet 2016
Idem, 26 octobre 2017  
© Musicologie.org

Il reçoit ses premiers cours de violon et de mandoline de son père, Antonio Paganini, un docker et musicien amateur. Il prend par la suite des leçons de violon à Gênes, avec Giovanni Cervetto, un violoniste professionnel, et Giacomo Costa, le directeur de l'orchestre du Théâtre.

À partir des années 1794, il se produit dans les églises locales et les salons privés. Il est remarqué par le marquis Giancarlo Dinegro, dont il reçoit les encouragements. Il compose à cette époque  Carmagnola, un cahier de 14 variations pour violon et guitare, sur la « Caramagnole », chant révolutionnaire français.

Il et se perfectionne auprès  d'Alessandro Romma, directeur de l'orchestre du théâtre ducal, à Parme. Il donne des concerts à bénéfice, pour subvenir à ses besoins. Il est de retour à Gênes en 1795.

L'invasion de l'Italie par les troupes napoléoniennes, à la fin des années 1790, provocant le blocus des ports, force Antonio Paganini, à déménager à Livorno (Livourne), pour trouver du travail dans les docks. Il organise, avec succès, avec l'aide du consul d'Angleterre, Archibald Mas Neil, des concerts pour son fils.

En 1801, Paganini s'installe à Lucca (Lucques), où il a un grand succès, et commence à affirmer son style inhabituel, tant dans le jeu du violon, que dans l'attitude scénique.

En 1805, il est rémunéré comme premier violon de l'orchestre de la République, où joue également son frère aîné Carlo est violoniste..

À l'arrivée du prince Felice Baciocchi et de son épouse Élisa (la sœur de Napoléon), il est rétrogradé au second pupitre, et compense la perte financière en donnant des cours de violon, dont au prince Felice, et conduit le nouvel orchestre. Il doit par ailleurs porter l'uniforme de capitaine des gardes, lors des cérémonies officielles.

Il développe son activité de compositeur, et travaille à sa première œuvre d'importance, pour violon et orchestre, Napoléon (Sonata Napoleone), utilisant un accord spécial (scordatura), destiné à l'anniversaire de l'empereur.

À partir de 1810, quitte le service de la cour et vit comme artiste indépendant. Il entreprend une tournée en Italie. Il a un grand succès, mais on lui reproche de prend trop de libertés avec les partitions originales, à quoi il répond qu'il joue à la manière italienne. Il triomphe à la Scala de Milan, dirigée par Alessandro Rolla.

En 1814, il est à Gênes (Genoa), où il tombe amoureux d'Angiolina Cavanna, avec laquelle il passe les quelques mois que dure leur liaison à Parme, avant qu'il ne revienne dans sa ville natale.

 

En 1815, à la chute de l'Empire, la République de Gènes est dissoute, la Ligurie est rattachée au royaume de Sardaigne. Considéré comme jacobin, il doit s'adapter au nouveau régime. Quand le roi Vittorio Emanuele est de passage à Gènes, Paganini dirige un concert en son honneur et lui dédie trois quatuors à cordes.

En 1816, il est de nouveau à Milan, où il joue avec le violoniste Charles Philippe Lafont (1781-1829), le double concerto de Kreutzer. Lafont lui reprochera de n'avoir pas suivi la partition avec exactitude. Il joue également à Venise et Trieste, et achève la composition de son concerto pour violon (opus 6).

Caricarture de Lafont, par Xavier-Auguste Leprince, vers 1820

En 1818, il donne une série de concerts au centre de l'Italie, qui le mène à Piacenza, où il rencontre le violoniste polonais Karol Lipiński (1790-1861),  et à Bologne, où il rencontre Rossini avec sa future épouse Isabella Colbran (1785-1845). Il fait la connaissance de Marina Banti, avec laquelle il décide de se marier.

Isabella Colbran, épouse de Rossini.

Jusqu'en 1821, il donne de nombreux concerts à Florence, Rome, Naples et Palerme. Il y fait la connaissance d'Ingres qui réalise son portrait, et le prince Metterchich, qui l'invite à jouer en Autriche. Il rencontre le violoncelliste Gaetano Ciandelli, pour lequel il écrit des arrangements.

Paganini, par Ingres.

Malade de la Syphilis, il se rend à Milan, auprès de sa mère, et se fait soigner à la clinique renommée de Siro Borda (1731-1824) à Pavie. Puis il séjourne à Cernobbio, chez le général et musicien amateur Domenico Pino, au bord du lac de Côme,  avec lequel il joue des duos violon-guitare. Il y rencontre peut-être (au début de l'année 1824), la cantatrice Antonia Bianchi (1800-1874) qui devient sa compagne pour plusieurs années.

Il reprend ses tournées de concert en 1824, à Milan et Gènes, puis voyage avec Antonia Bianchi à Venise et Trieste, où il séjourne avec le marchand et mélomane génois, Agostino Samengo.

En 1825, il donne des concerts dans les théâtres de Rome, séjourne à Naples et à Palerme, où naît Achille Cyrus Alexander, le fils de Paganini et d'Antonia Bianchi.

Jean-Marc Warszawski
Refonte de la page, 31 décembre 2009
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idem 2 juillet 2016
Idem, 26 octobre 2017  
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Nathan Milstein (1903-1992), interprète le 11e capriccio

Jean-Marc Warszawski
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En 1827, après des concerts à Naples, il se rend à Rome pour être reçu par le pape Léon XII, dans l'ordre de l'Éperon d'or, il continue, dans le courant de l'année une tournée de concerts à Livourne, Florence, Bologne, Gênes, Milan et Turin

En 1828, il se rend à Vienne, et triomphe en Autriche. Antonia chante à ses côtés. Il est admis parmi les virtuoses de la chambre de l'empereur. Il se sépare d'Antonia Bianchi et obtient la garde de leur enfant.

Il rencontre Julius Schottky à Prague, qu'il rémunère en tant que biographe.

En 1830, il fait une tournée triomphale dans la plupart des grandes villes allemandes, il y rencontre Robert Schumann et Clara Wieck (ils se mariront en 1840), Spontini et Meyerbeer. Il est rémunéré comme maître de chapelle du roi de Prusse.

De passage en Pologne, il y rencontre Chopin et de nouveau Karol Lipiński.

Il rencontre le critique musical, écrivain et artiste Ludwig Peter August Burmeister, connu sous le nom de Lyser, qui fait de lui des esquisses sur le vif, en concert et en privé.

Paganini s'installe à Frankfurt (Francfort) avec son fils. Il y rencontre Karl Guhr, qui après l'avoir observé, écrit un traité sur sa technique du violon. Cet ouvrage, traduit en plusieurs langues, à un grand succès. Son ami Lazzaro Rebizzo le rejoint et devient son secrétaire.

Il se rend à Paris en février 1831, où il triomphe une fois encore.  Il rencontre de nouveau Rossini, Paër, Giuditta Pasta et Maria Malibran. L'impresario Laporte l'engage pour une tournée en Grande-Bretagne, qui le mène jusqu'en Irlande.

« The Modern Orpheus », Opera House (Haymarket), 3 juin 1831 

Au cours des années 1832-1833, il partage sa vie entre Paris et Londres. Il rencontre Charlotte  Watson, la fille de son accompagnateur, en envisage de fuir avec elle en France. En 1833, il achète une villa à Gaione (Parme), par l'intermédiaire de l'avocat Luigi Guglielmo Germi (1785-1870), son administrateur et ami intime.

En 1834, il passe une commande à Berlioz, d'un concerto pour viole et orchestre, projet qui tourne court. Il effectue une tournée en Belgique, puis en Angleterre.

À la fin du mois de juin 1835, il se rend à Boulogne afin de rencontrer en secret Charlotte Watson, mais le père s'interpose, ce qui est prétexte à une campagne de presse.

Il retourne en Italie, pour prendre livraison de sa maison, à Gaione. Il donne des concerts à Gênes, où il est récompensé par une médaille d'or de la ville, Piacenza et Parme.

Jean-Marc Warszawski
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Jean-Marc Warszawski
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En raison de l'épidémie de Choléra de 1835 à Parmes, le bruit court que Paganini est mort. Son décès est annoncé par la presse parisienne, qui publie d'importantes nécrologies, fin août-début septembre.

En 1835, la duchesse de Parme, Maria Luigia (veuve de Napoléon), l'invite à prendre part au Conseil des arts du théâtre ducal. Il donne des concerts à Parme, il est nommé surintendant à la cour.

Il quitte ce poste l'année suivante et se rend à Turin pour faire légitimer sa paternité, ce qui lui est accordé par Carlo Alberto de Savoye, le roi de Sardaigne.

Après une tournée à Nice et Marseille, il revient à Gêne, où il rédige son testament. Il donne un concert de charité à Turin, en remerciement de sa reconnaissance de paternité.

Il est en juin 1837, à Paris, pour superviser l'ouverture d'une salle de concert portant son nom, le « Casino Paganini », où il devait jouer deux fois par semaine. Le projet échoue, en grande partie à cause de la maladie. Il a signé de nombreuses souscriptions sous le nom de son secrétaire et ami Lazzaro Rebizzo.

En 1838, il essaie divers traitements pour sa maladie à Paris, mais aucun n'a d'effet. Il assiste toutefois aux concerts de Berlioz, et lui apporte 20.000 francs en décembre.

Il est à Marseille en 1839, quand il apprend que la justice a examiné l'affaire du casino, et le condamne à une très lourde amende. Il fait appel du jugement.

Il fait une cure à Balaruc et à Vernet. Ne pouvant plus se produire en public, il commence à vendre ses instruments, par l'intermédiaire du violoncelliste milanais Vincenzo Merighi.

En 1840, après un court séjour à Gênes, il se rend à Nice, où son état de santé se détériore subitement. Il meurt le 27 mai.

Plaque apposée sur la maison de Nice

Déclaré « sans dieu » par l'évêque de Nice, il ne peut être enterré dans un cimetière. Son corps, embaumé, est laissé dans sa maison de Nice pendant deux mois, après lesquels les autorités exigent qu'il en soit retiré. Ses amis Germi et Rebizzo, tentent sans effet d'obtenir un assouplissement de la loi. Après avroi été à Cap Ferrat, le corps est gardé à la villa Romairone à San Biagio.

Il est définitivement inhumé en 1876 au cimetière de Parme.

Jean-Marc Warszawski
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Jascha Heifetz interprète le 24e Capriccio

Jean-Marc Warszawski
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Le Vuillaume

En 1833, Paganini doit faire réparer son violon préféré, le Guarneri « Del Gesù », dit le « Cannone ». L'instrument est confié au luthier Jean-Baptiste Vuillaume (1798-1875).

Vuillaume répare le « Cannone » et en réalise une copie, que Paganini, désire acheter. En fait, Vuillaume le lui offre, en témoignage de son admiration.

En 1840, alors que Paganini, trop malade pour pouvoir encore se produire, vend ses instruments, son avocat et ami, Luigi Guglielmo Germi, propose de vendre le « Vuillaume » à son élève Camillo Sivori (1815-1894).

Paganini se range à cette idée et fait envoyer les 500 francs de la vente à Vuillaume.

Peu après la mort de Sivori, en 1894, ses héritiers offrent l'instrument à la Ville de Gênes qui le conserve depuis au Palazzo Tursi à côté du violon de Paganini. Il ne put être joué qu'à partir de 1992, après sa restauration par le luthier Renato Scrollavezza.

Catalogue des œuvres

M.S. = Catalogue de Maria Rosa Moretti et Anna Sorento

  • M.S. 1, Carmagnola con variazioni,  14 Variations sur le chant révolutionnaire français « La Carmagnole », pour violon et guitare
  • M.S. 2, 1804, op. 64, Sonata concertata, en la majeur, pour guitare et violon [ partie de guitare ; partie de violon]
  • M.S. 3, Grand sonata, en la majeur, pour guitare avec accompagnement de violon [partie de guitare ; partie de violon]
  • M.S. 4, Divertimenti Carnevaleschi, pour 2 violons et violoncelle
  • M.S. 5, Napoléon, sonate avec variations pour quatuor à cordes en, mi bémol majeur, (aussi pour violon et orchestre)
  • M.S. 6, Sonata a violino solo, en do majeur, « Duo Merveille » [autre gravure]
  • M.S. 7-13, 7 Sonates « Lucca », pour violon et guitare
  • M.S. 8, Entrata d'Adone nella reggia di Venere, pour violon et guitare
  • M.S. 14 et 16, 2 Serenatas, pour mandoline et guitare (mi mineur et sol majeur)
  • M.S. 15, 4 Nocturnes, pour quatuor à cordes
  • M.S. 17, Serenata, en do majeur, pour alto, violoncelle et guitare
  • M.S. 18, Polacca con variazioni, en la majeur, pour violon et orchestre
  • M.S. 19, op. 8, Le Streghe, variations sur un thème du ballet « Il noce di Benevento », de Franz Xaver Süssmayr, pour violon et orchestre [version violon et piano ; partie de violon , violon piano, édition Shirmer 1903 ; violon et piano, autre gravure + partie de violon]
  • M.S. 20, 3 quatuors à cordes
  • M.S. 21, op. 6, Concerto n° 1, en ré majeur, pour violon et orchestre [Version piano et violon ;
  • M.S. 22, op. 12, Non più mesta, varations sur le rondo « Non più mesta accanto al fuoco » de l'opéra « Cenerentola » de Giacomo Rossini, en mi bémol majeu, pour violon et orchestre [version violon et piano]
  • M.S. 23, Sonata a Preghiera, « Mose Fantasia », ), variations sur le thème « Dal tuo stellato » de l'opéra « Mose », de Giacomo Rossini, en fa majeur, pour violon et orchestre [version pour violon et piano ; partie de violon]
  • M.S. 25, op. 1, 24 Caprices,  pour violon seul [fac-similé d'un manuscrit autographe]
  • M.S. 26, op. 2, 6 Sonates, pour violon et guitare [parties de violon et de guitare à la suite ; éditions Zimmerman : partie de guitare ; partie de violon]
  • M.S. 27, vers 1805, op. 3, 6 Sonates, pour violon et guitare [parties de violon et de guitare à la suite]
  • M.S. 28-42, 1818-1821, op. 4-5, 15 quatuors pour cordes et guitare (la mineur, do majeur, la majeur, ré majeur, do majeur, ré  mineur, mi majeur, la majeur, ré majeur,  fa majeur, si majeur [violon ; alto ; violoncelle ; guitare], la mineur [violon ; alto ; violoncelle ; guitare], fa majeur [violon ; alto ; violoncelle ; guitare], la majeur [violon ; alto ; violoncelle ; guitare], la mineur)
  • M.S. 43, 1818-1819, 43 Ghiribizzi, pour guitare seule
  • M.S. 44, 1820-1821, Nel cor piu non mi sento, Introduction et variations, en sol majeur, sur l'air «  Nel cor piu non mi sento » de l'opéra « La bella molinara » de Giovanni Paisiello, pour violon seul  [autre gravure annotée ; autre gravure]
  • M.S. 45, 1823, op. 19, Cantabile e Valtz, en mi majeur, ,pour violon et guitare
  • M.S. 47, 1827, Sonata con variazioni, en mi majeur, sur le thème « Pria ch'io l'impegno » de l'opéra « L'amor marinaro » de Joseph Weigl, pour violon et orchestre [version violon et piano]
  • M.S. 48, 1825-1826, op. 7, Concerto n° 2, en si mineur, pour violon et orchestre [version pour violon et piano ; partie de violon ; Finale : « La Campanella », violon et piano, éditions Musica, Budapest 1968 + partie de violon]
  • M.S. 49, Adagio, pour violon et orchestre
  • M.S. 50, 1825-1826, Concerto n° 3, en mi majeur, pour violon et orchestre
  • M.S. 52, Maestosa Sonata Sentimentale, variations sur l'hymne autrichien « « Gott erhalte Franz den Kaiser » de J. Haydn, pour violon et orchestre
  • M.S. 56, 1929-1930, op. 9, God Save the King, variations sur l'hymne anglais, pour violon et orchestre [partie de violon ; version violon et piano]
  • M.S. 57, Sonata Varsavia, variations sur une mazurka de J. Elsner, pour violon et orchestre
  • M.S. 59, 1929-1930, op. 10, Il Carnevale di Venezia, variations en la majeur, sur le chant napolitain « O mamma, mamma cara » en la majeur, pour violon et orchestre [version pour violon et piano]
  • M.S. 60, Concerto n° 4, en ré mineur, pour violon et orchestre [version violon et piano, édition  Swand Publications]
  • M.S. 65, Œuvre pour cor, basson et orchestre
  • M.S. 66, Sonata movimento perpetuo, pour violon et orchestre (deux versions)
  • M.S. 67, Le Couvent du Mont Saint Bernard, pour violon, chœur sans paroles et orchestre
  • M.S. 68, Caprice d'Adieu, pour violon seul
  • M.S. 69, Terzetto, en ré majeur, pour violon, violoncelle et guitare [parties séparées, éditions Zimmerman ;  partie de violon ; partie de violoncelle
  • M.S. 70, 1834, Sonata per la Grand Viola, en do mineur, pour alto et orchestre [fac-similé de la partition autographe]
  • M.S. 71, op. 14, Variazioni sul Barucabà, 60 variations sur une mélodie génoise, pour violon et guitare [éditions Muzyka, moscou 1983]
  • M.S. 72, 1830, op. 11, Moto Perpetuo : Allegro vivace a movimento perpetuo, en do majeur, pour violon et orchestre [version pour violon et piano ; partie de violon]
  • M.S. 73, La Primavera, sonate avec variations , en la majeur, pour violon et orchestre
  • M.S. 74, Balletto Campestre, variations sur un thème comique, pour violon et orchestre
  • M.S. 75, Concerto n° 6, en mi mineur, pour violon et orchestre [version piano et violon]
  • M.S. 76, Tarantella en la mineur pour violon et orchestre [version piano et guitare, édition Zimmermann Frankfurt 1959 ; partie de violon]
  • M.S. 77, 1819, op. 13, Il Palpiti, variations en la majeur, sur le thème « Di tanti palpiti » de l'opéra « Tancredi » de Giacomo Rossini, pour violon et orchestre [version violon et piano ; partie de violon]
  • M.S. 78, Concerto n° 5, en la mineur pour violon et orchestre [version pianio et violon ; version violon piano, éditions Swand Publications]
  • M.S. 79, Marie Luisa, sonate avec variations, en mi majeur, pour quatuor à cordes (aussi pour pour violon et orchestre)
  • M.S. 80, Valse
  • M.S. 81, Inno patriottico, en la majeur, pour violon seul
  • M.S. 82, Tema variato, en la majeur, pour violon seul
  • M.S. 83, Sonate pour violon seul
  • M.S. 84-97, 22 pièces pour guitare seule (5 Sonatines, Allegretto en la majeur, Sonate en mi majeur, Andantino en sol majeur, Andantino en do majeur, Allegretto en la majeur, Allegretto en la mineur, Valse en do majeur, Rondoncino en mi majeur, valse en mi majeur, Andantino en do majeur, Sinfonia della Lodovisia en ré majeur pour guitare seule, Andantino en sol majeur, Valse  en do majeur, Trio en  fa majeur, Andantino en fa majeur, Marcia en la majeur, Sonata en la majeur, pour guitare seule, Marziale (con Trio), en mi majeur)
  • M.S. 106, Menueto, en mi majeur, pour mandoline seule
  • M.S. 107, 3 Duos concertants, pour violon et violoncelle
  • M.S. 109, op. 17, Cantabile en ré majeur, pour violon et piano
  • M.S. 110, 6 duos pour violon et guitare
  • M.S. 111, Duetto amoroso, en do majeur, pour violon et guitare
  • M.S. 112, après 1828, 18 Centone di sonate, pour violon et guitare
  • M.S. 114, Terzetto concertante, en ré majeur, pour alto, violoncelle et guitare [partie d'alto ; partie de violoncelle ; partie de guitare]
  • M.S. 115, Serenata, en  fa majeur, pour 2 violons et guitare
  • M.S. 116, Terzetto, en la mineur, pour 2 violons et guitare
  • M.S. 117, In cuor più non mi sento, en la majeur, pour violon avec accompagnement de violon et de violoncelle
  • M.S. 130, 3 duos concertants, pour violon et basson
  • M.S. 133-134, 1806-1809, 12 sonata di Lucca, pour violon et guitare 
Bibliographie

Jean-Marc Warszawski
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Joseph Joachim
 1831/1907

Joseph Joachim — Wikipédia

Violoniste, chef d'orchestre et compositeur né à Kittsee (près de Bratislava), Joseph Joachim travaille avec G. Hellmesberger senior à Vienne et F. David à Leipzig (1843) avant de faire ses débuts au Gewandhaus de Leipzig (1843), à Londres (1844), à Dresde, Vienne et Prague (1846). Premier violon en 1849 à Weimar, où il vit dans le cercle de Liszt, il devient directeur des concerts à Hanovre en 1856, puis en 1868 directeur de l'École supérieure de musique de Berlin, dont le très grand essor dans les années suivantes lui sera dû pour l'essentiel. Il sera encore, dans cette même ville, sénateur puis vice-président de l'Académie des arts. Pédagogue actif ayant formé plus de quatre cents élèves, il reste cité comme modèle pour ses interprétations du concerto pour violon de Beethoven, qu'il imposa définitivement au répertoire, et des œuvres pour violon seul de Bach, que, grâce à la puissance de son jeu, il fut le premier à donner effectivement sans accompagnement. Il avait pris pour devise « Frei, aber einsam » (« Libre, mais seul »). C'est en jouant sur les initiales de cette devise et les notes musicales correspondant à ces initiales, que Schumann et les deux disciples préférés de ce dernier, Brahms et Dietrich, avec lesquels il était intimement lié, lui offrirent en 1853 une œuvre collective, la sonate F.A.E. pour violon et piano dont le premier mouvement est de Dietrich, le troisième de Brahms, le deuxième et le quatrième de Schumann. Demeuré, après la mort de Schumann, le grand ami de Brahms malgré plusieurs brouilles, Joachim fut le dédicataire et le premier interprète de son Concerto pour violon (ceux de Schumann, Max Bruch(1) et Dvořak furent aussi écrits à son intention). En 1869, Joachim fonda un quatuor à cordes qu'il conduisit jusqu'à sa mort, survenue à Berlin, et dont les concerts sont demeurés légendaires (chacun de ses membres possédait un Stradivarius de la meilleure époque). Comme compositeur, Joachim resta dans la lignée de Schumann et de Brahms. Son œuvre la plus célèbre est le Concerto à la hongroise (Konzert in ungarischer Weise) op. 11, pour violon et orchestre.

Marc VIGNAL, « JOACHIM JOSEPH - (1831-1907) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 janvier 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/joseph-joachim/

1868, Max Bruch : Création de son Concerto pour violon n°1

Joseph Joachim par James Archer (1876) Détail / 1868, Max Bruch : Création de son Concerto pour violon n°1- Musicopolis, © Getty / Heritage Images

Petite appartée concernant Max Bruch et Joseph Joachim

1868, Max Bruch : Création de son Concerto pour violon n°1

Le 5 janvier 1868, à Brême, le grand violoniste et compositeur Joseph Joachim créé la version définitive du Concerto pour violon n°1 de Max Bruch. Dans Musicopolis, Anne-Charlotte Rémond vous invite à suivre les étapes de la création de cette oeuvre virtuose ! 

Le 6 janvier 1868, Max Bruch fête ses 30 ans, le lendemain même de la création de son Concerto par Joseph Joachim. Il a beaucoup travaillé sur cette œuvre, et il l'a même remise plusieurs fois sur le métier, puisqu' en effet, elle a déjà été créée dans une première version, deux ans plus tôt, le 24 avril 1866.

"Mon concerto pour violon avance lentement. Je ne me sens pas sûr de moi sur ce terrain''

Mais il nous faut remonter à l'été 1864 pour voir le compositeur se mettre à composer l'œuvre.
Max Bruch a alors 26 ans, il commence le travail sur sa nouvelle œuvre instrumentale. En novembre 65, il écrit à son maître Ferdinand Hiller "Mon concerto pour violon avance lentement. Je ne me sens pas sûr de moi sur ce terrain. Ne pensez-vous pas qu'en fait, c'est très audacieux d'écrire un concerto pour violon ?».

La création du Concerto pour violon de Bruch, dans sa première version, laisse le compositeur insatisfait et il se tourne vers Joseph Joachim

Bruch est pianiste, et malgré une bonne connaissance des cordes, il doit demander conseil à des amis violonistes. De fait, il lui faut un an et demi pour arriver au bout, et terminer la première version, créée à Coblence par Otto von Königslöw, le violon solo de l'Orchestre du Gürzenich de Cologne (et ami de Hiller). La création du Concerto pour violon de Bruch, dans sa première version, laisse le compositeur insatisfait et il se tourne vers Joseph Joachim. Celui-ci est considéré comme LE violoniste du siècle : encouragé par Mendelssohn, il a donné des interprétations mémorables du Concerto de Beethoven, de celui de Mendelssohn, et il en a écrit lui-même plusieurs qu'il joue partout en Allemagne. Max Bruch entame une longue correspondance avec Joachim au sujet de son Concerto pour violon. Ils se voient et ils travaillent ensemble. Bruch s'interroge en particulier sur le mot Concerto : est-il justifié alors que le premier mouvement n'est en fait qu'un grand Prélude à l'Adagio. Oui, oui, répond Joachim, le terme est justifié, et les deux derniers mouvements, tellement contrastés, conviennent parfaitement au genre du concerto. Par la suite, c'est Ferdinand David, le violon solo de Leipzig, qui révise la partie de violon terminée. 

''Le Concerto commence une fabuleuse carrière''

Enfin vient le moment de la première de la version définitive, le 5 janvier 1868, c'est Joachim qui tient l'archet cette fois-ci. Le Weser Zeitung est très élogieux : "Avec Bruch, pas de danger qu'il se perde dans le chaos de l'informe musique du futur. Il utilise sa propre forme avec assurance, et grâce à une abondance de beauté harmonique et mélodique, il ne perd jamais le lien avec son public." Le 16 avril 1868, 4 mois après la création par Joachim, Max Bruch écrit au chef d'orchestre Hermann Levi :

"Le Concerto commence une fabuleuse carrière. Joachim l'a joué à Brême, Aix-la-Chapelle, Hanovre et Bruxelles, il va le jouer bientôt à Copenhague, et au Festival de Cologne à la Pentecôte, ce qui me fait très plaisir. Leopold Auer le fait le 17 à Hambourg (Concert Philharmonique), Ludwig Straus en mai à Londres (Société Philharmonique), Ferdinand David à Leipzig (au début de la saison prochaine, Léonhard et Vieuxtemps, l'ont commandé — bref, ça avance brillamment !"

Programmation musicale

Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon n°1 en sol mineur op 26 (1864-1868) I. Allegro moderato
Jasha Heifetz, violon
Nouvel Orchestre Symphonique de Londres, direction Malcolm Sargent
RCA 09026 61779 2/4   

Max Bruch (1838-1920)
Die Loreley (1862-63) Acte II. Lénore et Choeur "Woher am dunkeln Rhein ?"
Michaela Kaune, soprano
Choeur Philharmonique de Prague
Orchestre de la Radio de Munich, direction Stefan Blunier
CPO CPO7770052   

Max Bruch (1838-1920)
Frithiof, Op. 23 (1863-64) Scene 3
Choeur d'hommes de Weert
Orchestre Symphonique de Limburg, direction Theo Timp
(Enreg non commercialisé)   

Ferdinand Hiller (1811-1885)
Concerto en fa dièse min op 69 (1843) I. Moderato
Michael Ponti, piano
Orchestre de Radio Télé Luxembourg, direction Louis de Froment
Brilliant Classics 95300/3   

Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon n°1 en sol mineur op 26 (1864-1868) I. Allegro moderato
Jasha Heifetz, violon
Nouvel Orchestre Symphonique de Londres, direction Malcolm Sargent
RCA 09026 61779 2/4   

Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon n°1 en sol mineur op 26 (1864-1868) II. Adagio
Jasha Heifetz, violon
Nouvel Orchestre Symphonique de Londres, direction Malcolm Sargent
RCA 09026 61779 2/4   

Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon n°1 en sol mineur op 26 (1864-1868) III. Allegro energico
Jasha Heifetz, violon
Nouvel Orchestre Symphonique de Londres, direction Malcolm Sargent
RCA 09026 61779 2/4

L'équipe de l'émission :

 

 

Joseph Joachim  

Violoniste hongrois connu pour sa technique magistrale et ses interprétations d'œuvres de Bach, Mozart et Beethoven. Joachim a d'abord étudié à Budapest , et à l'âge de sept ans, il est apparu avec son professeur S. Serwaczyński. En 1844, il visita Londres, où il fut parrainé par Mendelssohn et obtint un succès remarquable. En 1849, il dirigea l'orchestre de Weimar, et en 1853, l'orchestre de Hanovre . En 1868, il devient directeur de la Hochschule für Ausübende Tonkunst (Berlin), où il acquiert une réputation de bon professeur, attirant des élèves de toute l'Europe. En 1869, il fonda le Quatuor Joachim, qui devint célèbre pour ses interprétations des derniers quatuors à cordes de Beethoven. Dans son jeu, Joachim a subordonné la virtuosité technique aux valeurs esthétiques , et il a ainsi opéré une réforme de la programmation qui s'est détournée du spectaculaire. Son ami intime Johannes Brahms le consulta sur son concerto pour violon et le lui dédia, et le Fantaisie pour violon et orchestre de Schumann fut écrit pour lui. Les propres compositions de Joachim , influencées par Brahms et Schumann, comprennent principalement des œuvres pour violon, notamment le Concerto hongrois en ré mineur . 

AUTOUR DE JOSEPH JOACHIM

Concert des 11 et 12 décembre 2016

Note de Programme

Joseph Joachim (1831-1907)
Concerto pour violon n°1 en sol mineur, op. 3 (1857)
durée d’exécution : 22 minutes environ

 «Joseph Joachim est un autre violoniste, de quinze ans, qui a maintenant accompli, ce que nombre des joueurs les plus célèbres n'ont pas encore accompli. Il a la maîtrise la plus complète de l'instrument et exécute la musique de toutes les écoles depuis une fugue de Bach jusqu'à un caprice d'Ernst et de Bériot avec une facilité tout aussi merveilleuse.» The Weekly Herald (New York), 31 août 1844

L’on ne se doute pas toujours qu’au royaume des « petits maîtres », de ces messieurs que l’on connaît davantage pour leurs cadences que pour leurs concertos, se cache tant de fureur, tant de mystère ! Dans la lignée des Henri Vieuxtemps et des Louis Spohr, Joseph Joachim est de ces violonistes virtuoses qui ont donné leur vie et leur talent à la gloire de contemporains plus brillants ; dédicataire du Concerto pour violon de Brahms, mais également ami proche de Mendelssohn, Liszt, Berlioz, Schumann, on aurait dit qu’il s’est effacé pour mieux leur laisser place. Pourtant, sous le regard barbu, une grande force musicale est prête à bondir ; écrivant merveilleusement pour son instrument, il sait l’exprimer à plein dans ce feu noir, ces jets expressifs qui se terminent presque toujours par des points d’orgue.

Si Joachim ne déborde pas tant de la ligne, offrant des harmonies assez classiques, il fait entendre dans cette œuvre de jeunesse des interrogations, des angoisses fin-de-siècle que même Brahms n’offrira guère dans son propre concerto, pourtant postérieur (1878). Un rejet de la « grande forme » post-beethovénienne l’amène dans cette écriture hallucinée, aux démarcations très diffuses, dont le rythme mâtiné de pauses et de dialogues est celui d’une scena opératique. L’idée musicale cachée sous ce concerto est pourtant bien simple : une habile conjugaison de demi-tons et d’octaves ; idée aussi bien à la base du motif do#-ré-mi♭-ré, répété au violon, que des nombreuses variations très techniques qui composent les solos et cadences. Tandis que d’incessants rappels du Style Hongrois apportent un agréable effet de vêture, la nudité stylistique de certaines cadences permet un face-à-face poignant avec l’instrument. Dans ce climat de forte tension harmonique, le violon alto fait entendre à plusieurs reprises un leitmotiv, le très hypnotique do#-ré-ré-si♭, que l’on retrouvera grimé dans des thèmes secondaires, et décliné sous toutes ses formes. C’est avant que le violon prenne subitement la parole, parcourant (déjà !) toute sa tessiture en quelques mesures ; énoncé que confirme l’orchestre dans un élégant tutti. Une seconde atmosphère est introduite avec un Etwas Ruhiger [plus calme] en majeur, faisant grand cas des pupitres de bois. C’est avant que le soliste y coupe court, le temps d’une cadence aux périlleuses doubles-cordes ; une technique risquée pour la justesse, qui néanmoins reparaîtra plusieurs fois dans le concerto, associée à des démanchés et sauts d’octaves particulièrement virtuoses. Le concerto se clôt sur un Presto assai foudroyant, le soliste y atteignant un impressionnant sol suraigu avant les deux coups de tonnerres finaux.

Julien Hanck

  • Stéphane Cem Kilic (1981-)
  • « Sonata Fantasy », pour violon et piano (2010)
  1. Fantastique, sombre, vivant
  2. Rêveur
  3. Tel le lever du jour

 

  • Franz Schubert (1797-1828)

  • Trio n°2 en ut majeur, D. 929 (1827)

  1. Allegro

  2. Andante avec moto

  3. Je blague

  4. Allegro moderato

 

 

Joachim, Joseph (1831 - 1907)

Joseph Joachim à 35 ans

Joseph Joachim (1831 –1907) à l'âge de 35 ans
Le musicien avec son instrument Photographie, vers 1865 Robert-Schumann-Haus Zwickau

Né le 28 juin 1831 à Kittsee*, Burgenland (district de Neusiedl am See), le fils de Julius et Fanny Joachim, se produisit pour la première fois en public dès l'âge de huit ans comme violoniste prodige. Il se lie d'amitié avec Clara et Robert Schumann, qu'il recommande à Johannes Brahms, son cadet de deux ans, pour qu'il apprenne à les connaître personnellement. Les tragiques incidents de Robert Schumann, qui sauta d'un pont dans le Rhin le 27 février 1854 et resta après son sauvetage dans un asile psychiatrique à Endenich jusqu'à sa mort le 29 juillet 1856, resserrèrent l'amitié des deux jeunes hommes (tous deux visité Schumann régulièrement à Endenich) à Clara Schumann.

Joseph Joachim a organisé à Bonn la première exposition Schumann de l'histoire - dans la Maison Beethoven dont il était membre fondateur du conseil d'administration. Les filles Schumann Marie et Eugénie, qui ont soutenu et enrichi cette exposition par des prêts, ont souhaité céder leur collection après l'exposition à la ville de Bonn, qui a malheureusement échoué par manque supposé de possibilités de stockage. La collection a ensuite été transférée à Zwickau et constitue la base de la collection de la Robert-Schumann-Haus d'aujourd'hui. Joseph Joachim a également assisté à la fête à l'occasion du 50e anniversaire de la mort de Robert et se tenait sur la tombe de Robert et Clara Schumann. Clara, qui a survécu à son mari pendant 40 ans, et le jeune ami de Joachim, Brahms, étaient à l'époque déjà morts depuis 9, respectivement 10 ans. Joachim, depuis 1906 citoyen d'honneur de la ville de Bonn et membre d'honneur de l'association Beethoven-House, a survécu à la commémoration de la mort de Robert Schumann et est décédé le 15 août 1907.

L'exposition Schumann de Joachim de 1906 à Bonn a été désignée par "Signale" comme un événement avec lequel Joachim a réussi à "imposer sa conception de Schumann, dont les souvenirs ne se sont pas du tout fanés, à tout le monde à la fête". (Signale für die Musikalische Welt 64, 1906, p. 696).

Biographie

Deux ans après sa naissance, la famille de Joseph Joachim déménage de Kittsee(1) à Pest, où leur petit-fils, dont le talent au violon est très visible, trouve rapidement un bon professeur et sa carrière musicale commence. Le célèbre violon-virtuose a donné des concerts dans toutes les grandes salles européennes et en 1850 a été nommé premier violon à Weimar par Franz Liszt et a procédé en 1852 à la Cour royale de Hanovre. Là, il fut nommé en 1859 directeur de concert et en 1866, il se rendit à Berlin à la tête du "Royal College of Performing Art of Music" nouvellement fondé - précurseur de l'Académie de musique, aujourd'hui Université des Arts. Joachim est non seulement l'un des violonistes et pédagogues du violon les plus célèbres du 19e et du début du 20e siècle, mais il a aussi fait sa marque en tant que compositeur. De nombreux compositeurs - parmi lesquels ses amis Schumann et Brahms - lui ont dédié leurs concertos pour violon.

En juin 1863, Joseph Joachim épouse la chanteuse Amalie Schneeweiss (1839 - 1899) contre la volonté de ses parents. Il a divorcé d'elle - jaloux invincible - en 1884 après l'accusation injustifiée d'adultère (prétendument avec l'éditeur, et l'ami de Brahms Fritz Simrock) a divorcé en 1884. Le mariage a produit six enfants, trois fils et trois filles. À l'époque, Brahms a pris parti pour Amalie et Fritz Simrock, ce qui a assombri l'amitié avec Joachim. En 1880, Brahms écrivit à Amalie : « Je veux juste te dire clairement et explicitement, comme j'ai déjà dit à Joachim d'innombrables fois qu'il, selon ma perspicacité et mon opinion, a fait du tort à toi et à Simrock et que je ne peux qu'espérer qu'il renonce à ses faux et horribles présomptions."

Pour plus d'informations sur Joseph Joachim et son épouse, la célèbre chanteuse Amalie Schneeweiß (1839-1899) voir la double biographie de Beatrix Borchard, publiée en deuxième édition en 2007 : Biographie und Interpretationsgeschichte, Wien : Böhlau, 2. Auflage 03/2007, 670 Seiten, Reihe : Wiener Veröffentlichungen zur Musikgeschichte, ISBN : 978-3-205772422

(1)Pour plus d'informations sur le lieu de naissance de Joseph Joachim, où il est né le septième des huit enfants du couple marié Julius et Fanny Joachim, née Figdor et sur la communauté juive de Kittsee, qui faisait depuis le début du XVIIIe siècle partie de les « Siebengemeinden » (Sept Communautés) du Prince Esterhazy et comptait 789 membres en 1821 avant l'émigration vers Wieselburg, Bratislava et Vienne le nombre considérablement diminué, veuillez visiter le site Web correspondant : Österreichischen Jüdischen Museums (ÖJM) : http://www.ojm .at/gemeinden/kittsee/

(IB, traduit par Katharina Ma)

https://www.schumann-portal.de/joachim-joseph-1190.html

 Pablo de Sarasate
1844-1908

 

Jean-Marc Warszawski
1999
Révision 29 novembre 2009
Révision 6 septembre 2016

Musicologie.org 2019.

Pablo de Martín Melitón de Sarasate y Navascuéz. Né le 10 mars 1844 à Pampelune, mort le 20 septembre 1908 à Biarritz.

Il étudie avec son père, chef de musique militaire, puis avec un professeur de Pamplune. Il donne son premier concert public à la Corogne, à l'âge de huit ans.

Grâce à une bourse, il peut étudier à Madrid avec Manuel Rodríguez Sáez.

Remarqué par la reine Isabele II, il peut se rendre à Paris pour y étudier au Conservatoire. Au cours du voyage vers Paris, sa mère succombe à une crise cardiaque et les autorités espagnoles découvrent qu'il a le choléra. Le consul d'Espagne de Bayonne qui le prend en charge et assume le voyage à Paris.

Il y est admis au Conservatoire en 1856, où il suit les classes de Delphin Alard (violon) et d'Henri Reber (harmonie). Il obtient en 1857 les premiers prix de violon et de solfège, et en 1859, un prix d'harmonie.

Entre 1860 et 1870, il joue dans son propre quatuor à cordes. Il joue les œuvres de compositeurs tels que Joachim Raff, Karl Goldmark, ou Schubert, dont la Fantaisie pour violon et piano (D 934), qui est une de ses pièces fétiches. 

Il a entre ses mains des violons célèbres, comme le « Boissier », un Stradivarius de 1713, et son favori, un autre Stradivarius de 1724, conservé aujourd'hui au musée des instruments de musique de Paris.  Il joue également le Guarnerius del Gesù de 1742 qui avait appartenu à Ferdinand David, créateur du concerto de Mendelssohn, Jascha Heifetz jouera par la suite.

Grâce à une virtuosité acclamée par tous les publics, adulé, il fait une longue carrière de quarante ans, semée de succès, avec de grandes tournées, notamment en Europe, en Amérique et Nord et en Amérique du Sud.

De nombreux compostiteurs lui ont offert des œuvres : Deuxième Concerto pour violon et Fantaisie écossaise, de Max Bruch, Mazurek d'Antonín Dvorák, Symphonie espagnole et Concerto pour violon d'Édouard Lalo, Troisième Concertopour violon (opus 61), et Introduction et rondo capriccioso de Camille Saint-Saëns, Deuxième concerto pour violon, de Henryk Wieniawski, Variations pour violon et orchestre de Joachim.

Jean-Marc Warszawski
1999
Révision 29 novembre 2009
Révision 6 septembre 2016

Musicologie.org 2019.

PABLO DE SARASATE

Le violoniste et compositeur espagnol Pablo de Sarasate s'inscrit dans la lignée de l'école franco-belge du violon, héritier de François Antoine Habeneck par Delphin Alard.

Pablo Martín Melitón de Sarasate y Navascuéz naît à Pampelune, en Navarre, le 10 mars 1844. Il a cinq ans à peine quand il commence à jouer du violon et huit ans lors de son premier concert public, à La Corogne. Son talent exceptionnel lui vaut d'obtenir une bourse pour venir travailler à Madrid avec Manuel Rodríguez Sáez. La reine Isabelle II le remarque et lui permet d'aller se perfectionner au Conservatoire de Paris, où il est admis en 1856 ; il fréquente les classes de Delphin Alard (violon) et d'Henri Reber (harmonie), décroche en 1857 les premiers prix de violon et de solfège, puis un prix d'harmonie en 1859. Sa carrière internationale est rapidement lancée. Il remporte de mémorables succès lors des tournées qu'il effectue à travers toute l'Europe et dans les deux Amériques (1867-1871 et 1889-1890). Pablo de Sarasate montre en effet une technique vertigineuse qui impressionne tout autant le grand public que les amateurs les plus sourcilleux. Son style est très nouveau, comparé à celui de Joseph Joachim, considéré comme le plus grand violoniste de l'époque : vibrato rapide, portamento varié et parfaitement maîtrisé, quête des sonorités les plus charmeuses, agilité et précision rythmiques mais aussi pureté toute classique de l'expression. Une rigueur et une sobriété qui, prises alors pour de la froideur, lui vaudront de nombreuses critiques ; il n'est jamais très facile d'être en avance sur son temps.

Les compositeurs du moment, fascinés, ne s'y sont pourtant pas trompés. En témoignent les nombreuses œuvres qui ont été composées à l'intention de Pablo de Sarasate, parmi lesquelles le Deuxième Concerto pour violon et la Fantaisie écossaise de Max Bruch, Mazurek d'Antonín Dvořák, la Symphonie espagnole et le Concerto pour violon d'Edouard Lalo le Troisième Concerto pour violon, opus 61, et l'Introduction et rondo capriccioso de Camille Saint-Saens, le Deuxième Concerto pour violon de Henryk Wieniawski ; Joachim lui-même écrit pour Sarasate les Variations pour violon et orchestre. Voilà qui laisse deviner des moyens et des qualités expressives hors du commun. Sarasate formera un quatore a cordes (1860-1870) qui inscrira souvent les quatuors de Brahms à ses programmes, alors que le soliste triomphant se refusera toujours, pour des raisons restées inexpliquées, à interpréter le Concerto pour violon de ce dernier. Son répertoire s'étend en revanche à des compositeurs comme Joachim Raff ou Karl Goldmark. La difficile Fantaisie pour violon et piano, en ut majeur, D 934, de Schubert est l'un de ses plus remarquables chevaux de bataille. Pablo de Sarasate a joué sur de nombreux violons précieux, parmi lesquels deux Stradivarius – le « Boissier », de 1713, et un instrument de 1724, son favori, qui est conservé au musée instrumental du Conservatoire de Paris – et le fameux Guarnerius del Gesù de 1742 qui avait appartenu à Ferdinand David, créateur du concerto de Mendelssohn, et qui passera dans les mains de Jascha Heifetz

Le compositeur a laissé 54 opus, pour la plupart des pièces de haute virtuosité – dont se détachent Zigeunerweisen, pour violon et orchestre, opus 20 (« Airs bohémiens », son œuvre la plus populaire, 1878), Fantaisie sur « Carmen », pour violon et orchestre, opus 25 (1883), Jota aragonesa, pour violon et piano, opus 27 (1883), Navarra, pour deux violons et orchestre, opus 33 (1889), Jota de San Fermín, pour violon et piano, opus 36 (1894) – et quatre livres de Danses espagnoles, pour violon et piano, opus 21, 22, 23 et 26 (1878, 1879, 1880, 1882), dont l'exotisme ibérique et la veine mélodique ont de tout temps séduit le plus vaste public. Celui dont Jacques Thibaud consignait le souvenir ébloui dans ses Mémoires meurt [...]

Pierre BRETON, « SARASATE PABLO DE - (1844-1908) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 2 janvier 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/pablo-de-sarasate/

Sarasate, le violoniste basque virtuose

C’est un des plus grands maîtres du violon de tous les temps, né le 10 mars 1844. A l’âge de douze ans, le sort décida à Bayonne de sa brillante carrière à venir.
Auparavant, déjà, sa notoriété grandissante ainsi que la recommandation de la Comtesse Espoz y Mina lui valurent de jouer en mars 1856 ‑ il venait d'avoir 12 ans ‑ au Teatro Real puis, au mois de mai, au Palais Royal devant la reine d'Espagne Isabelle II. La souveraine, conquise, lui accorda une bourse. Ce concert au Palais Royal de Madrid marqua en réalité pour lui le début d'une carrière prestigieuse dont la légende eut tôt fait de s'emparer ; on racontait que pour témoigner de sa foi en l'avenir du jeune prodige, la souveraine lui donna ‑ ou plutôt lui confia ‑ un Stradivarius qui valait vingt‑cinq mille francs‑or, avec cette condition qu'à la mort de son utilisateur, le chef d'œuvre retournerait à l'Etat espagnol. Ce Stradivarius devint son fétiche : pour ne pas s'en séparer, Sarasate en fit réaliser une petite réduction en argent massif qu'il portait en breloque, porte‑bonheur pour chacun de ses concerts. Or donc, profitant de la bourse accordée par la reine Isabelle, sa mère entreprit de l'accompagner au Conservatoire de Paris qui jouissait déjà d'une grande renommée, et où avait enseigné au début du siècle le Biscaïen Juan Crisostomo de Arriaga. En chemin, ils décidèrent de s'arrêter à Bayonne dans l'espoir d'y rencontrer Delphin Alard, directeur du Conservatoire de la ville, professeur de violon à Paris et soliste de la Chapelle de l'empereur Napoléon III.

Affrontant sans encombre les routes peu sûres et une fois la frontière franchie, les deux voyageurs tombent, hélas, dans une de ces épidémies de choléra qui affectaient régulièrement Bayonne. Sa mère succombant à l'épidémie en quelques heures, laissant son fils âgé de douze ans dans une ville qu'il ne connaissait pas ; par bonheur, un banquier qui remplira à Bayonne les fonctions de consul du Pérou mais qui pour l’heure était « apoderado » (c’est-à-dire fondé de pouvoir) de la reine Isabel II, s'intéressa au sort du jeune orphelin. Et malgré les ordres du père réclamant le retour de son fils, Ignacio Garcia y Echevarria, originaire de la même ville que son protégé, entreprit de faire poursuivre au jeune garçon son chemin vers le conservatoire de Paris. 

Célèbre dans le monde entier, il accomplit de grandes tournées internationales. Mais c’est dans sa villa « Navarra » à Biarritz qu’il était le plus heureux : parmi ceux qui reçurent des leçons dans la petite annexe au fond du jardin de la villa, figurait le tout jeune Jean Cocteau, qui décrira plus tard « les larges moustaches, la chevelure grise abondante, les chaînes de montre, les pantalons à pattes et les bottes vernies, qui le faisaient paraître tel un lion vêtu de dompteur » de Sarasate.

En 1906, le violoniste écrivait encore à l’un de ses amis : « à peine de retour de mes trente concerts en Angleterre, je repars demain par le Sud‑Express, pour me nettoyer les poumons à la villa. J'en ai avalé une quantité, de brouillard et de fumée de charbon ! Allez, vous aussi, venez vous éclaircir les voies respiratoires et manger des huîtres…»

Hélas, deux ans plus tard, Sarasate fut victime d’un emphysème pulmonaire dont les premières atteintes avaient déjà arrêté net son archet au début de la « Sonate à Kreuzer » : c’était à Darmstadt en 1907 ! Il mourut dans sa villa le 20 septembre 1908.

Eugène Ysaÿe
1858-1931

© musicologie.org

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil.

☎ 06 06 61 73 41.

Eugène Ysaÿe

Né à Liège le 16 juillet 1858, mort à Bruxelles le 12 mai 1931.

 

Petit-fils d'un musicien de village, fils d'un violoniste et chef d'orchestre du Théâtre Royal de Liège.

Il reçoit à l'âge de 4 ans ses premiers cours de violon de son père. En 1865, à l'âge de 7 ans,  il entre au Conservatoire de Liège, dans la classe de Désiré Heynberg. Il obtient un Second Prix en 1867.  Il est exclu du Conservatoire en 1869 pour indiscipline, puis réadmis par l'entremise de Vieuxtemps. Il suit les cours de Rodolphe Massart. A quinze ans, en 1873, il obtient un Premier Prix, en 1874 la médaille d'argent. Vieuxtemps, lui octroie une bourse, pour travailler à Paris sous sa direction.

À Bruxelles, il suit plus tard les cours de Wieniawski. Il quitte le Conservatoire en 1879.

Il débute comme violon solo de l'Orchestre Bilse à Berlin et se produit en Allemagne, en Scandinavie et en Russie avec Anton Rubinstein. Il est remarqué par Joachim.

En 1883 il s'installe à Paris, Il rencontre et se lie avec Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré et Cesar Franck.

Eungène Ysaÿe

Il se marie avec la cantatrice et fille de major de l'armée, Louise Bourdeau de Courtrai (1868-1924), le 26 septembre 1886. À cette occasion César Franck lui dédie sa sonate pour violon et piano.

Le 17 juin 1887, naît son fils aîné Gabriel.

La même année il est  nommé professeur au conservatoire de Bruxelles et fonde le «Quatuor Ysaÿe» avec Crickboom , Léon Van Hont et Joseph Jacob. Il entreprend des tournées mondiales qui ont un grand succès. Il assure parallèlement sa charge de professeur de composition au Conservatoire de Bruxelles.

En 1894-1895, il effectue une tournée triomphale aux États-Unis. De retour, il fonde à Bruxelles la Société des Concerts Ysaÿe, et s'associe à la même époque avec le pianiste Eugène Pugno. De 1918 à 1922, il dirige l'Orchestre Symphonique de Cincinnati dont il est chef permanent, puis il reprend la tête de la Société des concerts Ysaÿe.

Eugène Ysaÿe

En 1924, il épouse une de ses anciennes élèves de Cincinnatti, Jeannette Dincin. Malade du diabète, il met fin à sa carrière de virtuose.

Avec l'aide de Jeannette Dincin, il réalise son premier opéra, Pier li Houyeu (Pierre le mineur), créé à Liège le 4 mars 1831.

Il a composé huit concertos pour violon, six sonates pour violon seul et de nombreuses œuvres pour violon (s) et orchestre.

Il joue avec Rachmaninov, Rubinstein, Clara Haskil, Pablo Casals. Il joue le répertoire ancien mais crée de nombreuse œuvres contemporaines. Il est maître de chapelle de la cour de Belgique.

En 1937, on donne son nom au concours qui deviendra le Concours Reine Élisabeth en 1951.

Catalogue des œuvres

  • 1893 (vers 1893) opus 10, 2 mazurkas de salon, pour violon et piano
  • s.d., opus 11, Lointain passé, mazurka en si mineur, pour violon et piano, dédicacé à Alfred Marchot.
  • 1895 (vers 1895), opus 12,  Poème élégiaque, pour violon et orchestre, dédicacé à Gabriel Fauré [version violon et piano].
  • 1921, opus 13, Au rouet, pour violon et orchestre, dédicacé à Mademoiselle Maud Delstanche.
  •  s.d., opus 14, Scène d'enfant, pour violon et orchestre, dédicacé à son « P'tit Antoine » [version pour violon et piano]
  • 1902, opus 15, Chant d'hiver, pour violon et orchestre.
  • s.d. opus 19 Trio de concert pour 2 violons et alto.
  • s.d., opus 20, Berceuse, pour violon avec accompagnement d'orchestre à corde, flûte et 2 cors, dédicacée à Madame Rosa Harris
  • s.d., opus 21, Extase, 4e poème pour violon et orchestre, dédicacé à Mischa Elman.
  • s.d., opus 22, Sérénade, pour violoncelle et orchestre, dédicacé à son fils Antoine.
  • s.d., op.23, Les neiges d'antan, pour violon et orchestre, dédicacé à sa fille Carry.
  • 1921, opus 24,  Divertimento, pour violon et orchestre.
  • s.d., opus 25, Exil, pour cordes
  • s.d., opus 26, Amitié, poème n° 6 pour 2 violons et orchestre.
  • 1923-1924, opus 27, Six sonates pour violon ( sonate n° 1 en sol mineur, Grave, Fugato, Allegretto poco scherzoso, Finale con brio, dédiée à Joseph Szigeti (1923-1924) ; sonate n° 2, en la mineur, Prélude (Obsessione, Poco vivace), Malinconia (Poco lento), Sarabande (danse sans ombre, lento), Les Furies (Allegro furioso), dédiée à  Jacques Thibaud (1923) ; sonate n° 3, en ré mineur, Ballade, Lento molto sostenuto), dédiée à Georges Enesco (1923-1924) ; sonate n° 4, en mi mineur, Allemande (Lento maestoso), Sarabande (quasi lento), Finale (Presto ma non troppo), dédiée à  Fritz Kreisler (1923-1924) ; sonate n° 5, en sol majeur, LAurore (Lento assai); Danse rustique (Allegro Gracioso molto moderato), dédiée Mathieu Crickboom (1924) ; sonate n° 6, en mi majeur, Allegro giusto non troppo, dédiée à Manuel Quiroga (1924) [les partitions]
  • 1924, opus 28, Sonate en ut mineur pour violoncelle seul, dédiée à Maurice Dambois.
  • 1928, opus 29, Poème nocturne, pour violon, violoncelle et orchestre, poème n° 7, dédicacé à Albert Zimmer et Jacques Gaillard [réduction pour violoncelle, violon et piano]
  • s.d., opus 31, Harmonies du soir, pour quatuor à cordes et orchestre de cordes.
  • s.d., opus 32, Fantasia, pour violon et orchestre.
  • s.d., opus 52, Caprice d'après l'Étude en forme de valse de Saint-Saëns.
  • 1910 (vers 1910), opus 16, Méditation, pour violoncelle et orchestre, dédicacé à Fernand Pollain  [réduction pour piano]
  • 1915, opus posthume, Première sonate à deux violons (la mineur) dédiée à la Reine Élisabeth de Belgique.
  • 1918, Brabançonne, pour orchestre
  • 1931, Piére li houïeu (Pierre le mineur), drame lyrique, en un acte sur un livret d'Ysaÿe, créé à Liège, le 4 mars 1931.
  • s.d., opus posthume, 10 préludes pour violon seul.
  • s.d., opus posthume, Exercices et gammes pour vilon seul.
  • s.d., Divertimento, pour violon et orchestre.
  • s.d. opus posthume, Étude-poème, pour violon seul
  • s.d. Variations, sur le Caprice n°24 de Paganini, pour violon seul
  • s.d., Saltarelle carnavalesque,pour violon et orchestre

Bibliographie

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Sonate en fa mineur Op.6 n°7 'Au Tombeau'

La Sonate en fa mineur de Locatelli est l'une des pièces qui ont retenu l'attention du célèbre violoniste et compositeur Eugène Ysaÿe. Cette pièce a été écrite en 1737, alors qu'il vivait et travaillait à Amsterdam. Cette sonate est intéressante à bien des égards, notamment dans la façon dont elle a été transformée par Ysaÿe. 

Ysaÿe avait un intérêt majeur pour Locatelli. Le célèbre et virtuose Capriccios était l'un des ensembles qu'Ysaÿe avait appris durant son enfance. Dans la Biographie d'Ysaÿe, écrite par son fils Antoine, cela montre clairement ce que Ysaÿe pensait de Locatelli :
" A examiner les oeuvres laissées par Locatelli (1693-1764), et plus particulièrement ses capriccios pour violon seul, où les traits techniques reflètent les inventions païennes les plus audacieuses, on est immédiatement convaincu que ce splendide violoniste était à la fois un solide musicien et un poète ! ... Locatelli et les doux Geminiani sont à mon avis les interprètes les plus complets du sentiment sincère, des émotions de l'âme. Il y a du « romantisme » dans leur classicisme, et la parfaite justesse de leur composition n'exclut pas les sentiments les plus profonds. La sonate locatelli en fa mineur est une de ces œuvres dans lesquelles le compositeur a tendance à exprimer les images les plus tristes et les plus douloureuses. Je l'ai retravaillé et harmonisé avec dévotion et lui ai donné le titre "la tombe" (Au Tombeau) qui me semble le plus approprié pour susciter l'interprétation la plus juste de l'œuvre."

Du point de vue de l'œuvre originale, la tonalité de fa mineur était rarement utilisée par les compositeurs. Il avait un effet profond et sombre qui était clairement voulu par le compositeur. À côté de cela, Locatelli a écrit les cadences, ce qui est une autre chose rare dans la pratique baroque. Normalement, ces types de cadences étaient améliorés sur scène par l'interprète, une pratique qui était également courante à l'époque classique de Haydn et Mozart.

L'œuvre est écrite en quatre mouvements, tous dans des tempos relativement lents. 

Le premier mouvement est un « Lento assai e mesto ». L'expressivité de la sonate est définie dès les premières notes. La partie de violon est écrite de manière très complexe par Ysaÿe. Bien que la partie de piano ait une place moindre dans cette sonate qu'à l'époque romantique, elle donne des couleurs très importantes qui sont mises en valeur par le registre dans lequel Ysaÿe a arrangé l'œuvre, permettant aux deux instruments de se fondre comme un seul instrument. Dans les cadences majeures qui sont écrites dans ce premier mouvement, qui s'inspirent des cadences originales écrites par Locatelli, le violon est aidé par le piano par de longues notes harmoniques.

Le deuxième mouvement, un 'allegro, tempo Largo e con passione, est davantage basé sur le matériel thématique que le premier mouvement. Ce n'est pas écrit comme une attaque mais Ysaÿe y a fait allusion en ne séparant les mouvements que par un « huit » pause. Le piano répète souvent ce que fait le violon, rythmiquement et a dans la deuxième partie des sections qui font allusion au fugato-matière. A la fin de ce mouvement, Ysaÿe écrivit une attaque vers le troisième mouvement.

Le troisième mouvement, Adagio : Lento, est une œuvre magnifique et incroyable dans laquelle chaque note a une signification profonde. L'ensemble du mouvement est composé par Ysaÿe. Les instruments sont, comme dans le premier mouvement, souvent dans le même registre et le violon est souvent répété mélodiquement par le piano dans les voix moyennes, une octave plus bas. La raison de l'ajout de ce mouvement est inconnue, mais il a été suggéré qu'Ysaÿe voulait conserver la structure typique de la sonate baroque à quatre mouvements, ce qu'il fit également dans son arrangement de la sonate pour violon de Nardini.

Le quatrième mouvement de cette Sonate est un « Cantabile, Tempo di molto moderato ». Écrit à l'origine par locatelli comme une forme de variation dans laquelle chacune des six variations a été répétée. Il n'était pas rare dans le baroque d'avoir un mouvement de variation comme dernier mouvement d'une sonate. La forme était souvent utilisée pour montrer la virtuosité des instrumentistes.

Ysaÿe n'en a choisi que trois, les variantes un, trois et six. Dans son agencement, les variations individuelles ne se répètent pas. Dans la plupart de ce mouvement, la basse continue a un rôle d'accompagnement mais à partir de la sixième variation, allant du majeur au mineur, le piano a un rôle plus distinct. Le point culminant de cette sonate a été quelque peu modifié par Ysaÿe. La plupart du point culminant a été écrit par locatelli sous forme de noires, mais Ysaÿe l'a adapté aux grands appergios et à l'ajout de triolets. ce qui le rend très exigeant pour le violoniste.

Eugène Ysaÿe

Violoniste, compositeur et chef d’orchestre (Liège, 1858 – Bruxelles, 1931)

Véritable colosse du violon, virtuose et grand pédagogue, Eugène Ysaÿe n'incarne pas moins que l’esprit d’un génie. Professeur au conservatoire de Bruxelles, également chef de l’Orchestre symphonique de Cincinnati mais aussi fondateur et premier violon du quatuor qui porte son nom, sa notoriété rejoint celle des plus grands noms du XXe siècle.

Eugène Ysaÿe commence l’apprentissage du violon dès l’âge de cinq ans, avec son père. A sept ans, il entre au Conservatoire de Liège dans la classe de Désiré Heynberg d’où il ressort, en 1867, avec un Second Prix. Deux ans plus tard, il se fait exclure du Conservatoire, criblé de mauvaises appréciations de ses professeurs, qui le jugent négligent dans son travail, trop occupé alors à jouer dans des orchestres locaux pour soutenir sa famille. Il est néanmoins réintégré par le compositeur Henri Vieuxtemps qui par concours de circonstance, se retrouve interpellé, sans même le connaître, par la sonorité du jeune musicien. Il suit alors les cours de Rodolphe Massart avec qui il obtiendra un Premier Prix puis la médaille d’argent. Vieuxtemps continue de croire aux talents du jeune Ysaÿe et lui permet d’obtenir une bourse pour travailler avec Henryk Wieniawski à Bruxelles. Deux ans plus tard, le prodige part à Paris retrouver Vieuxtemps, qui le considère comme un fils spirituel.

En 1879, le violoniste allemand Joseph Joachim l'introduit dans la vie musicale de la ville de Cologne, où il interprète, avec Clara Schumann, la Sonate en ut mineur de Ludwig van Beethoven. En 1880, il devient à Berlin premier violon de l'Orchestre Bilse, ancêtre de l’Orchestre philharmonique de Berlin, où Franz Liszt et Anton Rubinstein viennent écouter celui qu'ils appellent « der famose Kerl » (Ysaÿe avait fait leur connaissance à Paris au cours de soirées musicales chez Vieuxtemps). À compter de 1881, il entreprend des tournées de concerts de par le monde : en Russie où il joue avec Arthur Rubinstein, en Norvège où il rencontre Edvard Grieg, ainsi qu’à Paris où il se lie notamment d’amitié avec son compatriote liégeois César Franck qui lui dédiera sa célèbre Sonate. D’autres musiciens célèbres lui dédient aussi de nombreuses œuvres : Ernest Chausson son Poème pour violon et orchestre et son Concert pour violon, piano et quatuor à cordes ; Claude Debussy son quatuor ; Camille Saint-Saëns une sonate ; Gabriel Fauré son second quintette ; Edward Elgar ; et de nombreux compositeurs belges (Joseph Jongen, etc.). Au cours de ses voyages à Vienne et Bordeaux, il attire l’attention avec, entre autres, son interprétation du Poème de Chausson qu'il inclut dans ses programmes.

De 1886 à 1898, Eugène Ysaÿe enseigne au Conservatoire royal de Bruxelles. En 1894, il entreprend une tournée triomphale aux États-Unis. A son retour, il crée et dirige les Concerts Ysaÿe à Bruxelles, ainsi que le Quatuor Ysaÿe, avec Mathieu Crickboom au second violon. Outrepassant ses grands talents d'interprète, il prend la baguette pour occuper le poste de chef permanent de l'Orchestre symphonique de Cincinnati, de 1918 à 1922.
Sur scène, on retrouve à ses côtés Rachmaninov, Rubinstein, Clara Haskil, Pablo Casals… Son répertoire est varié et s'étend des musiques anciennes aux créations d'œuvres contemporaines. Nommé "Maître de Chapelle de la Cour de Belgique" par le Roi Albert Ier de Belgique, il devient le conseiller musical de la Reine Élisabeth de Belgique. En 1937, on donne son nom au concours qui deviendra en 1951 le Concours Reine Élisabeth. Malheureusement amputé d'une jambe en 1924, il cessera pratiquement de jouer en public.
Il meurt à Bruxelles le 12 mai 1931 à l’âge de 73 ans. Son œuvre compte notamment huit concertos pour violon, six sonates pour violon seul (dédiées à de grands violonistes), de nombreuses œuvres pour violon(s) et orchestre, et même un opéra en langue wallonne : Pier li Houyeu.
Eugène Ysaÿe a joué sur un Stradivarius, l'Hercule, qui lui fut volé au cours d'un concert en Russie, et un Guadagnini. Plus tard, il joua sur un Guarnerius del Gesù de 1740 (qui fut ensuite la propriété d'Isaac Stern).

Eugène Ysaÿe en 7 dates :

  • 1879 : violon solo de l’Orchestre Bilse à Berlin.
  • 1886 : enseigne au Conservatoire de Bruxelles et fonde le Quatuor Ysaÿe.
  • 1894 / 95 : tournée triomphale aux Etats-Unis.
  • 1895 : fonde la Société des concerts Ysaÿe à Bruxelles.
  • 1918 : chef permanent de l’Orchestre symphonique de Cincinnati.
  • 1923 / 24 : composition des fameuses Six sonates pour violon opus 27.
  • 1937 : création du Concours Ysaÿe qui deviendra le Concours Reine Elisabeth en 1951.

Biographie de la documentation musicale de Radio-France, octobre 2018.​​​​​​​​​​​​​​

EUGÈNE YSAYE
Le colosse du violon

Issu d’une vieille famille wallonne, le grand-père d’Eugène Ysaye, maçon de son état, est un violoniste du dimanche, jouant à l’église et dans les bals de la région de Liège. Il enseigne le violon à coup de trique à ses deux fils qui sont priés, aussi, d’apprendre un «vrai métier». Nicolas, le père d’Eugène, devient donc tailleur tout en étudiant au conservatoire de Liège. D’un caractère trempé, il décide, contre l’avis de sa famille, de devenir musicien à part entière. Mais le succès se fait attendre et Nicolas court le cachet. Lorsqu’il tombe amoureux de la fille d’un contremaître des houillères du Hainaut, celui-ci s’oppose formellement à un mariage avec ce musicien miséreux. Alors, Nicolas enlève Marie-Thérèse. Le couple s’installe à Liège dans un minuscule deux pièces. C’est là que naîtront leurs trois premiers enfants : Marie, Joseph, puis Eugène-Auguste le 16 juillet 1858. Le bébé pèse près de 5 kilos ! Notre violoniste en pèsera 100 à 40 ans…Dès l’âge de quatre ans, c’est avec son père qu’Eugène, comme son frère Joseph, prend ses premières leçons de violon. Selon la méthode héritée du grand-père, les coups pleuvent et les exercices sont répétés à l’infini… Pourtant, Nicolas ne songe pas à faire de ses enfants des musiciens. L’argent est rare. Nicolas taille les vêtements de la famille. Marie-Thérèse gère au mieux l’économie domestique. La misère est digne, l’éducation sévère. Eugène se sauve quelquefois pour aller s’amuser avec ses petits voisins dans la rue ou sur le terril de la mine toute proche. Au retour, les corrections sont terribles. Vers 7 ans, de lui-même, Eugène fait vibrer le son de son violon. Son père l’interdit immédiatement. Impensable, il est trop jeune. Désespéré par cette vie étriquée et rigide, Eugène fugue, devient rebelle et provocateur.

Nicolas tente de le placer comme apprenti chez un armurier. Peine perdue, il faut rapidement retirer l’enfant. Il gagne d’ailleurs déjà quelque argent avec son violon en jouant à la cathédrale, ce qui améliore l’ordinaire de la famille. En 1865, on inscrit Eugène au Conservatoire de Liège. Deux ans plus tard, à 9 ans, Eugène remporte un 2e prix. Mais les appréciations des professeurs sont mauvaises : « A des dispositions, mais ne travaille pas assez » ou en solfège : « très négligent ». Eugène se montre critique et difficile avec ses professeurs. Et le voilà, en 1869, à onze ans, exclu du conservatoire…Il faut dire qu’avec la naissance de deux autres enfants1, la famille manque toujours d’argent et qu’Eugène, en plus de ses cours, doit jouer dans les bals jusqu’à l’aube avec son père et son frère Joseph. En 1868, lorsque son père accompagne la diva Adelina Patti en Amérique, c’est Eugène et son frère Joseph qui gagnent l’argent du ménage. Drame encore : fin 1868, la mère d’Eugène meurt en couche. Eugène n’a que 10 ans. Nicolas reprend l’éducation de ses fils : l’aîné, Joseph, si discipliné et Eugène, doué mais rebelle. Toujours à l’étroit, Eugène doit travailler son violon dans une cave.

Après la guerre franco-allemande, Nicolas, remarié, part souvent en tournée. Eugène est laissé à la garde de son frère Joseph. Avec aisance, Eugène interprète maintenant les œuvres du violoniste belge Henri Vieuxtemps, en particulier le difficile 5e concerto en la mineur, écrit pour les concours ! On ne sait dans quelles circonstances, Eugène rencontre alors par hasard Vieuxtemps qui, subjugué par les dons du jeune homme, le fait réadmettre sur le champ au conservatoire de Liège où il est enfin reconnu comme un élève exceptionnel. Il y obtient à 16 ans sa médaille d’or ainsi qu’une bourse pour étudier à Bruxelles dans la classe de Vieuxtemps, justement. Mais celui-ci, victime d’une paralysie des mains, doit céder son poste à Henri Wieniawski. Ysaye profitera deux ans de l’enseignement bénéfique de ce virtuose polonais.

Puis, à 18 ans, invité par Vieuxtemps, Eugène part le rejoindre à Paris. Puisque le maître habite rue Chaptal, Ysaye s’installe à côté, rue Blanche. Vieuxtemps considère vite Ysaye comme un fils spirituel. La maladie l’empêchant maintenant de jouer, le grand maître, se réjouit de passer son savoir, sa technique, à son élève et disciple. À Paris, Eugène rencontre un jeune pianiste qui deviendra très célèbre et avec lequel il formera souvent un duo : Raoul Pugno. Mais la paralysie de Vieuxtemps gagne du terrain. Les médecins conseillent un climat chaud. Le virtuose ira donc vivre chez sa fille Mme Landowski (la future grand-mère du compositeur Marcel Landowski), installée à Alger. Le maître y mourra en 1881 sans avoir revu son élève. Il faut bien vivre et Ysaye retourne en Belgique. Il accepte une place de soliste au casino d’Ostende pour la saison 1878/79. C’est là que Benjamin Bilse, le directeur du Konzerthaus de Berlin, (brasserie dotée d’un bel orchestre) propose à notre violoniste un poste. Eugène accepte et restera en Allemagne jusqu’en 1884. C’est là qu’il jouera devant le célèbre violoniste Joseph Joachim qui le présentera à Clara Schumann. Il rencontrera aussi l’éminent pianiste Anton Rubinstein avec lequel il partira pour plusieurs tournées en Scandinavie et en Russie.

Cependant, en 1884, il décide d’abandonner sa «rente » berlinoise pour tenter sa chance comme soliste à Paris  C’était à l’époque un formidable bouillon culturel ! Il y revoit Saint-Saëns, rencontré à Berlin et, surtout, se lie d’amitié avec César Franck dont il jouera toujours les œuvres, particulièrement la magnifique sonate pour violon et piano qu’il interprétera, en première audition publique, à Bruxelles puis à Paris le 5 mai 1887. Il aime aussi interpréter les œuvres de Vincent d’Indy, Ernest Chausson (dont il aimait jouer le Poème), Henri Duparc, Guy Ropartz, Albéric Magnard et Gabriel Fauré avec lesquels il se lie d’amitié. Il sera aussi assez longtemps l’ami de Claude Debussy et du compositeur belge Guillaume Lekeu, mort prématurément. Quoique bien ancré dans la vie parisienne, Ysaye éprouve le besoin de repartir en tournée en Russie avec Anton Rubinstein. À son retour, lors d’un séjour en Belgique, il rencontre la fille d’un commandant de garnison, Louise, de dix ans sa cadette. À 28 ans, Ysaye se marie et tente de se sédentariser en acceptant un poste de professeur au conservatoire de Bruxelles. Il contribue alors activement à la vie musicale bruxelloise, fondant le célèbre quatuor Ysaye, participant avec Oscar Maus à l’aventure du Cercle des XX, qui deviendra la Libre Esthétique (il s’agissait de donner des concerts de musique contemporaine, au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, au milieu de tableaux de peintres contemporains ; ensuite, on y ajouta la littérature). Cependant, les années passant, Ysaye se lance dans des tournées toujours plus gigantesques. Il devient une véritable star, en Europe comme en Amérique du Nord, où, au cours des six premiers mois de 1905, il donne plus de 120 concerts ! À soixante ans, il commence une nouvelle carrière à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinnati. À l’âge de 65 ans, il compose ses Six sonates pour violon seul, techniquement très difficiles, qu’il dédie chacune à un virtuose différent : Joseph Szigeti, Jacques Thibaud, Georges Enesco, Fritz Kreisler, Mathieu Crickboom et Manuel Quiroga.​​​​​​​

Il eut pour partenaire, tout au long de sa carrière, la fine fleur de la musique internationale de son temps comme le pianiste Raoul Pugno, les compositeurs et pianistes Isaac Albeniz, Serguei Rachmaninov, Ferruccio Busoni, les deux Rubinstein (Anton puis Arthur) – pour ne citer que les plus connus. Plus âgé, c’est avec Alfred Cortot, Yves Nat, Clara Haskil. Jascha Heifetz où Nathan Milstein qu’il eut l’occasion de jouer. Pablo Casals donna plusieurs concerts avec Ysaye, dont un, tout à fait mémorable, à Vienne en 1912 au cours duquel ils interprétèrent le double concerto de Johannes Brahms. Ysaye fut aussi professeur tant au conservatoire de Bruxelles qu’à l’Ecole Normale de Musique de Paris où il enseigna en 1926. Ses élèves les plus prestigieux furent, entre autres, Josef Gingold, William Primrose, Louis Persinger et Alberto Bachman, son préféré restant Mathieu Crickboom. Il épousa, en seconde noce, après la mort de Louise, son élève américaine Jeannette Dincin. C’est grâce à elle qu’il resta très entouré et très actif jusqu’aux derniers instants de sa vie, bien qu’un grave diabète affectât ses moyens artistiques. Ce grand violoniste était un proche de la reine Elisabeth de Belgique qui l’avait choisi comme conseiller musical. C’est avec elle qu’il jeta les bases d’un concours de violon qui porta le nom de Concours Ysaye jusqu’en 1951, avant de devenir le célèbre Concours International Reine Elisabeth et de s’ouvrir à d’autres disciplines : le piano, le chant et la composition.​​​​​​​

Eugène Ysaye avait joué à ses débuts dans les bals, les brasseries, les casinos de villes de cure, mais il joua aussi avec les plus grands orchestres, devant les monarques de l’Europe entière et les plus célèbres musiciens de son temps. Bien des compositeurs lui dédièrent certaines de leurs œuvres comme Chausson, Debussy, Fauré ou Lekeu, mais aussi Saint-Saëns et Edward Elgar​​​​​​​

Il mourut à Bruxelles le 12 mai 1931 à l’âge de 73 ans.

Catherine Durand​​​​​​​

http://www.musimem.com/ysaye.htm​​​​​​​

Eugène Ysaÿe, "le roi du violon" qui fit la gloire de l’école franco-belge

Antoine Danhier

Le 12 mai 2021, nous commémorons les 90 ans du décès d’Eugène Ysaÿe (1858-1931). Virtuose du violon mondialement admiré, grand chef d’orchestre, compositeur qui a fait date, enseignant exigeant, grand promoteur de la musique de son temps et instigateur de ce qui est devenu le concours Reine Elisabeth, Eugène Ysaÿe est sans conteste l’une des personnalités musicales les plus marquantes que la Belgique ait connues en près de deux siècles d’existence. Il est aussi l’une des figures de proue, sinon la principale, de la grande tradition violonistique nationale qui a fait la réputation de la Belgique aux 19e et 20e siècles, que l’on rattache généralement au courant français, sous le nom d'"école franco-belge du violon".

Du début du 19e siècle à la moitié du 20e siècle, la pratique du violon tend à se structurer en écoles nationales, qui défendent chacune leur propre manière d’envisager l’instrument et de l’enseigner, sur le plan de la technique et de la sonorité. De même qu’il y a une école russe ou une école italienne, une école belge du violon se structure progressivement, principalement à Liège et à Bruxelles, dans la continuité de la manière française, mais avec ses propres caractéristiques. Une tradition remarquable qui a connu une gloire internationale et qui a nourri des générations de virtuoses, tels que Prume, Bériot, Vieuxtemps, Ysaÿe ou encore Grumiaux. C’est vers la fin du 18e siècle, avant la fondation de la Belgique en 1830, qu’apparaissent ses prémices. A cette époque, en s’affirmant comme instrument soliste, le violon quitte pleinement son statut d’instrument roturier et s’empare des lettres de noblesse des clavecins et violes de gambe qui tombent peu à peu en désuétude. De grandes dynasties de violonistes sont alors fondées sur le territoire wallon, comme celles des Crawion, des Grétry et des Henvaux à Liège ou celles des Bertrand, des Mansion et des Gaillard à Huy.

Paris, Liège, Bruxelles

Issu de l’une d’elles, Léonard-Joseph Gaillard (1766-1837), violon solo au Théâtre de Liège, est à l’origine de l’école liégeoise du violon. Il enseigne à François-Antoine Wanson (1788-1857), qui devient le premier professeur de violon du Conservatoire de Liège, nouvelle école supérieure de musique fondée sur le modèle du Conservatoire de Paris. En se basant sur les méthodes parisiennes, Wanson forme François Prume, un virtuose qui a accompli une carrière internationale et joué avec les plus grands, et qui a enseigné à son tour à l’école liégeoise, notamment au père et à l’oncle d’Eugène Ysaÿe. Une autre lignée majeure de l’école belge est initiée par Charles Auguste de Bériot (1802-1870), un jeune prodige qui a étudié à Paris auprès de Pierre-Marie Baillot (1771-1842), l’un des fondateurs de l’école française de violon, en 1795, avec Pierre Rode et Rodolphe Kreutzer, dans le Conservatoire de Paris fondé après la Révolution française. Bériot hérite des caractéristiques de cette école : des traits brillants et une intonation pure et élégante, qu’il associe à une maîtrise technique digne de Paganini. Élève insoumis, il amorce une carrière de concertiste à Paris et à Londres avant de devenir le violoniste soliste du roi Guillaume 1er à Bruxelles. Il est aussi connu pour être le second mari de la célèbre Malibran, une mezzo-soprano française d’origine espagnole. Il devient en 1842 professeur de violon au Conservatoire de Bruxelles, d’où il aura une influence C’est Bériot qui repère un autre virtuose et compositeur belge de talent : Henri Vieuxtemps (1820-1881). Après des brillantes études à Paris, Vieuxtemps connaît un succès international et multiplie les tournées en Europe, puis aux Etats-Unis. On retrouve chez lui toutes les caractéristiques de l’école belge : un son très ample, une pureté d’intonation, une technique et une puissance expressive. En raison de ces voyages, d’abord, puis de problèmes de santé, il n’enseigne au conservatoire de Bruxelles que pendant une période très courte. Mais cela ne l’empêche pas de former en privé à Paris Eugène Ysaÿe, son élève le plus brillant, et lui transmettre son savoir. considérable. 

Ysaÿe, le triomphe de l’école belge​​​​​​​

Ysaÿe n’attend pas la fin de ses études pour commencer une carrière internationale. Il triomphe à Paris et jouit rapidement d’une telle réputation qu’on le surnomme le "Roi du violon". Mais il n’est pas seulement un génial interprète. Selon le musicologue Marc Honegger, c’est aussi "un inlassable animateur, un découvreur sans pareil". C’est un homme qui vit avec son temps, sensible à la nouveauté qu’il promeut avec enthousiasme. Il se lie d’amitié avec les meilleurs compositeurs du moment : Camille Saint-Saëns, Ernest Chausson, Vincent d’Indy et bien sûr son compatriote d'origine liégeoise César Franck, qui lui dédie, l’une de ses œuvres les plus célèbres, la sonate pour piano et violon, dont Ysaÿe assurera la création.

Antoine Danhier

Au cours de sa vie, Ysaÿe s’investit dans de multiples domaines. Outre sa carrière internationale d’interprète et de chef d’orchestre (il dirige notamment l’orchestre de Cincinnati aux États-Unis), il reste très connu comme compositeur, notamment pour ses incontournables six Sonates pour violon seul, des pièces complexes et virtuoses. Professeur au conservatoire de Bruxelles, il fonde le quatuor Ysaÿe avec son élève Mathieu Crickboom, Lucien Van Hout et Joseph Jacob, pour promouvoir la musique de chambre de son époque. Il crée également une société de concert dotée d’un orchestre, les Concerts Ysaÿe, et occupe la fonction de maître de chapelle de la cour de Belgique.

 

Antoine Danhier

Enseignant le violon à la Reine Élisabeth de Belgique, c’est lui qui lui souffle l’idée d’un concours mettant en valeur les jeunes de moins de 30 ans et comprenant des musiques contemporaines, ainsi qu’un imposé inédit pour permettre aux candidats d’apporter leur sensibilité personnelle sans influence extérieure. Le concours voit le jour six ans après son décès, en 1937, sous le nom de "Concours Eugène Ysaÿe". Le premier lauréat n’est autre que le mythique David Oïstrakh. Aujourd’hui renommé "Concours musical international Reine Elisabeth de Belgique", le concours reste l’un des plus prestigieux au monde et constitue toujours pour les lauréats un formidable amplificateur de carrière. Nous sommes d’ailleurs en train d’en vivre l’édition 2021, consacrée au piano.

Postérité

Après la disparition d’Ysaÿe, l’école franco-belge n’a plus compté autant de vedettes, dans un contexte où, avec la mondialisation, le modèle des écoles nationales cesse d’être pertinent. Les jeunes virtuoses favorisent désormais des cursus internationaux sur plusieurs continents, auprès des meilleurs professeurs du moment, mais il n'y a plus vraiment de cohésion nationale. Parallèlement, le savoir-faire issu de l'école franco-belge s’est internationalisé. Le dernier grand représentant belge est sans aucun doute Arthur Grumiaux, élève d’Alfred Dubois qui était lui-même un élève d’Eugène Ysaÿe. Dans une interview réalisée par nos soins en 2018 au sujet de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, qu’il a dirigé par le passé, le grand violoniste français Jean-Pierre Wallez laissait néanmoins entendre que cet héritage se serait mieux conservé en Belgique qu’en France : "il y a une longue tradition de l’école franco-belge qui a résisté (avec le conservatoire de Bruxelles notamment, ou la chapelle royale). Il faut se rappeler quand même qu’il y a eu des grands violonistes belges depuis Ysaÿe qui ont laissé des traces solides. Ils sont restés dans cette idée du jeu, du son : du grand son, pas des petites choses. […] Malheureusement, aujourd’hui, je déplore que les Français oublient un peu les bases de cette école, je le regrette beaucoup, parce que c’était vraiment fondamental et je crois que les Belges ont su garder ça."

 

Antoine Danhier

Nous connaissons Kerson Leong depuis l’âge de 13 ans. Sa formation à Bruxelles auprès d’Augustin Dumay est venue à point pour faire de ce surdoué un artiste raffiné, digne dauphin de James Ehnes au pays. Cette interprétation est suprême sur le plan violonistique : les écueils techniques sont surmontés avec aisance, les écarts dynamiques millimétrés, les phrases burinées. Mais, pour Ysaÿe, son exécutant « a dû vivre toute la gamme des émotions afin de toutes les exprimer dans son jeu ». Se pose donc la question du moment de la carrière on l’on aborde Ysaÿe et ce qu’on y raconte. Quand un seul instrument peut devenir orchestre, l’univers (1923) de ce violoniste compositeur peut être comparé à l’expressionnisme de Fritz Lang. Dans cet océan de perfection, le bémol est clair : quelle trame narrative est donc mise en place par Kerson Leong ? Où est Hitchcock dans la 2e Sonate, « Obsession » ? Commencer par Ysaÿe est très hasardeux. Tianwa Yang (Naxos) l’a fait crânement. Mais on s’en remet à Kremer et Zimmermann pour les furies et les ombres.

Yehudi Menuhin

Sans doute l'un des violonistes les plus célèbres du 20e siècle. Enfant prodige, puis virtuose acclamé, il a mis son art, tout au long de sa carrière, au service des causes humanitaires les plus nobles.

Yehudi Menuhin

Yehudi Menuhin, Le Violon du siècle

violoniste et chef d'orchestre américain (New-York, 22 avril 1916 - Berlin, le 12 mars 1999)

Célèbre à 10 ans, Yehudi Menuhin est considéré comme l’un des plus grands violonistes du XXème siècle. Violoniste, chef d'orchestre, personnage public très médiatisé, il n'a jamais eu de cesse d’œuvrer pour les causes humanitaires, la paix dans le monde et la défense des droits de l'homme.

Fils de Juifs russes émigrés en Palestine puis aux Etats-Unis, le jeune Menuhin prend ses premières leçons de violon à l’âge de cinq ans, aux côtés de Sigmund Anker  à San Francisco, puis de Louis Persinger, disciple d’Eugène Ysaÿe. La famille Menuhin s’étant installée à Paris en 1927, Menuhin fait ses débuts aux Concerts Lamoureux  sous la direction de Paul Paray. C’est ici qu’il rencontre le violoniste et compositeur Georges Enesco qui se charge de sa formation musicale. Ses enseignements seront déterminants pour la suite de la carrière du jeune violoniste : il devient un musicien complet et hors pair. Il se perfectionne également auprès d’Adolf Busch  à Bâle, avant d’effectuer son premier enregistrement en 1928. À partir de 1930, sa carrière internationale s'envole : à l’âge de 19 ans il part en tournée mondiale de cent dix concerts. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Menuhin soutient les forces alliées en donnant plus de cinq cents concerts.

Invité en Inde en 1952 grâce à l’homme d’état indien Jawaharlal Nehru, Menuhin effectue un voyage lors duquel il découvre une source de réflexion nouvelle et bénéfique, notamment à travers le yoga  et le spiritualisme. Il rencontre la musique indienne et se lie d'amitié avec Ravi Shankar.

Dans les années 1950, Menuhin est à l'origine de la fondation du Festival Menuhin de Gstaad  et du Bath Festival Orchestra  (qui deviendra ensuite le Menuhin Festival Orchestra ). Avec ce dernier, il s’initie à la direction d’orchestre, une activité qui deviendra progressivement son activité principale. Il est engagé dans la transmission et fonde la Yehudi Menuhin Music School  dans le Surrey, un pensionnat destiné aux jeunes enfants recrutés dans le monde entier , ainsi que la Fondation Yehudi Menuhin, qui a comme objectif principal d’encourager la carrière des jeunes artistes.

Lors de sa carrière, Menuhin acquiert plusieurs instruments de grande réputation, notamment le *Prince Khevenhüller * (1733) et le *Soil * (1714) de Stradivarius, et le *Lord Wilton * (1742) de Guarnerius del Gesù. Il joue également sur de nombreux violons Stradivarius et del Gesù qui lui sont prêtés par des collectionneurs ou de grands musiciens.

Menuhin se montre autant passionné par l’art, la politique, la psychologie et par la philosophie que par la musique. Il s’engage souvent dans la défense des causes humanitaires et écologiques et en faveur des droits de l'homme. De 1969 à 1975, Menuhin est nommé président du Conseil international de la musique de l’UNESCO, et défend la cause de différents artistes et intellectuels persécutés par des régimes totalitaires, tels Mstislav Rostropovich, Alexandre Soljenitsyne,Miguel Angel Estrella.

Yehudi Menuhin en 6 dates :                                                                                                                1927 Menuhin fait ses débuts, aux Concerts Lamoureux sous la direction de Paul Paray

1952 Menuhin redécouvre le Premier Concerto de Mendelssohn.

1952 Menuhin voyage en Inde, où il découvre le yoga et le spiritualisme

1965 Anobli par la reine Elisabeth II

1981 Nommé président du Royal Philharmonic Orchestra de Londres

1993 Reine Elisabeth II accorde à Menuhin le titre de baron de Stoke d’Abernon.

Biographie de la Documentation Musicale de Radio France (mars 2016)

Yehudi Menuhin, violoniste légendaire
RTS Radio Télévision Suisse, succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision
Une proposition de Catherine Buser pour l'émission "Quai des Orfèvres" sur Espace 2  Réalisation web de  Andréanne Quartier-la-Tente RTSCulture avril 2018
Les débuts d'un enfant prodige

Le jeune Yehudi prend ses premières leçons de violon à l’âge de cinq ans à San Francisco, auprès de Sigmund Anker qui le confie bientôt au violoniste et pianiste américain Louis Persinger.

 

 

Le violoniste Yehudi Menuhin âgé d'une dizaine d'année.  [Keystone]

Le violoniste Yehudi Menuhin âgé d'une dizaine d'année. [Keystone]

L’enfant est doué, très doué, et progresse à une vitesse prodigieuse. Dès 1923, il est capable de jouer la partie soliste de la Symphonie espagnole d'Edouard Lalo, œuvre qu’il exécute en public à San Francisco sous la direction d’Alfred Herz. La symphonie espagnole est l’une des pièces les plus célèbres du répertoire pour les violonistes. Elle a été écrite pour le violoniste Pablo de Sarasate qui en a donné la première exécution. Une pièce d’une virtuosité remarquable, qui démontre le talent de ce jeune garçon qui est capable de la jouer alors qu’il n’a que sept ans.

La rencontre avec Georges Enescu

En 1927 la famille Menuhin quitte l’Amérique et s’installe à Paris. Le jeune Yehudi est présenté au compositeur et violoniste roumain Georges Enescu. Cette rencontre sera déterminante pour le jeune garçon. Georges Enescu va dès lors prendre en main sa formation musicale. Il exercera sur le jeune violoniste une influence déterminante, en transformant le virtuose en un musicien complet et réfléchi. Le violoniste roumain sera le mentor du jeune Yehudi Menuhin et restera à ses yeux le maître le plus marquant, son "Absolu". Ce dernier non plus ne tarit pas d’éloge à propos de son jeune élève. Il invite le grand chef d’orchestre Paul Paray à l’auditionner. Menuhin interprète devant lui la Symphonie espagnole de Lalo, et sa virtuosité, sa musicalité ne manquent pas d'enthousiasme le chef d’orchestre qui l’invite aussitôt à venir la jouer devant le public parisien. Menuhin donne alors son premier récital européen et il remporte un véritable triomphe.                          Après deux ans de travail intensif, Enescu conseille au jeune violoniste de changer de professeur et le confie aux bons soins d’Adolf Busch à Bâle. Ce dernier va lui inculquer l’esprit du classicisme allemand. Il travaille avec lui pendant les étés 1929 et 1930, l’hiver, il part en tournée en Europe et en Amérique. Et si l’on en croit la petite histoire, il gagnait alors dix fois plus que son professeur.

Le 25 novembre 1927, Menuhin est invité à jouer le Triple concerto de Beethoven au Carnegie Hall avec le New York Symphony Orchestra dirigé par Fritz Busch. Un concerto qu’il reprend deux ans plus tard pour ses débuts à la Philharmonie de Berlin sous la direction de Bruno Walter.

L'envol d'une carrière

Menuhin n’a que 12 ans lorsqu’il publie son premier album, une collection de pièces difficiles qui témoignent de sa virtuosité et de son talent précoce. Ce premier enregistrement donne le coup d’envoi d’une carrière qui démarre sur les chapeaux de roue. Son agenda de concerts se remplit à tout vitesse. Le monde entier veut entendre l’enfant prodige.

Une passion pour Bach

La musique de Jean-Sébastien Bach occupe une place centrale dans le coeur de Menuhin, et ce dès son plus jeune âge. A 13 ans, son père lui fait cadeau des 60 volumes de l’édition Urtext des œuvres de Bach. Le jeune violoniste s'applique à les étudier de manière systématique. Menuhin a été d’ailleurs l’un des premiers à enregistrer l’intégralité des sonates et partitas pour violon seul entre 1934 et 1936, puis en a donné une seconde version dans les années 50, montrant ainsi la voie à suivre à plusieurs générations de violonistes qui les considèrent aujourd’hui comme un passage obligé pour atteindre l’essence même du violon.

Rencontre avec le compositeur Edward Elgar

Le violoniste Yehudi Menuhin et le compositeur Edward Elgar sur les marches des studios d'Abbey Road de Londres en 1932. [Hulton Archive - Getty Images]

Le violoniste Yehudi Menuhin et le compositeur Edward Elgar sur les marches des studios d'Abbey Road de Londres en 1932. [Hulton Archive - Getty Images]

En 1932, Yehudi est invité à Londres par le célèbre compositeur britannique Edward Elgar qui lui propose de jouer au Royal Albert Hall son fameux concerto pour violon et orchestre, une œuvre que le jeune homme est ensuite invité à enregistrer dans les studios d’Abbaye Road. Sacré défi à relever pour le violoniste qui n’a que 16 ans à cette époque, mais il en faut plus pour le déconcerter et le virtuose s’en tire parfaitement Peu après la création de ce concerto, le jeune Menuhin part en tournée et effectue son premier tour du monde. Au cours de la seule année 1935, il donne pas moins de 110 concerts dans 63 villes différente

concerts avec sa soeur Hephzibah

Durant cette tournée, il est parfois accompagné par sa sœur Hephzibah, de quatre ans sa cadette, qui est pianiste. Depuis 1934, Yehudi et Hephzibah forment un duo très équilibré. Leur tout premier disque sort en 1934 on y trouve notamment la sonate K 526 de Mozart, clin d’œil au compositeur qui lui aussi dans ses jeunes années se produisait volontiers en duo avec sa sœur. La même année, les Menuhin frère et sœur donnent leur premier concert à Paris puis partent en tournée dans le monde entier. Ils resteront très unis jusqu’à la disparition d’Hephzibah en 1981.

Le violoniste Yehudi Menuhin et sa soeur Hephzibah au piano. Février 1936. [Roger-Viollet/AFP]

Le violoniste Yehudi Menuhin et sa soeur Hephzibah au piano. Février 1936. [Roger-Viollet/AFP]

Menuhin, chef d'orchestre

Yehudi Menuhin fait ses premiers pas de chef d'orchestre en 1942 lorsqu'il dirige l’orchestre symphonique de Dallas dans une répétition publique où l'on peut entendre le prélude des Meistersinger de Wagner. Un rêve d’enfant qu’il caresse depuis l’âge de 11 ans. A compter de la fin des années 50, il se lance dans la carrière de chef et se produit dans un premier temps essentiellement dans le cadre des festivals dont il assure la fondation, à Gstaad et à Bath en Grande-Bretagne. Très vite, il dirige des concerts partout dans le monde. Cette nouvelle activité accaparera de plus en plus l’artiste dans la dernière partie de sa carrière. Cela nous vaut des enregistrements de grande valeur des Neuf Symphonies de Beethoven, des Concertos brandebourgeois de Bach, du Messie de Haendel ou encore de l’Enlèvement au sérail de Mozart.

La musique de chambre

Certains musicographes ont écrit qu'à partir des années 50, le jeu et la technique du violoniste s’étaient quelque peu altérés. Son bras droit avait souffert des excès de concerts donnés dans des conditions difficiles pendant la guerre. Menuhin en avait conscience et en souffrait. Il s’investit alors avec passion dans des séances de musique de chambre. Tout au long de sa carrière, il a joué sur un grand nombre d’instruments exceptionnels. La liste de ses violons témoigne cependant d’une préférence pour les violons de Guiseppe Guarneri, les fameux Guarnerius del Gesù. Ses partenaires sont aussi exceptionnels, Pablo Casals, Pierre Fournier, Mstislav Rostropovich. Il affectionne tout particulièrement le répertoire des sonates qu’il explore notamment avec sa sœur Hepzibah. Et lorsqu’il ne joue pas avec elle, c’est au pianiste Wilhelm Kempf, l’un des plus grands interprètes de Beethoven, qu’il s’adresse.

Une grande ouverture d'esprit

En 1951, Yehudi Menuhin effectue un voyage en Inde et se lie d’amitié avec le Premier ministre indien Nehru. Tous les deux ont une passion commune pour le yoga Jusque tard dans sa vie, le violoniste pratiquera intensément cette discipline et était même capable de prendre les postures les plus difficiles à un âge avancé. Il fera également la connaissance du célèbre Ravi Shankar avec qui il partage en 1967 un album intitulé "West Meets East". Cette attitude témoigne d’une remarquable ouverture d’esprit qui trouvera son prolongement dans les rencontres que le violoniste fera également avec Stéphane Grappelli, célèbre musicien jazz avec qui il donne des concerts mémorables, ouvrant ainsi la voie aux rencontres cross over qui fleurissent aujourd’hui.

Yehudi Menuhin dans un position de yoga, dirige le Philharmonique de Berlin avec les pieds en mai 1982. [AFP]

Yehudi Menuhin dans un position de yoga, dirige le Philharmonique de Berlin avec les pieds en mai 1982. [AFP]

Le violoniste de jazz français Stéphane Grappelli (à gauche) avec le violoniste Yehudi Menuhin. [Keystone]

Le violoniste de jazz français Stéphane Grappelli (à gauche) avec le violoniste Yehudi Menuhin. [Keystone]

Yehudi Menuhin et sa femme possédaient à Gstaad un chalet assez curieux qui répondait au nom de "Chankly Bore", en hommage à un poème d’Edward Lear que Yehudi et sa femme Diana aimaient beaucoup. Un jour, le directeur de l’office du tourisme de Gstaad demande au célèbre musicien de trouver une façon de faire venir les gens à la montagne pendant l’été. C’est ainsi que naît le Festival de Gstaad en 1957. Menuhin y fait venir Britten et donne dans la petite église de la station des concerts mémorables. Même si sa résidence principale est à Londres, Yehudi vient régulièrement en Suisse et à Gstaad en particulier. Lors du concert qui a marqué le 100e anniversaire de sa naissance en 2016, son petit-fils a pris la parole pour rappeler l’importance de Gstaad dans la carrière trépidante de son grand-père: "Grand-père était très heureux ici. Sans doute venait-il chercher ici le calme et la tranquillité, même si sa conception du calme et de la tranquillité est différente de la vôtre ou de la mienne. Je me souviens d’un flot incessant de visiteurs, de fans, de musiciens de tout âge et de tous styles, de célébrités en train de répéter dans le salon de musique en vue des concerts du soir ou alors tous ensemble sur la pelouse dehors pour le seul plaisir de jouer ensemble".

Wilhelm Furtwängler

L'amitié entre Yehudi Menuhin et Wilhelm Furtwängler, compositeur et chef d'orchestre allemand, comptera parmi les plus fructueuses de l’histoire de l’interprétation. Elle ne durera que six ans seulement. Les deux artistes se produisent pour la première fois ensemble en août 1947 autour du Concerto de Brahms. Trois semaines plus tard, ils se retrouvent pour enregistrer le Concerto de Beethoven. Après avoir joué, Menuhin était tellement ému qu’il n’aurait plus voulu jouer cette oeuvre avec un autre chef. Il s'ensuit dès lors des enregistrements de premier plan, comme le Concerto pour violon de Brahms, en 1949, de Bartók en 1953 et celui tout particulièrement symbolique de Felix Mendelssohn enregistré en 1952. Cette série de concertos est aujourd’hui considéré comme l'un des sommets de la carrière du violoniste. A la fin de sa vie, Menuhin déclare que Furtwängler avait été le chef d'orchestre qui l'avait le plus marqué. La réhabilitation de Furtwängler est l’une des causes pour lesquelles Yehudi Menuhin s’est particulièrement investi. Le chef d’orchestre allemand s’était compromis pendant la guerre. On lui a notamment reproché d’avoir servi la cause des nazis en dirigeant le Philharmonique de Berlin sous le régime d’Hitler. Menuhin a été l’un des premiers à prendre sa défense, soutenant que le chef avait aidé les musiciens juifs pendant ces heures difficiles. Il a choqué bon nombre de ses amis juifs en étant le premier musicien d’un pays allié à jouer sous la direction du maestro à la fin des années 40 et au début des années 50. Ce soutien affiché au musicien allemand lui a valu bien des inimitiés, notamment de la part de certains de ses collègues violonistes ainsi que du monde musical américain. Il a ainsi été boycotté pendant plusieurs années, par l’Orchestre symphonique de Chicago et par d’autres formations importantes d’outre-Atlantique. Mais le violoniste est resté inflexible.

Béla Bartók

Le célèbre violoniste appréciait beaucoup la musique du compositeur hongrois Béla Bartók, musique qui du vivant du compositeur n’était pas vraiment goûtée par les musiciens de l’époque. Menuhin a très vite compris le génie du compositeur et deviendra l’un de ses plus ardents défenseurs. Dans les sombres années de guerre, Menuhin s’était rendu compte de la détresse dans laquelle vivait le compositeur lors de son exil en Amérique. Mais Bartók était alors trop fier pour demander de l’aide. Menuhin lui a donc passé commande d’une sonate pour violon seul, lui apportant ainsi une aide providentielle que le Hongrois accepta avec joie puisqu’elle s’adressait au créateur. C’est ainsi qu’il compose à Asheville sa fameuse Sonate pour violon seul qu’il achève en mars 1944. L’œuvre est créée par le commanditaire le 26 novembre de la même année à New York. Menuhin en donne une interprétation unique, pleine de profondeur dans laquelle le geste rejoint le fond dans une symbiose quasi mystique.

Mstislav Rostropovich

On ne compte plus les interventions de Menuhin pour aider ses collègues. Après Bartók, le célèbre violoniste a également prêté main-forte à Mstislav Rostropovich. Le violoncelliste était pour Menuhin l’un de ses "Russes favoris", pour reprendre ses propres termes. Il voyait en lui un musicien extraordinaire dont il sentait instinctivement que la vision de la vie était proche de la sienne. En 1974, Menuhin a dû se livrer à un chantage politique auprès du régime de Brejnev pour le persuader à autoriser le violoncelliste à quitter l’Union soviétique pour venir jouer en Occident. Rostropvoch était accusé par le gouvernement soviétique d’avoir apporté son soutien au prix Nobel de littérature Soljenitsyne. Menuhin sortit vainqueur de ce conflit en obtenant que Rostropovitch puisse venir librement à Paris en janvier 1974, pour un concert organisé par l’Unesco. Hélas, il ne put éviter que son ami soit privé, quelque temps plus tard, de sa nationalité. Les deux artistes ont aussi enregistré une version inestimable du double concerto pour violon, violoncelle et orchestre de Johannes Brahms. Dans le premier mouvement, le phrasé de Rostropovich atteint parfois au-delà de la simple éloquence la sphère de l’inspiration. Il connaît l’œuvre sur le bout du doigt et peut introduire à son gré de petites touches de lumière et d’ombre. Menuhin est prêt à suivre son partenaire jusqu’au bout. En fait, le texte musical devient secondaire par rapport à l’immédiateté de l’expression. Une de ces versions de légende dont on ne peut que prendre le temps de savourer chaque note. 

Miguel Angel Estrella

On ne saurait parler de l’engagement de Menuhin sans évoquer son intervention en faveur du Miguel Angel Estrella. Le pianiste argentin était persécuté dans son pays par la junte militaire. Détenu en Uruguay, il continuait de jouer du piano dans sa cellule avec un clavier muet. Il a pu finalement être libéré en 1980 grâce à la pression internationale, pression exercée notamment par Yehudi Menuhin, Nadia Boulanger qui avait été son professeur à Paris et Henri Dutilleux Au fil des années, la dimension humaniste de la personnalité de Menuhin a pris une dimension universelle. Il est devenu en quelque sorte "un citoyen du monde". En 1992, il a été nommé Ambassadeur de bonne volonté par l’Unesco. L’année suivante, il est anobli par la Reine d’Angleterre et devient Lord Yehudi Menuhin.

RTS Radio Télévision Suisse, succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision  Sur une proposition de Catherine Buser pour l'émission "Quai des Orfèvres" sur Espace 2  Réalisation web de  Andréanne Quartier-la-Tente RTSCulture avril 2018

Relations ambivalentes avec Israël

En dépit de la grande notoriété dont bénéficie le musicien, il y a eu des polémiques à propos de son attitude face aux conflits du Moyen-Orient. D’origine juive, Yehudi Menuhin ne pouvait rester insensible à la fondation de l’État d’Israël en 1948 et ne tarde pas à donner des concerts dans ce pays. Mais son soutien à Furtwängler lui a valu de nombreux malentendus notamment dans les différents milieux juifs américains et israéliens. Après la guerre des Six Jours, Menuhin se montre réservé quant à l’occupation de la Cisjordanie et ses relations avec Israël deviennent ambivalentes. Au lendemain du Traité de paix signé entre l’Egypte et Israël le 26 mars 1979, à la suite des Accords de Camp David, Menuhin se rend à Jérusalem, au Mur des Lamentations, avec son violon et couvert d’une kippa, il y interprète quelques fragments d’une Partita de Bach. Geste symbolique que renouvellera, dix années plus tard, son ami Rostropovitch, lors de la chute du Mur de Berlin.

L'héritage de Yehudi Menuhin

Les interprétations de Yehudi Menuhin étaient tantôt enflammées, tantôt austères, mais ne départissaient jamais d’une vie intense et d’une profondeur indiscutable. Menuhin donnait toujours l’impression à ceux qui l’écoutaient de leur parler personnellement, de cœur à cœur. Il ne se contentait pas de jouer du violon. Il considérait la musique comme une sorte de prière. Il était convaincu que s’il jouait une partita de Bach à la perfection, il pouvait rendre le monde meilleur. Son héritage est immense comme en témoignent aujourd’hui la vivacité de ce tout ce que ce visionnaire a créé, du festival de Gstaad au concours de violon pour jeunes artistes en passant par son école de violon pour jeunes prodiges ou encore le projet Live Music now. Yehudi Menuhin s'éteint en 1999 à l’âge de 83 ans lors d’une tournée à Berlin. Il est enterré à Londres non loin de l’école qu’il a fondée.

"Avec la clarté sereine de son chant, le violon aide à nous protéger de la tourmente, comme un phare dans la nuit, un compas dans la tempête, il nous montre le chemin vers un havre de sincérité et de respect..."

Yehudi Menuhin, violoniste 

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Sous l'égide d'Enesco

Alain PÂRIS, « MENUHIN YEHUDI - (1916-1999) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 6 décembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/yehudi-menuhin/

La famille Menuhin se fixe à Ville-d'Avray, en région parisienne, et Yehudi commence à travailler avec Georges Enesco, qui sera beaucoup plus qu'un maître pour lui : le grand musicien roumain aura une influence déterminante sur le jeune prodige, qu'il transformera en un musicien complet et réfléchi, hors de son époque. Menuhin acquiert une vision de la musique et un style intemporels. En 1927, il joue le Concerto pour violon de Beethoven avec l'Orchestre symphonique de New York sous la direction de Fritz Busch, et remporte un succès triomphal. Il effectue ses premiers enregistrements en 1928. Un an plus tard, il se produit avec l'Orchestre philharmonique de Berlin sous la baguette de Bruno Walter, dans un programme consacré aux concertos de Bach, Beethoven et Brahms. Tout en poursuivant ses études avec Enesco, il reçoit également les conseils d'Adolf Busch, mais le contact ne s'établit pas. Les tournées se succèdent, maintenant en compagnie de sa jeune sœur pianiste Hephzibah (1920-1981) ; en 1935, il termine sa première tournée mondiale : 110 concerts dans 63 villes de 13 pays différents. Il cesse ensuite de se produire en public pendant deux ans. Durant la Seconde Guerre mondiale, il donne plus de 500 concerts pour les armées alliées et pour la Croix-Rouge. À la fin des hostilités, il prendra la défense de Wilhelm Furtwangler, soupçonné de collusion avec le pouvoir nazi. Dès la fondation de l'État d'Israël, il y effectue une tournée annuelle.

Le musicien et l'humaniste

Sa carrière prend un nouvel essor, en quête d'horizons nouveaux. Nehru l'invite en 1952 en Inde, où il découvre une source de réflexion qui lui permet de dominer les crises qu'il traverse. Car si l'enfant prodige est devenu adulte, d'inquiétantes douleurs se manifestent dans le bras droit qui ne cesseront de le tourmenter ; il trouve dans le yoga une aide indispensable. Le violoniste devient animateur : il fonde le festival de Gstaad, en Suisse (1956), qu'il dirigera jusqu'en 1997 ; en 1959, il s'installe en Angleterre et fonde le festival de Bath, qu'il dirige jusqu'en 1968 ; il fonde également le festival de Windsor et en assure la direction de 1969 à 1972. Il devient aussi chef d'orchestre : il réunit un orchestre de chambre, d'abord dans le cadre du festival de Bath avant qu'il ne prenne le nom de Menuhin Festival Orchestra. En 1963, il fonde à Stoke d'Abernon (Surrey) une école de musique sur le modèle de l'École centrale de Moscou, destinée à de jeunes enfants talentueux recrutés dans le monde entier ; la scolarité est prise en charge dans le cadre d'un pensionnat et les enfants reçoivent une double formation, musicale et générale. 

En 1965, Menuhin est anobli par la reine Élisabeth II. En 1970, la communauté suisse de Saanen lui décerne le titre de citoyen d'honneur, ce qui lui confère la nationalité helvétique. Entre 1969 et 1975, il préside le Conseil international de la musique de l'U.N.E.S.C.O. et utilise cette fonction pour développer une action importante en faveur des droits de l'homme, notamment pour aider des musiciens persécutés, comme Mstislav Rostropovitch ou Miguel Angel Estrella. Déjà, pendant la guerre froide, il avait contribué à établir des contacts entre musiciens soviétiques et occidentaux ; il était très lié avec David Oistrakh. En 1971, lors d'un congrès à Moscou, il n'hésite pas à dénoncer les atteintes aux droits de l'homme. En 1976, la Sorbonne lui décerne le titre de docteur honoris causa, honorant ainsi un musicien pour la première fois de son histoire. En 1980, Menuhin crée une fondation qui porte son nom, destinée à aider les débuts de jeunes interprètes. En 1985, il devient citoyen britannique et peut alors porter le titre de sir Yehudi. Sept ans plus tard, la reine Élisabeth lui accorde le titre de baron de Stoke d'Abernon ; il siège à ce titre à la Chambre des lords. Malgré l'âge, il refuse de ralentir ses activités et consacre une part importante de ses cachets à doter son école d'un patrimoine dont les revenus lui permettront de fonctionner après sa disparition. En 1992, l'U.N.E.S.C.O lui confère le titre d'ambassadeur de bonne volonté. À la fin des années 1980, il a un véritable coup de foudre pour un jeune orchestre polonais, le Sinfonia Varsovia, avec lequel il entreprend une collaboration étroite et qu'il va diriger dans le monde entier. Il meurt subitement à Berlin, le 12 mars 1999.

Le rayonnement de Menuhin était exceptionnel. Ceux qui l'ont approché ou qui ont fait de la musique avec lui ont mesuré l'influence qu'il avait sur ses interlocuteurs : un calme serein, un sens de la musique relevant de l'évidence, une culture apparemment illimitée, une profonde disponibilité. Il s'intéressait à l'art, à la politique et, avant tout, à la psychologie et à la philosophie, embrassant la cause des religions orientales. Il s'intéressait à tous les répertoires et avait commandé à Bartók sa Sonate pour violon seul en 1944. Il a possédé de nombreux instruments, mais ceux sur lesquels il s'est principalement produit furent, jusqu'en 1950, un Stradivarius de 1733, le Prince Khevenhüller, puis un autre Stradivarius, de 1714, le Soil, dont il jouait en alternance avec un Guarnerius del Gesù de 1742, le Lord Wilton.

Alain PÂRIS, « MENUHIN YEHUDI - (1916-1999) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 6 décembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/yehudi-menuhin/

Yehudi Menuhin, Le Violon du siècle

Bien qu’il ne perdit jamais la douceur de ses manières, Yehudi Menuhin possédait une grande force intérieure et une éthique qui l’aida à traverser une vie tumultueuse, sous le regard attentif du public. Durant sa jeunesse, son existence sembla se dérouler comme sous un charme. À l’âge adulte il parut s’éveiller et prendre conscience qu’il ne savait pas véritablement jouer du violon. Les critiques n’eurent de cesse de comparer l’adulte au jeune homme, quoique le Menuhin de la maturité fût cinq fois plus le musicien. Lorsqu’il était au mieux de ses capacités, la musique semblait émaner de sa personne tel un flux affectant son auditoire. Il envoûta tous ceux qu’il rencontra.

1921 : Premières leçons de violon avec Sigmund Anker.

1924 : Fait ses débuts officiels à San Francisco avec la Symphonie espagnole de Lalo ; devient l’élève de Louis Persinger.

1927 : Rencontre George Enescu à Paris dont il deviendra l’élève ; premiers concerts à Paris et New York.

1929–30 : Concert légendaire sous la direction de Bruno Walter à Berlin (concertos de Bach, Beethoven et Brahms), qui confirmera sa réputation d’enfant prodige, étudie avec Adolf Busch à Basel.

1931–35 : Première tournée mondiale de 110 concerts, qui portera Menuhin aux limites de ses capacités.

1935 : Crise artistique et retrait momentané du monde musical.

1938–45 : Reprend sa carrière et donne pas moins de 500 concerts pour les troupes Alliées lors de la Seconde Guerre mondiale.

1952 : Première visite en Inde ; où il rencontre Ravi Shankar, avec lequel il donnera par la suite de nombreux concerts et enregistrera plusieurs disques.

1957 : Premier Festival Menuhin à Gstaad, en Suisse.

1959 : Nommé directeur artistique du Festival Bach ; fait ses premiers pas dans la direction d’orchestre.

1963 : Fonde l’École Yehudi Menuhin en Angleterre, où de jeunes musiciens peuvent recevoir une scolarité et une éduction musicale sous un même toit.

1969 : Élu Président du Conseil International de Musique de l’UNESCO.

1976 : Publie ses mémoires, sous le titre The Unfinished Journey.

1977 : Fondation à Gstaad de l’Académie Internationale de Musique Menuhin pour les jeunes musiciens diplômés jouant des instruments à cordes.

1992 : Nommé Ambassadeur de Bonne Volonté par l’UNESCO.

1993 : La Reine Elizabeth II anoblie Menuhin à titre de life peer (il est nommé Baron Menuhin de Stoke d’Abernon) ; il a déjà été fait Chevalier en 1966 et a reçu l’Ordre du Mérite en 1987.

https://www.medici.tv/fr/artists/yehudi-menuhin/
medici.tv​​​​​​​​​​​​​​

 

Isaac Stern, illustre violoniste du 20ème siècle

Isaac Stern : 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le  grand violoniste

Violoniste prolifique et inépuisable

Face aux violonistes virtuoses américains tels que Yehudi Menuhin et Ruggiero Ricci, qui montent sur scène à l’âge de 10 et 11 ans, on peut dire qu’Isaac Stern est loin d’être une star précoce. Il découvre le violon à l’âge de 8 ans, et ne fait sa première apparition sur scène qu'à 17 ans, ce qui laisse la presse majoritairement indifférente. Mais Stern, dont la carrière n’est pas loin de prendre son envol pour ne plus jamais atterrir, devient rapidement l’un des violonistes les plus demandés de sa génération. Sa renommée croît : il est demandé partout aux États-Unis et même aux quatre coins du globe, littéralement. Ainsi, il effectue en 1944 une tournée en Islande et au Groenland, environ 75 kilomètres à l’intérieur du cercle arctique, avec un public qui se compte souvent sur les doigts d’une main. À la fin des années 1940, Stern et son pianiste Alexander Zakin courent à nouveaux de grands risques en traversant une tempête de neige plus de 70 centimètres de profondeur pour jouer dans un auditorium dans le Milwaukee. Artiste inépuisable, Stern effectue en 1949 une tournée de 120 concerts en seulement sept mois, un rythme impressionnant d’un concert environ tous les 1,7 jours ! Toujours fidèle à ses nombreux engagements, qui sont souvent décidés plusieurs années à l’avance, Stern sera même absent pour la naissance de ses deux premiers enfants.

Un engagement militaire pas comme les autres

Peu après ses débuts en tant que violoniste à la fin des années 30, Isaac Stern s’engage dans l’effort de guerre américain lors de la Seconde guerre mondiale. Il joue pour les soldats envoyés au Pacifique, et dort même dans une tente sur l’île de Guadalcanal pendant plusieurs semaines. Ses concerts sur l’île sont non seulement appréciés par les soldats américains mais également par un soldat japonais qui se serait prétendument inséré dans le public afin d’assister discrètement à l’un des concerts insolites du violoniste américain. Mais alors que de nombreux musiciens mettent leurs talents musicaux au service des soldats, Stern contribue également de manière beaucoup plus originale aux avancées de l’armée américaine. Recruté par les forces navales et aériennes de l’armée américaine, Hy Goldsmith est chargé de développer une cabine de pilotage d’avion permettant au pilote de pouvoir s’éjecter et de sauter en parachute en toute sécurité en cas d’urgence. Il est nécessaire pour Goldsmith de mesurer l’impact d’un manque d’oxygène sur les performances mentales et physiques sur le pilote. Il demande ainsi à son ancien colocataire et ami, Isaac Stern, de jouer son violon dans un caisson hyperbare à différentes pressions d’altitude, du niveau de la mer jusqu’à 18,000 pieds, afin de mesurer tout changements dans ses capacités techniques. Alors que Stern devient délirant et progressivement bleu par manque d’oxygène, il continua à jouer la sonate de Bach en sol mineur comme si de rien était.

Après la guerre, l’engagement politique

« La vie artistique ne peut pas être séparée de la vie politique [...] car tout ce qui se passe politiquement nous affecte en tant que personnes » explique le violoniste en 2000 au Boston Globe. Si le violoniste raconte à voix haute son engagement seulement un an avant sa mort, il le met en œuvre dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Suite à la mort de Staline en 1953, Stern est envoyé par les États-Unis en Russie en 1956 afin de participer à un échange culturel entre les deux pays (le violoniste David Oistrakh sera envoyé aux États-Unis) : Stern sera ainsi le premier artiste américain à tourner en Russie à la sortie du conflit mondial. Il sera également au cœur du développement de l’infrastructure culturelle du tout nouvel état d’Israël, dont il devient le conseiller culturel et titulaire de la chaire de l’America-Israel Cultural Foundation. Russie et Israël, sans oublier la Chine. À la suite de la grande révolution culturelle, Stern entreprend en 1979 une tournée de trois semaines en Chine, tournée filmée qui deviendra ensuite un documentaire primé intitulé From Mao to Mozart. Si le monde de la musique est d’accord sur le fait que les contributions de Stern au monde de la politique culturelle sont, beaucoup regrettent que Stern ne se soit pas plus consacré à la musique. 

« Isaac est et sera toujours l'un des violonistes vivants les plus importants [...] mais quand il pense que le monde a besoin d'être sauvé, il est difficile pour lui de se concentrer sur son entraînement » avoue Yo-Yo Ma, protégé d’Isaac Stern. Le chef d’orchestre George Szell, quant à lui, regretta avec humour que Stern ait perdu autant de temps sur des causes aussi nobles et méritantes.

Pédagogue infatigable

Que dire de l’homme qui a su identifier et encourager les talents musicaux des plus grandes stars musicales telles que Yo-Yo Ma, Itzhak Perlman et Pinchas Zuckerman, si ce n’est qu’il a le nez creux ? « Chaque enfant a la musique dans son cœur, dans son inconscient. Je pense sincèrement que cela peut changer la vie de n’importe quel enfant », souffle-t-il lors d’une de ses nombreuses masterclasses à Carnegie Hall. Dans les années 1960, il réussit à faire établir le National Endowment for the Arts, service au sein du gouvernement américain dédié au support et à l’encouragement des activités culturelles. Tellement dévoué à la pédagogie fut-il que Stern accepte même d’aller en Allemagne pour la première fois en 1998 - pays qu’il évite toute sa vie suite aux horreurs de la Seconde guerre mondiale - afin de rencontrer et d’écouter de nombreux jeunes musiciens allemands. La « guérison par la communication » affirmera Stern, pédagogue infatigable qui assure jusqu’à sa mort en 2001 une nouvelle génération de musiciens pour le XXIe siècle.

Stern, le violoniste sur le toit

Qui de mieux pour faire sonner le Violon sur le toit, histoire du périple joyeux et tragique d’un « shtetl » ukrainien juif qu’Isaac Stern, violoniste juif mondialement connu ? En effet, si le violoniste sur le toit dans le film de Norman Jewison ne ressemble pas à Stern, c’est bien le grand violoniste qui joue la musique entendue tout au long du film. Adaptation cinématographique en 1971 d’une comédie musicale, avec une musique de John Williams (pour laquelle le compositeur recevra son premier Oscar), Un Violon sur le toit commence par une longue cadence pour violon d’environ 7 minutes. Parti à la recherche d’un violoniste pour la musique de son film, Jewison ne revient qu'avec un seul nom : Isaac Stern. Alors que les frais de tournage du film s’élèvent déjà à des sommes inquiétantes, Jewison est prêt à dépenser une fortune pour voir le plus grand violoniste du monde jouer une « musique de fond », avouant même être prêt à payer les frais de Stern avec son propre cachet !

Si Un Violon sur le toit est l’une des plus notoires collaborations cinématographiques de Stern, n’oublions pas que l’immense musicien a incarné un autre titan du violon, Eugene Ysaÿe (en 1953 dans le film Tonight We Sing).

Carnegie Hall : Stern à la rescousse !

Lorsque l’idée est évoquée de détruire le Carnegie Hall afin de le transformer en immeuble de bureaux et en parking, Isaac Stern voit un nouveau défi. Il fonde alors le « Citizens' Committee to Save Carnegie Hall » composé en partie d’Eleanor Roosevelt, Fritz Kreisler, Jascha Heifetz, Arthur Rubinstein, Dame Myra Hess, Van Cliburn, Leopold Stokowski, Marian Anderson et Fritz Reiner. Une fois la ville de New-York convaincue d’acheter la prestigieuse salle, Stern devient président administratif de la Carnegie Hall Corporation, un titre qu’il portera jusqu’à sa mort. Un engagement particulièrement emblématique car c’est sur cette scène le 8 janvier 1943 que Stern confirmera sa réputation à l’âge de 21 ans, qui lui vaut d'être proclamé « l’un des meilleurs violonistes au monde » par Virgil Thomson, grand critique de musique américain. Une histoire de cœur qui finit bien, lorsque la salle principale est renommée le « Isaac stern auditorium » en 1997.

Un sexagénaire pas comme les autres

Comment fêter ses 60 ans lorsqu’on est l’un des plus grands violonistes au monde ? Loin des restaurants d’exception ou des soirées privées à bord d’un yacht, Stern fête son anniversaire là où pour lui la vie a tout son sens : sur la scène. Il décide ainsi de jouer, entouré de ses amis tels que le chef d’orchestre Zubin Mehta accompagné du New York Philharmonic, sans oublier ses protégés Itzakh Stern et Pinchas Zukerman. Un programme non seulement impressionnant mais également ambitieux : quatre concerti, à savoir le Double Concerto de Johann Sebastian Bach, la Sinfonia Concertante de Wolfgang Amadeus Mozart, le Concerto pour 3 violons de Vivaldi et le Concerto pour violon de Brahms !

Isaac Stern, fidèle au label

Fidèle à ses engagements de concert, Stern est tout aussi fidèle à son label. Il enregistre ainsi pendant près d’un demi-siècle avec le label CBS, avec lequel il produit plus d’une centaines d’enregistrements. En 1984, Isaac Stern est le premier artiste lauréat nommé par CBS Masterworks, un geste non des moindres lorsque l’on voit les noms d’autres artistes légendaires associés au label, tels que Pablo Casals, Glenn Gould, Eugene Ormandy, LeonardBernstein et John Williams.

Une vente aux enchères mémorable et scandaleuse

La vente aux enchères en mai 2003 d’instruments, d’archets et d’autres objets de collection ayant appartenu au musicien dépasse de nombreux records et devient à l’époque la deuxième plus grosse vente aux enchères au monde, avec un total de plus de 3,3 millions de dollars. Mais hélas, cette vente impressionnante est le fruit d’un scandale beaucoup moins réjouissant. Suite à plusieurs changements dans les finances du violoniste peu avant sa mort, dont le transfert d’un appartement à New-York d’une valeur d’environ 3,5 millions de dollars au nom de sa troisième femme, l’héritage des trois enfants de Stern n’est pas assez élevé pour payer les dettes du musicien à la suite de sa mort. Prétendument à l’encontre du testament de Stern, l’exécuteur William Moorhead III organise ainsi la fameuse vente avec la maison de vente aux enchères Tarisio afin de payer les dettes. Les enfants de Stern n’apprennent l’existence de cet événement que lorsqu’un musicien du Philadelphia Orchestra voit les objets du violoniste en vente sur le site de Tarisio.

Un nom qui résonnera pour toujours

Le nom Stern est déjà incontestablement gravé dans l’histoire de la musique par ses enregistrements, mais il résonne également à travers le son d’un violon, et pas n’importe lequel : le violon « Panette » de Guarneri ‘del Gesù’, de son nom complet « Stern, Panette, Balatre, Alard ». Parmi les plusieurs centaines de violons de Guarneri ‘del Gesù’, rares sont ceux qui portent un nom. Mais après près d’un demi-siècle entre les mains d’Isaac Stern, l’artiste et l’instrument sont devenus indissociables. Vendu en 1994 au mathématicien et musicien américain David Fulton, le violon est ensuite racheté en 2005 par la Banque suisse italienne pour se retrouver entre les mains du violoniste Renaud Capuçon, ancien élève de Stern. La boucle est donc bouclée.

Par Léopold Tobisch

Itzhak Perlman, l’un des meilleurs violonistes des 20 et 21èmes siècles

Itzhak Perlman

Si certains artistes sont plutôt réputés pour leur sensibilité, d’autres pour leur virtuosité, assurément Itzhak Perlman rassemble ces qualités par l’excellence de son jeu, qu’il a toujours mis au service de sa profonde sensibilité. Sa popularité doit beaucoup aussi à sa personnalité charismatique et son humour. L’étendue de son répertoire, quant à elle, est peu commune.

Itzhak Perlman est né de parents polonais immigrés en Israël dans les années 1930. Atteint de poliomyélite à quatre ans, il devra, toute sa vie, utiliser des béquilles pour se déplacer, et rester assis pour la pratique de son instrument. Il ressent son premier choc musical en écoutant Jascha Heifetz à la radio. Il entame alors des études musicales à Tel Aviv, auprès de Rivkah Goldgart, professeur de violon issu de la tradition russe. Il est très vite remarqué par Isaac Stern qui lui conseille d’aller parfaire son apprentissage à la Juilliard School de New York. Il y est admis en 1958 et commence à travailler avec Ivan Galamian. Sa famille n’étant pas riche, il participe à des émissions télévisées populaires américaines. Il fait alors une rencontre déterminante pour sa carrière. Il entre dans la classe de Dorothy Delay, professeur réputée pour sa grande finesse psychologique, dont la pédagogie a pour objectif principal l’épanouissement des personnalités. De ses propres mots, elle lui a fait travailler la main droite, celle de l’archet et de l’expressivité, alors que Goldgart lui avait développé la main gauche, celle de la virtuosité. Ces deux enseignements complémentaires seront la clé de son talent.

Itzhak Perlman fait des débuts très remarqués au Carnegie Hall en 1963. L’année suivante, il est vainqueur du Concours Leventritt dont le jury est composé d’Isaac Stern, George Szell, Lukas Foss, William Steinberg. Il réalise aussi son premier enregistrement, le Concerto pour violon de Tchaikovski. En 1967, il donne son premier concert avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël. Il restera fidèle à cet orchestre, réalisant avec lui de nombreux enregistrements et aussi des tournées parfois dans des pays politiquement délicats, comme la Chine, la Pologne, la Hongrie et l’ex-URSS. En 1969, il participe à l’enregistrement vidéo mythique du QuintetteLa Truite de Schubert avec Pinchas Zuckerman (alto), Jacqueline Du Pré (violoncelle), Zubin Mehta (contrebasse) et Daniel Barenboim (piano). Tout au long de sa carrière, il restera d’ailleurs très fidèle à un cercle restreint d’artistes pour la musique de chambre : Pinchas Zuckerman, le violoncelliste Lynn Harrell, les pianistes Daniel Barenboim, Bruno Canino et Vladimir Ashkenazy. Au cours des années 1980, il se rapproche de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles. En 2009, il se produit avec Gabriela Montero, Yo-yo Ma et Anthony Mc Gill lors de l’investiture de Barack Obama. Il mène en parallèle une carrière d’enseignant, et donne de nombreux master class. Il est titulaire de la Dorothy Richard Starling Chair of Violin Studies à la Juilliard School. Il a joué dans des musiques de films célèbres, tels que Fantasia 2000La Liste de SchindlerMémoires d’une geisha. Il a pratiqué le jazz avec son ami André Previn et Oscar Peterson, et a aussi enregistré de la musique kletzmer. Au cours de sa carrière, il a joué sur plusieurs instruments : un Pierre Guarnerius, un Joseph Guarnerius, plusieurs Stradivarius dont le Soil, qui a appartenu à Yehudi Menuhin.

Itzhak Perlman en 6 dates :

  • 1949 : atteinte de poliomyélite
  • 1958 : admis à la Juilliard School
  • 1963 : débuts au Carnegie Hall
  • 1967 : débuts de sa collaboration avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël
  • 1990 : tournée en ex-URSS avec Zubin Mehta
  • 2009 : joue lors de l’investiture de Barack Obama

Itzhak Perlman en 6 enregistrements :

  • Concerto pour violon de Tchaikovski, Orchestre Symphonique de Londres, Alfred Wallenstein (1964)
  • Sonates pour violon et piano, de Beethoven, Vladimir Ashkenazy, Decca (1975)
  • Concerto pour violon de Brahms, Orchestre Symphonique de Chicago, Carlo Maria Giulini, EMI (1976)
  • Concerto pour violon de Beethoven, Orchestre Philharmonia, Carlo Maria Giulini, EMI (1980)
  • Sonates et partitas de Bach, EMI (1987)
  • In the Fiddler’s house, musique kletzmer, EMI (1996)

Site officiel : http://www\.itzhakperlman\.com/

Biographie de la Documentation de Radio France, Mars 2017

 

 

Le Concerto pour violon de Tchaïkovsky, la partition qui fascine les virtuoses

Par Laure Mézan
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Le Concerto pour violon de Tchaïkovsky apparaît comme l’un des ouvrages les plus ardus et les plus passionnés du répertoire pour violon. Dès le premier mouvement, un souffle nous saisit. Le discours est enflammé, le violon témoigne rapidement d’une fièvre étourdissante qui atteint ses sommets dans l’impressionnante et si périlleuse cadence. D’emblée, le compositeur affiche sa force retrouvée après son combat contre la dépression et l’exaltation de cette passion amoureuse que le jeune violoniste a fait jaillir en lui. Mais la nostalgie est toujours là et exhale ses soupirs dans le second mouvement, une sublime Canzonetta où s’exprime l’extraordinaire fibre mélodique du compositeur. Ici, le ton se fait intime, l’orchestre est dans le registre du murmure, confiant à la flûte et à la clarinette le soin de dialoguer tout en douceur avec le violon, qui joue avec la sourdine, dans une ambiance en clair-obscur. Quelques trilles du violon conduisent à la transition avec l’éclatant Allegro Vivacissimo aux accents bondissants et à la virtuosité débridée. Tchaïkovsky semble ici comme emporté par une flamme et retrouve cette fraîcheur qu’il avait tant appréciée dans l’œuvre de Lalo, et qui venait de redonner de l’éclat à sa propre vie.

Itzhak Perlman

 

Itzhak Perlman subjugue. Le violoniste allie une virtuosité époustouflante à une expressivité incomparable, le tout servi par la sonorité lumineuse de son Stradivarius. Charismatique, le détenteur de quinze Grammy Awards l’est assurément. Mais derrière le virtuose, on aperçoit un musicien généreux, tant avec le public qu’avec ses élèves. Un homme qui a su vaincre le handicap, et qui nous rappelle qu’au-delà des apparences, le plus important reste le partage de la musique.

Itzhak Perlman en 8 dates 

1945 : Naissance à Tel-Aviv (Israël)

1949 : La poliomyélite affecte l’usage de ses jambes

1958 : Entre à la Juilliard School de New York

1963 : Débuts au Carnegie Hall

1967 : Premier concert avec l’Orchestre philharmonique d’Israël

1994 : Interprète la BO de John Williams pour le film La Liste de Schindler de Steven Spielberg

1995 : Fonde avec son épouse le Perlman Music Program

2009 : Se produit lors de l’investiture de Barack Obama, avec Yo-Yo Ma et Gabriela Montero

D’Israël à la Juillard School, le violoniste a su dépasser son handicap

​​​​​Itzhak Perlman naît à Tel-Aviv en 1945. Sa mère russe et son père polonais ont émigré en Israël dans les années 30. Dès 5 ans, le garçon apprend le violon à l’Académie de musique avec Rivkah Golgart, formée à l’école russe. Elle développe la virtuosité de sa main gauche et, à 10 ans, Perlman joue devant Isaac Stern. Impressionné, le violoniste lui conseille d’aller étudier aux Etats-Unis. La famille Perlman déménage donc à New York. Itzhak a 13 ans et entre à la Juilliard School, dans la classe d’Ivan Galamian. Il y rencontre Pinchas Zukerman, de trois ans son cadet, qui devient l’un de ses meilleurs amis. Mais le professeur ne croit pas à l’avenir de Perlman malgré son immense talent : atteint de la poliomyélite à 4 ans, il se déplace difficilement avec des béquilles, et ne peut jouer du violon qu’assis. « On m’a dit, tu vas voir, les avions, les voyages, les répétitions, ça ne va pas être facile. Et alors ! J’ai volé, voyagé, répété ! » s’exclame-t-il en 2007 à Marie-Aude Roux pour Le Monde. En 1978, Perlman révèle dans un documentaire réalisé par Christopher Nupen, combien ses parents ont été déterminants pour surmonter son handicap. « On peut rendre facilement une anormalité normale. Cela dépend de comment on est traité, et de ce dont on est capable de faire. Pour moi, cela n’a jamais été un problème. » Une femme va croire en lui à la Juilliard School : Dorothy DeLay, l’assistante de Galamian. Dans une interview vidéo menée par Dmitri Berlinsky en 2021, Perlman compare le style de ses deux professeurs : « Galamian disait de jouer comme ça, alors que DeLay posait des questions et me faisait réfléchir. » Au travail technique de la main droite, elle joint celui de la personnalité. Elle lui donne confiance en lui, sur scène et dans la vie, l’encourageant à être plus sociable sans craindre le regard des autres.

Le public le découvre à la télévision et au Carnegie Hall

Les débuts à New York ne sont pas simples pour les Perlman. Pour aider ses parents financièrement, l’adolescent joue parfois dans des hôtels. Puis il est invité à la télévision dans le Ed Sullivan show, l’une des émissions les plus regardées avec près de 60 millions de téléspectateurs. La reconnaissance du milieu musical vient avec ses débuts au Carnegie Hall à 18 ans, mais surtout avec le 1er Prix du Concours Leventritt l’année suivante. Il retrouve Isaac Stern dans le jury, à côté des chefs d’orchestre George Szell et William Steinberg. Une carrière internationale s’ouvre à lui, menée par l’agent américain Sol Hurok. La même année, Perlman enregistre son 1er disque : le Concerto pour violon de Tchaïkovsky dirigé par Alfred Wallenstein.

Avec Daniel Barenboim et Pinchas Zukerman, il forge de solides amitiés qui s' illustreront au disque

Perlman s’est fait de nombreux amis. Parmi eux, le couple Daniel Barenboim et Jacqueline DuPré, avec il interprète une mémorable Truite de Schubert, filmée en 1969 par Christopher Nupen, avec l’ami Pinchas Zukerman à l’alto et Zubin Mehta à la contrebasse. A la même époque, Perlman rencontre Vladimir Ashkenazy, avec qui il enregistre en 1975 l’intégrale des Sonates pour violon et piano de Beethoven chez Decca, puis les Trios avec Lynn Harrell. Après le décès de Jacqueline DuPré, Perlman continue de jouer avec Barenboim, et enregistre avec lui les concertos pour violon de Bach et de Beethoven en 1989, des Sonates de Mozart en 1991, ou encore le Triple concerto de Beethoven avec Yo-Yo Ma au violoncelle en 1995. La discographie de Perlman est gigantesque, à la mesure de sa curiosité musicale. Outre les grands concertos, il en enregistre d’autres alors délaissés, comme ceux de Korngold, Walton ou Vieutemps. Il aime aussi jouer les pièces de concert du début du XXème siècle, à l’image de son idole Jascha Heifetz. C’est en entendant le violoniste à la radio qu’il avait décidé de jouer du violon. A la virtuosité, Perlman allie un panache digne de Paganini, dont il enregistre d’ailleurs les 24 caprices pour EMI en 1972, avec un brio phénoménal.

Violoniste juif, il part en tournée avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël et joue la musique Kletzmer 

« Quand on joue, notre personnalité ne doit pas passer avant la musique, mais elle doit quand-même transparaître. J’aime aller à la rencontre du public. Il s’agit de donner et de recevoir. Il faut établir un contact. Je ne crois pas que, sans l’adrénaline, on joue aussi bien. » Ces propos, confiés à Christopher Nupen en 1978, résument bien le violoniste. La générosité de Perlman sur scène, autant que son talent, a toujours électrisé le public. Mais la musique est aussi parfois l’occasion d’affirmer des convictions et une identité.
En 1967, il entame une fructueuse collaboration avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël, souvent illustrée au disque. Il sera le premier à se produire avec cet orchestre dans le bloc soviétique (Varsovie et Budapest en 1987, puis à Moscou et Leningrad peu de temps après la chute du mur). En 1994 il réalise, toujours avec l’Orchestre philharmonique d’Israël, une tournée en Chine et en Inde, alors également sensibles politiquement. Perlman tâte aussi de la musique kletzmer, notamment avec le clarinettiste David Krakauer. Un hommage à ses racines juives d’Europe centrale. Le virtuose accepte d’autre part d’interpréter la BO de John Williams pour La Liste de Schindler de Spielberg, qui remporte un Oscar en 1994. Il renouvelle sa collaboration avec le compositeur en 2005 pour Mémoires d’une Geisha, aux côtés de son complice Yo-Yo Ma. Le cinéma n’est cependant pas toujours synonyme de tragédie pour le violoniste, qui joue son propre rôle dans Tout le monde dit « I love you » de Woody Allen en 1997.​​​​​​​

Également chef d’orchestre et enseignant, il est unanimement salué jusqu’à la Maison Blanche

Le violoniste aime aussi tenir la baguette. Premier chef invité de l’Orchestre de Detroit de 2001 à 2005, il est conseiller musical de l’Orchestre de Saint Louis à partir de 2002, et directeur artistique du Westchester Philharmonic à Purchase entre 2008 et 2011.
Le virtuose au grand cœur et à l’humour ravageur, est aussi un excellent pédagogue. Il enseigne au Brooklyn College à partir de 1975, puis à la Juilliard School où il succède en 1999 à son ancienne professeure Dorothy DeLay. En 1995, débute le Perlman Music Program, qui accueille chaque été des musiciens prometteurs à partir de 12 ans pour des cours et des concerts pendant six semaines. C’est avec sa femme Toby que Perlman a créé cette institution. Violoniste et elle-même élève de Dorothy DeLay, Perlman l’a rencontrée en 1963, lors d’une académie d’été justement. Le couple s’est marié trois ans plus tard, et a eu 5 enfants.
Si son handicap a parfois compliqué son quotidien, le talent de Perlman a en revanche toujours été reconnu, et ce jusqu’à la Maison Blanche. Déjà invité en 1970 par Nixon, il y revient pendant les mandats de Carter, Reagan, Bush père et fils, Bill Clinton, et Barack Obama, lequel lui remet en 2015 la Médaille présidentielle de la Liberté. En 2003, il reçoit en outre une récompense du John F. Kennedy Center for the Performing Arts « pour ses succès et ses contributions à la vie culturelle et éducative de la Nation ». Aujourd’hui, Itzhak Perlman ne fait pas que jouer du violon : le virtuose en fauteuil roulant signale régulièrement les problèmes d’accès pour les handicapés, notamment dans les salles de concert et les hôtels. Mettre sa notoriété au service des autres, voilà bien Itzhak Perlman.

Par Sixtine De Gournay
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             Radio Classique 2021​​​​​​​

Itzhak Perlman : le violon volant

La maladie l'a cloué dans un fauteuil dès l'enfance. La musique lui a permis de s'envoler.

Par Marie-Aude Roux Publié le 16 novembre 2007

Il fut un temps où le violoniste Itzhak Perlman était un ange. Lui en est resté la tête bouclée auréolée de soie, le regard bleu de ciel et son talent pour le violon. A 4 ans, la poliomyélite l'ayant privé de ses jambes, il apprendra la musique rivé au sol, lourdement appareillé, après que l'annonce lui aura été faite par la voix des ondes. "La première fois que j'ai entendu un violon, raconte Itzhak Perlman, c'était à la radio. Personne n'était musicien dans ma famille, et mon premier professeur fut un violoniste que mes parents avaient entendu jouer dans un café, en passant dans la rue." Qu'on se rassure, les deux suivants seront des maîtres, deux femmes, Rivkah Goldgart à Tel-Aviv, et Dorothy Delay à la Juilliard School, à New York. Le monsieur tiré à quatre épingles, soigné et parfumé, qui s'impatiente dans son fauteuil roulant dernier cri est bien le célèbre Itzhak Perlman, l'homme aux quinze Grammy Awards, recordman des ventes de disques de musique classique - et grand frère des handicapés de la terre.

Une admiration teintée d'incrédulité est encore aujourd'hui ce qui vient spontanément à la bouche de Daniel Barenboim. "Nous avons fait beaucoup de musique de chambre ensemble, se souvient le pianiste et chef d'orchestre, notamment dans les années 1970, où j'étais directeur du Festival d'Israël. Je me rappelle Perlman descendant de sa chambre en peignoir de bain, enlevant son appareillage au bord de la piscine et se mettant à quatre pattes sans la moindre gêne apparente pour rejoindre le bassin et nager." Cette absence affichée de complexes est à l'image de l'offrande d'un corps à la musique, à l'image de la déambulation silencieuse du fauteuil sur les luxueux tapis de l'Hôtel Dorchester, à Londres - fluide, linéaire. Oublier son handicap et le faire oublier : y avait-il une autre voie possible ? Perlman s'esclaffe de ce qu'on a commencé à lui parler de son infirmité au moment où il a débuté sa carrière. "On m'a dit, tu vas voir, les avions, les voyages, les répétitions, ça ne va pas être facile, dit-il, goguenard. Et alors ! J'ai volé, voyagé, répété !" Nul ne songerait pourtant à nier l'émotion qu'il y a à voir entrer sur scène le violoniste Perlman, cette avancée dans des sables mouvants appuyé sur deux béquilles. Que cette brasse malaisée puisse devenir, une fois le corps amarré à la chaise et dès la première note lancée, un envol, voilà qui tient à la fois de la magie et de la métamorphose. "Je suis un violoniste qui joue assis", déclare Perlman, du même ton péremptoire qu'il affirme, en réponse aux questions sur ses convictions politiques : "Je suis un juif né en Israël qui vit à New York. Je sais qui je suis et je sais d'où je viens et que tout n'est pas blanc ou noir." Mais de ces origines, de cette mère venue d'une famille russe, de ce père barbier polonais, tous deux immigrés dans les années 1930 à Tel-Aviv, où ils se sont rencontrés, Perlman refuse de parler. "Vous n'avez pas besoin de moi pour cela",élude-t-il. Violoniste privé de mouvement, ni ployé dans l'effort du jeu ni tordu dans l'expressivité d'une phrase nostalgique, voilà qui donne déjà au jeune Perlman ce visage concentré, jouant dans une quasi-abstraction du corps, le finale du Concerto de Felix Mendelssohn : sur cette vidéo, rescapée d'une émission de télévision américaine, apparaît un garçon potelé de 13 ans. Quelques années plus tard, une archive de Fox Classics le montre, jouant aussi comme en apesanteur, le Deuxième concerto d'Henryk Wieniawski.

La virtuosité diabolique des Paganini de tous crins, Perlman en a fait une transcendance lumineuse, un jeu frémissant et fier, une sonorité sensible qui est la marque de son violon. Pour cela sans doute, la musique de John Williams a trouvé sous son archet les poignants accents de la bande-son de La Liste de Schindler, Oscar de la meilleure musique de film en 1994. Depuis 1995, le nom de Perlman s'est accolé à ceux des quatre meilleurs ensembles de musiciens klezmerim, cette tradition musicale des juifs d'Europe centrale. Le clarinettiste new-yorkais David Krakauer, à l'époque membre du groupe des Klezmatics, évoque un voyage commun en 1992 à Cracovie, berceau de cette musique : "Perlman était là avec son père, originaire de la région. C'était un retour aux sources émouvant",témoigne-t-il. Dans la vie, c'est un homme chaleureux, un bon vivant qui aime manger et un merveilleux conteur qui adore les blagues juives. Avec nous, il a été humble dans le travail, malgré sa notoriété." David Krakauer s'enorgueillit d'avoir réussi à pousser le jeu quelque peu compassé du musicien classique dans ses retranchements, "pour lui faire sortir ses tripes". Il semble que cette musique qu'il ne jouait pas mais qu'il a toujours connue, chantée et écoutée, et qui est, comme il le dit, "celle de (ses) origines", ait enfin rendu à Itzhak Perlman, 62 ans, plus que n'importe quel concerto romantique ou pièce de virtuosité, un corps chantant et dansant.

Marie-Aude Roux le 16 novembre 2007

​​​​​​​https://www.lemonde.fr/culture/article/2007/11/16/itzhak-perlman-le-violon-volant_979239_3246.html

Fritz Kreisler en récital au Royal Albert Hall, Londres, 1932 ©Tully Potter Collection

FRITZ KREISLER

Violoniste autrichien, élève d'Anton Bruckner et de Joseph Hellmesberger junior à Vienne (1882-1885), de Joseph Massart et de Léo Delibes à Paris (1885-1887), Fritz Kreisler commence une carrière d'enfant prodige interrompue pour effectuer des études médicales. En 1898, il reprend ses activités de violoniste, vivant à Vienne et à Berlin jusqu'en 1933. De 1933 à 1939, il se réfugie en France puis gagne les États-Unis où il séjournera jusqu'à la fin de sa vie, cessant de jouer en 1947. Virtuose dans la tradition de l'école autrichienne, il s'est imposé dans les chefs-d'œuvre du répertoire et dans d'innombrables petites pièces qu'il avait lui-même écrites en les attribuant à des compositeurs du XVIIIe siècle (Pugnani, Francœur, Martini, Vivaldi). La supercherie ne fut découverte qu'en 1935, après plusieurs années ! Son style, très personnel, reposait sur un vibrato serré, une élégance et un sens de la phrase mélodique que soutenait une sonorité chatoyante. Habité par le rythme, il contribua à gommer les excès des interprétations romantiques sans en perdre l'expression générale. Peu attiré par la musique de chambre, il ne s'est guère produit qu'avec Sergueï Rachmaninov. Il est l'un des rares virtuoses de cette génération à n'avoir pas fait école. Comme compositeur, il laisse, en dehors de ses fameux pastiches, des pièces pour violon (Caprice viennois, Liebesleid, Tambourin chinois, Schön Rosmarin...), des cadences pour tous les grands concertos et plusieurs opérettes (Sissi).

Écrit par :  : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France

Alain PÂRIS, « KREISLER FRITZ - (1875-1962) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 décembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/fritz-kreisler/​​​​​​​

Le superbe prélude de Fritz Kreisler pour violon et piano

Comment ne pas être touché par le superbe Prélude et allegro de Friedrich (Fritz) Kreisler, compositeur et violoniste autrichien (1875-1962), élève d’Anton Bruckner et de Léo Delibes ? L’oeuvre, créée en 1910, est dite « dans le style de Pugnani », en rappelant l’hommage facétieux de Kreisler au violoniste et compositeur italien Giulio Gaetano Gerolamo Pugnani (1731-1798). En effet, Fritz Kreisler avait l’habitude d’attribuer faussement quelques-unes de ses compositions à des auteurs du XVIIIe siècle. Ce n’est que dans les années 1930 que l’on découvrit la supercherie ! Grand virtuose et auteur de nombreux arrangements musicaux pour violon, Fritz Kreisler effectue plusieurs tournées entre l’Autriche, l’Allemagne, la France et s’installe définitivement aux États-Unis au moment de la guerre de 39-45 où il finit sa vie.

by  • 

HOMMAGE À Fritz Kreisler

Edité par BMC - paru en 2017

Fritz Kreisler (1875-1962) a écrit plusieurs opéras, d'innombrables chansons et même un quatuor à cordes, mais ne s'est jamais présenté lui-même comme un compositeur important; Néanmoins, il a apporté une contribution énorme à l'élargissement du répertoire de violon avec ses transcriptions, arrangements, sa participation en les interprétant lui-même, et enfin ses propres ouvres originales. Quelques-unes de ces petites pièces devinrent follement populaires presque au moment où elles furent écrites, apparaissant dans le programme de presque tous les violonistes importants de l'époque de Ysae à Elman, Szigeti à Heifetz et Vecsey à Zimbalist. Le ton séduisant de Kreisler, son vibrato particulier, son portamento ne dépassant jamais les limites du bon goût, sont les plus beaux restes et de la magie de la touche viennoise, de la tour de Babel musicale d'Autriche-Hongrie dans ses dernières années de paix. Ces pièces, courtes ou parfois plus longues, représentent un "cahier" spécial d'ouvres de la fin du 19è siècle et du début du 20è siècle, peut-être l'une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de la musique. Elles reflètent l'atmosphère de l'époque comme à son époque, Franz Liszt, avec ses transcriptions et paraphrases, montrait un miroir aux styles et aux caractéristiques de l'époque, du baroque à ses contemporains. Il n'est donc pas étonnant que leur popularité ait survécu aux changements de période, de style et d'approche (basé sur le livret de Zoltán Kocsis).

 

  • Tambourin chinois, op. 3

  • Chanson Louis XIII et pavane (In the style of Louis Couperin)

  • Allegretto (In the style of Luigi Boccherini)

  • Slavonic dance Nʿ2 / Antonin Dvorak

  • Dirge of the north / Erno Balogh

  • Liebesleid

  • Liebesfreud

  • Schön Rosmarin

  • Syncopation

  • Rondino on a theme of Beethoven

  • Indian lament / Antonin Dvorak

  • Marche miniature viennoise

  • Humoreske, op. 101/7 / Antonin Dvorak

  • La gitana (Arabic-Spanish gypsy song from the 18th century)

  • Gypsy caprice

  • Andante cantabile, op. 11 (From the Quartet, ré) / Piotr Ilitch Tchaïkovski

  • Toy soldier's march

  • Recitativo und scherzo-caprice, op. 6

  • Heuberger-Kreisler : Midnight bells (Der Opernball) / Richard Heuberger

  • Caprice viennois, op. 2

  • Praeludium und allegro (In the style of Gaetano Pugnani)

David Oïstrakh, un violoniste virtuose

Violoniste et chef d’orchestre russe (Odessa, 1908 - Amsterdam, 1974)

Bénéficiant d’une permission de se rendre à l’Ouest - chose rare pour un ressortissant de la Russie soviétique - David Oïstrakh a pu faire apprécier au monde sa technique irréprochable associée à des qualités musicales exceptionnelles. Cela lui a valu d’être considéré comme le plus grand violoniste du XXème siècle. David Fiodorovitch Oïstrakh naît d’un père officier dans l’armée et d’une mère choriste d’opéra. Il assiste ainsi très tôt à des répétitions lyriques.David Fiodorovitch Oïstrakh naît d’un père officier dans l’armée et d’une mère choriste d’opéra. Il assiste ainsi très tôt à des répétitions lyriques. A cinq ans, il reçoit son premier violon. Son professeur est Piotr Solomonovitch Stoliarski, dans la classe duquel il fréquente Nathan Milstein. Il n’est pas un enfant prodige, mais très doué, assidu et passionné. De plus, l’environnement culturel très riche d’Odessa le pousse beaucoup dans son développement artistique. Il donne son premier concert en 1923 avec, au programme, un concerto de Jean-Sébastien Bach et les Airs bohémiens de Pablo de Sarasate. Il effectue sa première tournée en Ukraine en 1925, puis quitte le conservatoire l’année suivante. Ses programmations sont osées pour un jeune soliste. Il n’hésite pas à se lancer dans la Chaconne de Bach ou le très difficile Concerto n°1 de Sergueï Prokofiev qui vient d’être créé à Paris en 1923. C’est donc un violoniste déjà expérimenté qui se présente aux grands concours internationaux dans les années 1930. En 1935, il est second au Concours International de Violon Henryk Wieniawski à Varsovie derrière Ginette Neveu. Deux ans plus tard, il remporte le premier prix du premier Concours Eugène Ysaÿe (devenu depuis le Concours musical international Reine-Élisabeth-de-Belgique). 

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, David Oïstrakh s’illustre en se produisant devant les soldats. Il fonde un trio avec Lev Oborine au piano et Sviatoslav Knouchevitskiau violoncelle. Il obtient par la suite le Prix Staline et se voit décerner l’Ordre de Lénine. Sa carrière prend alors une dimension internationale, car le gouvernement soviétique l’autorise progressivement à donner des concerts à l’Ouest. En 1951, il apparaît au festival « Maggio Musicale » de Florence, puis se rend en Allemagne de l'Est pour le festival Beethoven (1952), en France (1953), en Angleterre (1954), et aux Etats-Unis (1955). 

DOCUMENTAIRE David Oïstrakh,
Artiste du peuple ?

Deux extraits du documentaire ci-dessous.

DAVID OISTRAKH 

Bruno Monsaingeon


David Oïstrakh fut l'un des violonistes suprêmes de notre époque. Pour moi, c'est même assez simple: pour ce qui est de l'originalité sonore, de la maitrise instrumentale, de la force de la personnalité musicale, il y a le jeune Menuhin et David Oïstrakh, et puis tous les autres, que les doigts des mains suffiraient d'ailleurs à dénombrer.
Comme avec la voix, il y a dans la nature du violon un élément de résonance mythique, si ce n'est mystique, qui explique l'existence d'une ligne de démarcation radicale entre un nombre extraordinairement restreint de très "grands" violonistes unanimement reconnus comme tels, et quantité d'admirables virtuoses de moindre importance. Cette ligne de démarcation tient en un seul mot: la sonorité; c'est en effet la sonorité qui distingue immédiatement le "grand violoniste. Le son d'un Oïstrakh, d'un Menuhin, d'un Heifetz, d'un Milstein - tout comme celui d'un Ysaye ou d'un Kreisler en des temps plus reculés - est instantanément reconnaissable, ne serait-ce qu'à l'écoute d'une simple corde à vide mise en vibration par l'archet de l'un quelconque de ces maitres. Ce sont eux qui ont marqué l'histoire du violon au 20ème siècle. A l'exception d'Ysaye et Kreisler, ils sont tous d'origine russe et juive, mais David Oïstrakh est le seul à propos duquel on puisse dire qu'il fut un artiste soviétique.

La fascination qu'il a exercée sur moi remonte à mon enfance, et après avoir assisté à une quantité de ses concerts, je l'ai brièvement connu à la fin de sa vie.
Rien de mystérieux donc, si l'on tient compte de mes affinités avec la Russie, à ce que j'aie porté depuis longtemps en moi le projet d'un film sur David Oïstrakh. Sa réalisation fut en effet le fruit d'un processus d'une longueur extravagante, qui commence dès 1979 à Moscou par la recherche (devant par la suite couvrir le monde entier) de documents dont je ne faisais que pressentir l'existence.
L'univers soviétique était encore à l'époque très fermé et soupçonneux, mais un bonne dose d'obstination et quelques contacts personnels solides me permirent de découvrir les portes secrètes d'un labyrinthe bureaucratique qui menait à un véritable trésor dont les gardiens n'avaient aucune idée et à l'égard duquel ils ne manifestaient d'ailleurs pas le moindre intérêt. C'est ainsi que je réussis à réunir une masse de documents destinés à nourrir ce portrait.

Sur la tombe de David Oïstrakh, cimetière Novodievitchi - Moscou

Né en 1908 à Odessa, David Oïstrakh vécut l'époque troublée qui précéda et suivit la Révolution d'octobre, la famine et les guerres, la terreur, l'asservissement de tout un peuple. Comme s'il s'agissait d'un refuge, son art, intense mais serein, n'en parut pas affecté, même s'il dut attendre longtemps une consécration internationale, retardée par la deuxième guerre mondiale et les circonstances politiques de l'après-guerre. Sauvagement utilisé par le régime, l'homme se taisait, abandonnant sa puissante éloquence au seul violon. Je voulais donner la parole à celui qui s'était toujours tu, et pour cela tirer parti de son abondante correspondance où il se révèle si différent de celui du discours officiel qu'on le contraignait à tenir.
C'était là le grand mystère: comment était parvenu à émerger, puis à se maintenir jusqu'à la fin à un niveau de confondante perfection, ce grand artiste et ce personnage généreux qui eut à subir de façon constante les terrifiantes pressions auxquelles l'art de ses pairs de l'ouest aurait sans nul doute succombé?

Le public là-bas ne lui ménageait pas sa gratitude, reconnaissant en lui, au milieu d'un monde essentiellement inhumain et corrompu, quelque chose de pur. Dans ce régime impitoyable, qui reposait sur l'horreur et la persécution, l'homme réussit parfois à transmuer l'effroyable en merveilleux.
Ce sont toutes ces questions qui allaient fournir la dramaturgie du film que j'entreprenais de faire. Outre les éléments d'ordre biographique, illustrés en donnant le sentiment d'une continuité chronologique par les archives très substantielles, encore que parfois désespérément fragmentaires, et pour l'essentiel inédites, que j'avais pu dénicher, il s'agissait en somme de développer parallèlement une série de thèmes principaux et subsidiaires qui s'imbriqueraient les uns dans les autres:

I - Qu'est-ce qu'un "grand" violoniste?
Ce thème serait traité grâce au témoignage de l'un des autres "grands" violoniste du siècle, Yehudi Menuhin, qui avait connu Oïstrakh dès 1945 à Moscou, et qui lui était lié par une de ces profondes amitiés collégiales tellement rares dans un monde musical autrement caractérisé par la férocité des rivalités.

II - David Oïstrakh, l'homo sovieticus.
Comment avaient pu s'épanouir le talent d'Oïstrakh, la perfection sans pareille de sa technique et de son style dans une société d'invraisemblables contraintes et de privations? La musique était-elle un refuge? Que cachait le personnage débonnaire et muet? Pour apporter un élément de réponse à ces questions, je monterais en parallèle des extraits de la correspondance privée du violoniste et certains textes officiels qu'il avait publiés, entre les lignes desquels on détecte les signes occasionnels d'un vrai courage qui donnent une idée, sinon de dissidence, du moins d'un drame personnel intensément vécu et permanent. La verve sarcastique des témoignages de Mstislav Rostropovitch et de Guennadi Rojdestvensky, des artistes déchirés entre leur la loyauté envers la Russie et leur rejet du système, qui appartenaient à une génération plus jeune que celle d'Oïstrakh, mais qui s'étaient souvent produits à ses côtés, serait ici très précieuse.

III - L'homme en famille.
Ici, ce seraient les archives familiales, photographiques, sonores, ainsi que quelques brèves séquences tournées par Oïstrakh en personne à l'aide de sa petite caméra amateur et que j'avais retrouvées, qui pourraient servir de support à l'illustration des propos de son fils Igor, lui-même brillant violoniste.

IV - Le professeur.
Etudiant à Odessa auprès de Piotr Stoliarsky, David Oïstrakh avait reçu en héritage l'enseignement de l'école russe de violon; puis il était devenu à son tour le véritable fondateur de l'école soviétique qui allait par la suite stupéfier le monde musical dans les grands concours internationaux. Son plus illustre disciple actuel, Gidon Kremer, évoquerait de l'enseignement du Maitre.

Le jeu d'Oïstrakh n'était pas tant caractérisé par le brio que par la plénitude d'un legato digne de celui des plus grands chanteurs, le lyrisme, la rondeur du son; l'incroyable morsure de la corde par l'archet, sa netteté, sa clarté; cette capacité d'allonger l'archet sans jamais la moindre tension, cette belle grosse main gauche avec ce beau vibrato capable de varier à l'infini les couleurs. Dans les documents d'époques et d'origines diverses sur lesquels j'avais mis la main et que je comptais utiliser, on était saisi par la contradiction presque tangible entre l'image physique massive de l'homme et l'étonnante qualité de nostalgie de sa sonorité. C'était bien ce que je chercherais avant tout à faire percevoir: la découverte de l'homme secret à travers la grandeur du musicien. Je connais plusieurs sortes de grands violonistes; ceux qui sont calculateurs, qui n'ont guère d'imagination et qui jouent pour l'effet, un effet splendide mais reproductible et parfaitement prévisible; ceux qui s'abandonnent à leur fantaisie, et qui par manque de discipline, se laissent aller à trop de complaisance envers eux-mêmes. Et puis, il y a ceux qui parviennent à trouver un véritable équilibre entre la rigueur et la liberté. Oïstrakh en était le modèle incandescent, une nature totalement pure et intègre.

Bruno Monsaingeon
à propos du film « David Oïstrakh, Artiste du peuple ? »

DOCUMENTAIRE David Oïstrakh, Artiste du peuple ?

Une biographie soviétique

Bruno Monsaingeon a signé un excellent reportage publié en DVD par Medici Arts sur David Oïstrakh.

David Oïstrakh, Artiste du peuple.  Année de production : 1994  Durée : 1 h 16 min

Bruno Monsaingeon né le à Parisvioloniste devenu cinéaste et essayiste, est surtout connu comme réalisateur et producteur de documentaires  consacrés à de grands interprètes ou compositeurs de musique classique.

Résumé

David Oïstrakh (1908-1974) est aujourd'hui considéré comme le plus grand violoniste russe du XXe siècle. On oublie cependant trop souvent, que durant toute sa vie, cet artiste fut contraint de se soumettre aux volontés du régime communiste. Réalisé à partir d'images d'archives et d'interviews, ce film témoigne de l'exploitation politique impitoyable dont fut victime cet immense musicienBruno Monsaingeon a réuni des images rares et émouvantes de David Oïstrakh interprétant différents concertos ou pièces pour violon seul. Les souvenirs de Yehudi Menuhin, Mstislav Rostropovitch et d'autres musiciens qui furent ses proches apportent un éclairage important sur les conditions dans lesquelles il vécut sa carrière internationale : c'est seulement dix ans après la mort de Staline qu'il put commencer à avoir un peu d'autonomie. Au-delà de la biographie, ce film est un document sur la période où l'URSS fabriquait ses artistes et les exhibait à la face du monde comme des instruments de propagande. A sa mort en 1974, la Pravda écrivit : "David Oïstrakh a généreusement offert son talent au peuple, au développement soviétique." De son vivant, il n'eut jamais la possibilité de penser le contraire.

(Mario Fanfani) 

 

Lumières Sur David Oïstrakh

Philippe Delaide 09 MARS 2009

Ce violoniste, dont je garderai le souvenir inoubliable d'un jeu d'une plénitude et d'une générosité sans égal, avec ce son lumineux, solaire, ces attaques franches et d'une densité rare, est abordé dans ce film de 75 minutes au travers d'interviews d'autres grands musiciens russes qui l'ont côtoyé comme Yehudi MenuhinMstislav Rostropovitch ou Guennadi Rojdestvenski. Avec une grande affection et une admiration certaine, un de ses élèves, l'excellent violoniste letton Gidon Kremer, apporte également son témoignage. Le reportage aborde, notamment, la question de l'engagement de David Oïstrakh pour son pays, qui ne pouvait, à son époque, qu'être synonyme de soumission inconditionnelle au parti et son "système" pour reprendre le terme de Rojdestvenski. Véritable musicien dans l'âme, plus que pur virtuose, David Oïstrakh vouera avec sincérité et loyauté, une reconnaissance infinie à sa patrie pour lui avoir permis de se hisser parmi les plus grands violonistes de son époque. Le fait qu'en assumant son statut de musicien russe il ait été contraint d'adhérer au parti quand ce dernier était incarné par le régime stalinien, est une prise de position finalement acceptée, y compris par les musiciens qui avaient, quant à eux, pris l'exil pour le monde occidental, comme Yehudi Menuhin. La citation de Yehudi Menuhin, reprise en exergue du DVD, transcrit bien cette problématique : "Sa loyauté était telle que, alors que je lui ai souvent suggéré de s'installer à l'Ouest car ça aurait été facile, il disait "Non, je dois à ce régime, malgré ses crimes, mon existence, mon éducation musicale. Je reste fidèle à la Russie, au pays, au peuple, quel que soit le pouvoir." Il aurait fait pareil avec le tsar". La façon dont ce dernier parle de David Oïstrakh, même si l'on sent bien qu'il n'aurait jamais accepté de courber l'échine sous un régime totalitaire pour exercer son art, montre tout de même une certaine admiration pour David Oïstrakh, homme sincère, intègre dont l'objectif absolu a toujours de servir la musique. Le titre du reportage est, "David Oïstrakh, musicien du Peuple ?". Ce point d'interrogation résume tout le questionnement que l'on peut avoir sur le rôle social ou politique que ce grand violoniste aurait joué, "malgré lui".Même si ce questionnement est essentiel, il ne doit pas occulter le fait que comme tout soviétique, David Oïstrakh, a vécu au jour le jour la terreur du régime. Il n'en n'a certainement pas autant souffert que Chostakovitch, mais le témoignage de Rostropovitch sur les angoisses quotidiennes de David Oïstrakh face à la menace permanente de milices staliniennes est à ce propose édifiant. Enfin, David Oïstrakh avait aussi son franc parler, y compris à l'égard des plus hautes autorités du pouvoir stalinien, notamment à propos des procès d'intention incessants qui lui étaient faits quand il se produisait en concert en Occident avec Yehudi Menuhin. Pour revenir à ce qui doit être l'essence d'un tel reportage, à savoir la musique, qui a été la vie de David Oïstrakh dès son plus jeune âge, on notera quelques moments forts. Le premier est justement le trop court extrait du mouvement du concerto pour deux violons de JS Bach en ré mineur où David Oïstrakh et Yehudi Menuhin constituent un duo particulièrement fusionnel et dont la complicité, l'écoute mutuelle, l'union sont d'une intensité particulièrement émouvante. J'ai été également saisi par l'éclat, la force exceptionnelle de la saisissante cadence qui suit l'Andante du 1er concerto pour violon en la mineur de Chostakovitch. David Oïstrakh subjugue littéralement l'auditeur avec ce violon qui devient comme un cri de douleur absolu dans la nuit. Ce grand violoniste ressort encore plus attachant de ce reportage qui donne vraiment envie de le réécouter sur le vaste répertoire qu'il a couvert. Malheureusement desservi par des enregistrements de qualité souvent médiocre, on reste frustré de ne jamais avoir eu vraiment l'occasion d'écouter le vrai son de son violon dont la plénitude est si saisissante.

Philippe Delaide 09 MARS 2009

https://lepoissonreveur.typepad.com/le_poisson_reveur/2009/03/lumi%C3%A8res-sur-david-o%C3%AFstrakh.html

David Oistrakh et Vladimir Yampolsky interprètent la sonate « Le Trille du Diable » de Tartini pour violon et piano en sol mineur. Enregistré en 1950, vraisemblablement à Moscou. Il n'y a donc aucun doute sur la provenance de cet enregistrement,

Violoniste David Oïstrakh

David Oïstrakh fut un géant parmi les musiciens du XXe siècle, un violoniste dont le calme et l’attitude impassible cachaient à la fois son génie d’interprète et les conditions particulières de sa vie et carrière en tant qu’artiste soviétique. C’est par la chaleur et la puissance de ton qui émanait de son jeu, ainsi que par sa virtuosité contenue d’interprète qu’il représenta le summum de l’école Russe de violon, et fut source d’inspiration pour de nombreux compositeurs soviétiques contemporains, notamment Prokofiev et Khachaturian. Lors de ses débuts à New York en 1951, il donna la toute première interprétation nord-américaine du Concerto pour violon n°1 de Chostakovitch, et il joua deux mouvements de la Seconde sonate pour violon de Prokofiev à l’occasion de l’enterrement du compositeur en 1953.

  • 1913–26 : Étudie avec Pyotr Stolyarsky dès l’âge de 5 ans jusqu’à la remise de son diplôme de premier cycle (violon et viole) au Conservatoire d’Etat d’Odessa.
  • 1920–29 : Part dans une grande tournée à travers l’Union Soviétique ; fait ses débuts à Leningrad (en 1928) et Moscou (en 1929).
  • 1927 : Glazunov l’invite à jouer son Concerto pour violon à Kiev.
  • 1934 : Obtient un poste d’enseignant au Conservatoire de Moscou.
  • 1937 : Premier Prix du Concours Ysaÿe à Bruxelles.
  • 1939–45 : Joue pour les soldats de première ligne et les travailleurs d’usine, parfois dans des conditions difficiles.
  • 1945 : Yehudi Menuhin lui rend visite à Moscou. Ils se lient d’amitié.
  • 1949 : Première apparition à l’Ouest à Helsinki.
  • 1954 : Nommé Artiste du Peuple de l’USSR.
  • 1953–55 : Première expérience en France, Allemagne de l’Ouest, Grande-Bretagne et aux États-Unis.
  • 1955–74 : Il est très occupé à donner des concerts tant en URSS qu’à l’étranger, ainsi qu’à enseigner, à enregistrer et aussi plus tard à diriger.
  • 1960 : Récipiendaire du Prix Lénine.
  • 1964 : Victime d’une crise cardiaque, il continue néanmoins à travailler dur.
  • 1967 : Chostakovitch lui dédicace son Concerto pour violon n°2.

Vue sur https://www.medici.tv/fr/artists/david-oistrakh/

Fioddor Davidovitch Oïstrakh

L'un des plus grands violonistes du XXe siècle, né à Odessa le 20 septembre 1908 et décédé à Amsterdam le 24 octobre 1974, David Oïstrakh connaît une renommée internationale après avoir remporté le prestigieux Concours Eugène Ysaÿe, futur Concours Reine-Élisabeth de Belgique, en 1937. Connu en Union soviétique où il est formé dès son jeune âge par Piotr Stoliarski, il suscite une attention grandissante pour son aisance à aborder tous les répertoires, de Bach à Bartok ou Glazounov. En 1939 et 1940, Miaskovski et Khatchatourian lui dédient des oeuvres, comme le feront son ami Chostakovitch puis Prokofiev. En raison du pouvoir en place, il doit cependant attendre les années 1950 pour se produire en Europe et aux États-Unis, où ses enregistrements devenus légendaires sont désormais accessibles. Également un altiste reconnu, David Oïstrakh commence une carrière dans la direction d'orchestre en 1959 et décède lors d'une série de concerts qu'il donne à Amsterdam, à l'âge de 66 ans. Il a pour héritier Igor Oistrakh (né en 1931), qui mène une brillante carrière de soliste. Ses plus nobles interprétations sont archivées, suivant les labels, dans les compilations The Great Recordings (2008) et The David Oistrakh Edition (2016).

Fiodor Davidovitch « Dodik » Oïstrakh naît à Odessa, dans l'Empire russe, le 20 septembre 1908. Fils d'un modeste officier de l'armée, musicien amateur et notamment violoniste, et d'une choriste à l'opéra de la ville, David Oïstrakh commence des études musicales au conservatoire dès son plus jeune âge, à cinq ans, après s'être entiché d'un violon-jouet. Il a pour professeur Piotr Stoliarski, qui enseigne également l'instrument à Nathan Milstein et lui apprend à jouer de l'alto. Après des années d'études, il donne son premier récital public en 1923, dans le Concerto en la mineur (BWV 1041) de J. S. Bach. Trois ans plus tard, après une tournée régionale, il sort diplômé du conservatoire et remporte le concours de la ville d'Odessa en jouant le Concerto n° 1 pour violon de Prokofiev, une partition récente et tout juste créée en 1923, qui impressionne le jury sur l'étendue du répertoire abordé par le jeune musicien. L'année suivante, il interprète à Odessa et à Kiev le Concerto pour violon de Glazounov, puis fait ses débuts à Saint-Pétersbourg, alors Leningrad, dans le Concerto pour violon de Tchaïkovski. En 1929, David Oïstrakh donne son premier récital à Moscou, où lui sera proposé cinq ans plus tard une place de professeur de violon à plein temps au conservatoire, qu'il n'honorera qu'en 1939. Entre-temps, son épouse donne naissance en 1931 à leur fils Igor Oïstrakh, qu'il aura pour élève à Moscou et deviendra comme lui un violoniste de renommée internationale. En 1935, après plusieurs succès en concours, en Ukraine et dans l'Union soviétique, il termine à la seconde place du Concours international Henryk Wieniawski à Varsovie, derrière la violoniste française Ginette Neveu. Il se rattrape deux ans plus tard au prestigieux Concours Eugène Ysaÿe de Bruxelles, futur Concours Reine-Élisabeth de Belgique, qui lui laisse entrevoir une carrière internationale. La Seconde Guerre mondiale retarde l'accès à la notoriété mondiale de David Oïstrakh, qui se voit dédié des oeuvres concertantes par les compositeurs Nikolai Miaskovski (1939), Aram Khatchatourian (1940), Kabalevski (1948) et, par Prokofiev en 1944, sa première Sonate pour violon et piano. En 1940, il fonde un trio avec le pianiste Lev Oborine et le violoncelliste Sviatoslav Knouchevitski, qui se produit jusqu'en 1963. En 1942, il reçoit le Prix Staline, dont il reverse la récompense à l'Armée rouge. Désormais professeur au conservatoire de Moscou, il donne des concerts improvisés sur les lignes de front pour soutenir le moral des soldats. En 1947, il est décoré de l'ordre de Lénine. Il lui faut attendre la fin des hostilités pour être autorisé à voyager à l'intérieur du bloc soviétique et en Europe. Invité au festival du Printemps de Prague, il participe en 1951 au Mai musical de Florence, puis se produit l'année suivante au festival Beethoven en Allemagne de l'Est, en France en 1953, en Angleterre en 1954 et, enfin, aux États-Unis en 1955. Les enregistrements de David Oïstrakh, qui commencent à être distribués par différents labels, donnent une idée de l'étendue de son répertoire, allant de J. S. Bach et de l'ère baroque aux compositeurs modernes. Son ami Dmitri Chostakovitch lui écrit deux concertos pour violon, en 1955 et 1967. David Oïstrakh fait une incursion dans la direction d'orchestre en 1959. Il dirige principalement à Moscou et reçoit le Prix Lénine en 1960. En 1967, il collabore avec un autre géant de l'interprétation, son compatriote le pianiste Sviatoslav Richter. Alors que sa santé donne des signes de faiblesse, il est atteint d'un infarctus en 1964, le violoniste ne réduit pas son rythme de travail et continue de donner des concerts. Il est déjà considéré comme l'un des plus grands solistes de son temps lorsqu'il fête ses soixante ans en 1968. Dmitri Chostakovitch lui dédie une nouvelle Sonate pour violon et piano. Le 24 octobre 1974, alors qu'il est à Amsterdam pour diriger un cycle consacré à Brahms au Concertgebouw, il succombe à un infarctus qui lui est cette fois fatal, à l'âge de 66 ans. David Oïstrakh repose au cimetière de Novodevitchi à Moscou, aux côtés de son épouse Tamara, décédée en 1976. En 1994, Bruno Monsaingeon lui consacre un documentaire. Son legs immense, couvrant tout le répertoire du violon, comporte de nombreux enregistrements. Le coffret de 17 CD The Great Recordings rassemble ses meilleures séances distribuées en Europe par le label EMI, tandis que celui de 22 CD The David Oïstrakh Edition, paru en 2016, offre un large panorama de son art pour les labels Deutsche Grammophon, Decca, Philips et Westminster.

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Jascha Heifetz

(1899-1987)

Violoniste russe naturalisé américain 

Enfant prodige d’une exceptionnelle précocité, Jascha Heifetz est rapidement devenu un maître incontesté du violon. Son caractère dur et austère et son exigence légendaire – à hauteur de celle qu’il s’imposait lui-même – ont marqué ceux qui l’ont approché. Il est l’ainé de toute une génération de jeunes prodiges du violon qui compte Nathan Milstein, David Oistrakh, et Yehudi Menuhin.

Iossif Robimovitch Heifetz commence le violon à l’âge de trois ans avec son père Ruben. Deux ans plus tard, il entre à l’Académie Royale de Musique de Vilnius. Il fait sa première apparition en public en 1906 lors d’un récital d’élèves, puis donne son premier concert en 1909 à Kaunas. L’année suivante, il est admis au Conservatoire de St Petersbourg, puis intègre la classe du grand professeur Leopold Auer* en 1911. La même année, il donne un concert à Odessa. Le succès est tel que la police doit le protéger de l’enthousiasme du public, car il n’a que dix ans ! Il fait ses débuts à Berlin en 1912, d’abord lors d’un concert privé devant la presse et des artistes. Dans la foulée, *Arthur Nikisch lui propose de remplacer au pied levé Pablo Casals pour interpréter le Concerto pour violon de Tchaikovski, œuvre qu’il n’a pas encore jouée en public. Le concert est un triomphe. Sa carrière d’enfant prodige doit l’emmener aux Etats-Unis en 1914, mais le voyage est annulé à cause de la Première Guerre Mondiale. C’est la Révolution Russe de 1917 qui va finalement provoquer ce déplacement. La famille Heifetz décide de s’exiler et arrive aux Etats-Unis au terme d’un long périple à travers la Sibérie, le Japon et l’Océan Pacifique. Le 27 octobre 1917, Jascha Heifetz fait des débuts historiques au Carnegie Hall devant un parterre d’artistes comprenant Fritz Kreisler, Mischa Elman, Leopold Godowsky. Deux semaines après ce récital, il réalise son premier enregistrement pour la maison de disques Victor Talking Machine Company (qui deviendra RCA ), entamant une collaboration de plus de 50 ans avec la célèbre firme américaine. Il n’enregistrera que ponctuellement chez EMI et Decca. Après deux années de tournées américaines, il entame la nouvelle décennie par des débuts triomphants à Londres, le 5 mai 1920, puis enchaîne des tournées mondiales, en Australie, en Asie, au Proche-Orient. Sa naturalisation américaine est effective en 1925 et lui permettra, entre autres, de faire en 1934 un retour attendu dans la Russie qu’il a fuie et qui est devenue entretemps l’URSS. En 1953, lors d’une tournée à Jérusalem, il est agressé physiquement par un extrémiste qui lui reproche de jouer du Richard Strauss, compositeur soupçonné de sympathies avec les nazis. Jascha Heifetz, bien que d’origine juive, refuse de céder à des considérations politiques et maintient les programmes qu’il a conçus. En 1958, il entame une carrière d’enseignant à Los Angeles en Californie. Sa carrière prend un tournant. Le rythme des concerts ralentit au cours des années 1960. Toutefois, en 1971, il vient en France pour donner un concert – qui est filmé – avec l’Orchestre National. Il y interprète la Fantaisie écossaise de Bruch tout en dirigeant l’orchestre. 1972 voit sa dernière prestation publique, à Los Angeles. A partir de là, Jascha Heifetz se consacre entièrement à l’enseignement et à la musique de chambre qu’il affectionne depuis longtemps. Il avait fondé un trio à cordes au début des années 1930, avec le violoncelliste Emmanuel Feuermann et l’altiste William Primrose. Puis, au cours des années 1940, il crée un trio avec piano, avec Arthur Rubinstein et le violoncelliste Gregor Piatigorsky. Cette formation sera surnommée par la presse, le « Million Dollar Trio ». Jascha Heifetz a toujours été proche des compositeurs, ceux qu’il a rencontrés comme Chostakovitch, Stravinsky, Schoenberg, et ceux avec lesquels il a développé une véritable amitié comme Glazounov,Prokofiev ou Gershwin. Il est le dédicataire des concertos de Walton, Castelnuovo-Tedesco* et *Korngold. Il a participé à l’effort de guerre américain lors des deux conflits mondiaux, en récoltant des fonds. Il s’est aussi régulièrement produit lors de concerts caritatifs, notamment en France, ce qui lui a apporté le titre d’Officier de la Légion d’Honneur en 1939. Il possédait plusieurs violons prestigieux : un Tononi du XVIIIème, le David * de _Guarnerius, et trois Stradivarius, le *Piel_, le Dolphin, et le Hochstein. Il a été marié deux fois, d’abord avec Florence Vidor en 1925, le fille du cinéaste King Vidor, puis avec Frances Spiegelberg en 1947.

Jascha Heifetz en 6 dates :
• 1909 : premier concert à Kaunas
• 1911 : admis dans la classe de Leopold Auer
• 1917 : débuts historiques au Carnegie Hall de New York
• 1920 : premier concert public à Londres
• 1939 : Officier de la Légion d’Honneur
• 1971 : concert filmé à Paris avec l’Orchestre National

Biographie de Documentation de Radio France, avril

2016  https://www.francemusique.fr/personne/jascha-heifetz

JASCHA HEIFETZ 

« Il y a beaucoup de violonistes et puis il y a Heifetz » (David Oïstrakh). Aucun violoniste depuis Paganini n'avait réussi à provoquer avec la même intensité, et l'enthousiasme ébahi des foules et l'admiration stupéfaite des professionnels. Lorsque disparut l'un des plus éblouissants instrumentistes de l'histoire de la musique, son prestige était resté intact malgré presque quinze années de silence.

Jascha (Iossif Robertovitch) Heifetz naît à Vilna (aujourd'hui Vilnius, en Lituanie) le 2 février (20 janvier, ancien style) 1899 et non 1901, date qui a longtemps été tenue pour officielle. Son père, Ruvim Heifetz, violoniste au théâtre de la ville, ne manque pas de reconnaître et de développer les remarquables dispositions de son fils. À trois ans – si l'on en croit la légende, qui enjolive sans doute bien inutilement les choses –, le jeune Jascha reçoit son premier violon modèle réduit. Ses progrès sont tels qu'il est admis à cinq ans à l'école impériale de musique de Vilna, où il travaille sous la direction d'un pédagogue renommé, Elias Malkin. Un an plus tard, il obtient son premier grand prix. En 1907, le célébrissime Leopold Auer, de passage à Vilna, est à ce point étonné par l'enfant prodige qu'il promet de le prendre comme élève. Le temps de faire ses débuts publics en 1908 à Kowno (aujourd'hui Kaunas) dans le Concerto de Mendelssohn, et voilà notre musicien à Saint-Pétersbourg – ville pourtant interdite aux juifs par la loi –, d'abord dans la classe d'un assistant d'Auer. Rapidement, le maître l'appelle parmi ses élèves personnels. Pendant six ans, Heifetz développe ses dons hors du commun sous l'exigeante férule du sévère pédagogue. Le 30 avril 1911, il donne son premier récital public à Saint-Pétersbourg. Des tournées triomphales mettent la Russie tout entière à ses pieds : à Odessa, l'enthousiasme du public est tel que la police est contrainte d'intervenir. Sa réputation dépasse bientôt les frontières. Leipzig et Vienne le réclament. Le 28 octobre 1912, il interprète à Berlin le Concerto de Tchaïkovski, avec l'Orchestre philharmonique, que dirige Arthur Nikisch. Encore une tournée en Scandinavie (1916) et il quitte le Vieux Continent pour l'Amérique.

Le premier concert de Jascha Heifetz à Carnegie Hall, le 27 octobre 1917, est bien plus qu'une nouvelle victoire, bien plus que la concrétisation des étourdissants débuts d'un virtuose international ; c'est le véritable acte d'adoption d'un tout jeune homme par un peuple avec lequel il va totalement s'identifier. Bientôt sa famille le rejoint et il prend, en 1925, la nationalité américaine. Il se marie deux fois et deux fois il divorce. On le voit devenir vedette de films dont il est l'unique attraction. Bref, il devient plus américain que ces Américains qui ont fait de lui leur idole.

Sa carrière ne connaît guère que des succès éclatants. À chaque apparition publique, on crie au miracle devant la pureté et la perfection de son jeu. Il se produit avec les plus grands chefs, Münch, Beecham, Toscanini, Koussevitzky – avec qui il donne la première américaine du Deuxième concerto pour violon de Prokofiev et en réalise, le 20 décembre 1937, le premier enregistrement mondial –, Reiner, Monteux, Sargent. Il donne des concerts dans le monde entier, jusqu'en Palestine et en U.R.S.S. (1934). Au cours des années 1950, il se consacre à la musique de chambre et, une fois encore, choisit les partenaires les plus prestigieux : Arthur Rubinstein, Leonard Pennario, William Kapell ou Benno Moiseiwitsch (piano), William Primrose (alto), Gregor Piatigorsky ou Emanuel Feuermann (violoncelle). Il écrit des cadences pour le Quatrième Concerto pour violon de Mozart ainsi que pour ceux de Beethoven et de Brahms. Il transcrit et adapte pour son instrument plus de 250 pièces dans un style souvent proche, hélas !, de la « musique de genre » qui sévissait tant à l'époque

Les amateurs ont d'abord été frappés par une virtuosité phénoménale pour l'époque. Le goût de l'exploit technique dévore tout autant l'enfant prodige que l'artiste d'âge mûr. Heifetz n'est-il pas le premier à tenter la gageure, assez vaine il est vrai, d'enregistrer lui-même, en rerecording, les parties solistes du Concerto pour deux violons BWV 1043 de Jean-Sébastien Bach ? Plus révélatrice encore est son extraordinaire maîtrise de l'instrument, la domination totale de l'intelligence et de la volonté sur l'instinct et le cœur. Beecham s'émerveillait de le voir suivre au concert le moindre détail des phrasés choisis aux répétitions et se placer devant le micro à l'endroit précis retenu auparavant. Le jeu de Jascha Heifetz ignore cependant les désordres du génie, la folie irrationnelle de l'inspiration, les élans incontrôlés de la passion. Les dieux lui auront refusé le léger frémissement involontaire, la vibration intime, la confidence chaleureuse ou l'héroïque déclamation qui nous enchantent sous l'archet de Jacques ThibaudGeorges EnescoGinette NeveuAdolf BuschIsaac Stern ou Nathan Milstein. Son royaume est ailleurs, dans un monde où règne sans partage une beauté idéale, née d'un respect religieux de la partition et d'une pureté sonore absolue. C'est une splendeur minérale, alliant l'éclat et les couleurs des pierres précieuses – heifetz signifie « bijou » en hébreu – à la pénétrante froideur du marbre. On en vient à regretter parfois ces petites imperfections techniques, ces glissandos souvent abusifs, ces menues privautés prises avec la musique qui, n'empêchant pas l'esprit de triompher, humanisaient les interprétations. Voilà qui explique sans doute que la musique de chambre n'ait pas été son terrain d'élection. Jascha Heifetz n'est véritablement lui-même qu'au sommet des vagues orchestrales. Mais comment se défendre devant la fascination qu'exerce ce violon-épure, ce son rayonnant d'une énigmatique lumière, ce jeu poussant la pudeur jusqu'aux frontières de l'abstraction ? Atteindre l'immortalité par la désincarnation, tel était le chemin de Jascha Heifetz, l'infaillible.

Pierre BRETON, « HEIFETZ JASCHA - (1899-1987) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 décembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jascha-heifetz/

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