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Publié par J.L.D.

 

« Un homme qui peut marcher au son de la musique militaire n’a reçu son cerveau que par mégarde ; sa moëlle épinière lui aurait amplement suffi. »
Albert Einstein

Gabriel Fauré

Gabriel Fauré, compositeur français. Huile sur toile (1889) de John Singer Sargent. (Collection particulière.) Ph. Jeanbor © Archives Larbor

Epoque Romantique et Moderne

Gabriel Fauré

Sur : https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Gabriel_Faur%C3%A9/119131

INTRODUCTION

L'œuvre de Fauré décrit à travers une soixantaine d'années une extraordinaire ascension : partie de la facilité et du charme, elle atteindra progressivement la grandeur. Cette route est jalonnée par des éléments qui révèlent une vie facile, une carrière brillante et des honneurs, mais aussi par certaines faiblesses physiologiques qui seront sources de souffrances.

Entre ces deux voies et ces deux données se situe le secret de Fauré, un secret qui émane de la personne comme de l'œuvre et sur lequel il n'a lui-même jamais levé le voile. Ce secret s'applique à chaque instant à une œuvre en constante évolution, qui progresse de la séduction à l'austérité. Il n'y a pas à s'étonner que le côté séduisant ait retenu l'attention des mélomanes, en France autant qu'à l'étranger ; il n'y a pas à s'étonner davantage que l'on ne pénètre qu'avec difficulté le temple grec au centre duquel s'inscrit l'œuvre des vingt dernières années. C'est un petit nombre d'intimes, d'élèves et d'amis qui a eu peu à peu la chance de découvrir, de comprendre et d'aimer Gabriel Fauré. Le gros de la troupe passe à côté et ne s'arrête pas. Comment en vouloir à l'Allemagne des Bruckner et des Mahler de ne pas avoir réussi à assimiler le génie fauréen ? En France même, un Debussy ou un Ravel avait d'emblée conquis leur auditoire. Il est certain que plusieurs faiblesses entachent l'effort de Fauré à une époque où le théâtre et la symphonie marquent chez nous de nouveaux progrès. En dépit de la grandeur lyrique de Pénélope, Gabriel Fauré ne peut faire figure de musicien dramatique. Par ailleurs, l'orchestre ne l'attire pas et il n'est pas de ceux qui succomberont à la rutilance et aux ors de la symphonie russe. Le climat dans lequel baigne son œuvre relève d'une confession intérieure.

LA VIE

Gabriel Fauré naît fortuitement à Pamiers, où son père est fonctionnaire. Des dons très certains pour la musique le font envoyer jeune à Paris, à l'école Niedermeyer. Cette école de musique religieuse classique enseigne, à côté de l'écriture et de la musique de clavier, le chant grégorien. Elle a su s'adjoindre des maîtres éminents et, sans faire concurrence au Conservatoire, elle s'attire une clientèle double, qui groupe paradoxalement de futurs organistes et de futurs maîtres de l'opérette.
Fauré entre dans la classe de Pierre Dietsch et dans celle de Camille Saint-Saëns, dont il restera toute sa vie un ami très cher. Il s'essaie fort jeune à la composition, écrivant par exemple, dès cette époque, le Cantique de Racine. Organiste de Saint-Sauveur de Rennes dès 1866, il revient à Paris quatre ans plus tard, pour prendre la tribune de Notre-Dame de Clignancourt. Après la guerre de 1870, il participe à la fondation de la Société nationale, créée par Saint-Saëns et Franck, et il devient accompagnateur au petit orgue de Saint-Sulpice. Il passe également par Saint-Honoré-d'Eylau et devient maître de chapelle de la Madeleine en 1877, église en laquelle son maître Saint-Saëns est encore titulaire du grand orgue. Il semble que se dessine pour Fauré une simple carrière d'organiste, mais notre artiste voit plus loin. Il excelle comme compositeur dans la musique de piano, la mélodie et la musique de chambre. Il s'ouvre à d'autres horizons et voyage. À Weimar, il fait la connaissance de Liszt à l'heure de la création de Samson et Dalila (1877). À Cologne et à Munich, en 1878-1879, il fait la découverte de Wagner. L'étoile de Fauré aux côtés de Franck et de son école (Vincent d'Indy) ne fait que monter ; en 1892, il accepte la charge d'inspecteur des conservatoires de province. Entre-temps, il a épousé la fille du sculpteur Emmanuel Frémiet. Lorsque Théodore Dubois quitte en 1896 la tribune de la Madeleine, c'est lui qui le remplace au grand orgue. Cette même année 1896 connaît des bouleversements notoires dans le monde de l'orgue et de la composition. Les deux classes de composition du Conservatoire sont alors confiées à Charles Marie Widor et à Fauré. Widor, qui a délaissé sa classe d'orgue, sera remplacé par Alexandre Guilmant. Quant à Fauré, il entre pour la première fois dans un sanctuaire… où il n'a jamais fait ses classes. Le succès lui vient peu à peu, tant en France qu'à l'étranger. Fauré est régulièrement accueilli par les Anglais, qui applaudissent en 1898 la musique de scène de Pelléas et Mélisande. Au Conservatoire, il se garde d'imposer d'une manière trop impérative sa façon de voir ou de sentir. Avec libéralité, il sait écouter les uns et les autres, formant une remarquable phalange de musiciens : Maurice Ravel, Louis Aubert, Charles Kœchlin, Nadia Boulanger, Jean Roger-Ducasse, Paul Ladmirault, Florent Schmitt, Raoul Laparra. Tous ces musiciens trouvent à s'enrichir auprès d'un tel maître, et c'est à leur contact peut-être que mûrit le génie de Fauré, qui amplifie peu à peu son œuvre de piano et qui donne ensuite son Requiem (1888), la Bonne Chanson (1892), le duo Pleurs d'or (1896), enfin la grande partition de Prométhée, qu'il allait diriger dans les arènes de Béziers (1900). 

Les premières années du xxe s. marquent un tournant dans la destinée de Gabriel Fauré. Les atteintes d'une affreuse surdité se font alors sentir : Fauré en souffrira de plus en plus jusqu'à sa mort. Pourtant, nommé critique musical au Figaro en 1903, il abandonne deux ans plus tard sa classe de composition au Conservatoire, acceptant la lourde charge de directeur de cette institution. À la suite de malentendus avec les représentants de la Société nationale, il préside en 1909, entouré de ses élèves, à la naissance d'une Société musicale indépendante. Sa santé chancelante l'oblige à passer plusieurs mois hors de Paris. C'est chez des amis suisses qu'il termine, avant la Première Guerre mondiale, sa partition de Pénélope. Dans les dernières années de sa vie, il séjournera plusieurs hivers à Nice ou dans les environs d'Annecy. Il avait été nommé en 1909 membre de l'Académie des beaux-arts. Il délaissera en 1920 la direction du Conservatoire. Jusqu'à la fin de son existence, il demeurera très fidèlement attaché à son maître Saint-Saëns et vivra dans l'intimité de son ami Eugène Gigout, organiste de Saint-Augustin (comme lui, ancien élève de l'école Niedermeyer), dont il avait fait en 1911 le successeur de Guilmant à la tête de la classe d'orgue du Conservatoire.

LA MUSIQUE RELIGIEUSE

Après avoir appartenu plusieurs années à l'école de musique classique et religieuse de Niedermeyer, on était en droit d'attendre de Fauré une grande carrière de musicien d'église. Cette institution avait pris la suite d'une école de musique religieuse autrefois fondée par Alexandre Choron. Fauré s'y trouva plongé dans un milieu qui cultivait le chant grégorien, et il pouvait s'imprégner de cette atmosphère grâce à la lecture du Traité théorique et pratique d'accompagnement du plain-chant, publié par Louis Niedermeyer en 1857, grâce également à la lecture de la revue de ce théoricien, la Maîtrise, fondée en 1857. De fait, Gabriel Fauré sacrifiera toute sa vie au monde modal, et il est bien certain que, si notre jeune artiste a préféré l'art profane à l'art religieux, il a, comme organiste utilisant à chaque instant les thèmes liturgiques, axé tout son langage sur l'exploitation des modes tels que les pratiquaient les musiciens de la Renaissance. Dans le domaine de l'art sacré, il est pourtant des tentatives nobles qui méritent d'être rappelées. Au premier rang de celles-ci se distingue la Messe de Requiem composée en 1887-1888 dont il supprime d'ailleurs le Dies irae, ce qui est dire son aversion pour la grande fresque pittoresque ou les fracas des trompettes du jugement dernier, ce qui est avouer également devant la mort son propos de soulager la souffrance humaine par des méditations toutes de tendresse et de sérénité. Ces dernières qualités conduisent à une certaine facilité qui n'a pas toujours été bénéfique à Fauré. On le juge trop vite sur certains effets produits par de grands chœurs à l'unisson, sur certains soli de baryton (Requiem, Kyrie, Libera). On se laisse prendre par les tournures amollissantes d'un solo de soprano (Pie Jesu), dont les courbes séduisantes cachent pourtant l'articulation d'un beau choral orné. Enfin, le sentiment prévaut pour porter un jugement sur la mélodie liquide qui ouvre et ferme l'Agnus Dei. Le grand Fauré ne réside pas là, mais dans l'imploration ferme et spontanée du Libera, dans les ultimes et attendrissantes mesures de l'In paradisum et surtout dans la triple ascension polyphonique de l'Offertoire (O Domine). Ajoutons à ce Requiem quelques motets à voix seule ou à deux voix (Maria mater gratiae) et une Messe basse pour voix de femmes et mezzo solo (1907).

L'ŒUVRE POUR LE PIANO

Gabriel Fauré entreprend son œuvre pour le piano à l'heure où cet instrument vit de deux sources en France : une source étrangère, qui a été continuellement fécondée par les tournées de concerts qu'accomplissent chez nous virtuoses germaniques, italiens ou slaves ; une source purement française, qu'alimente un courant moins impétueux et qui tente depuis 1830 de se frayer un chemin évoquant la tradition. Voici d'une part les sonates, valses, impromptus, études, préludes et nocturnes, caprices de Beethoven, de Schubert, de Schumann, de Mendelssohn, de Chopin et de Liszt ; et voici d'autre part les sonates, variations, pièces pittoresques, préludes, suites, toccatas d'Étienne Méhul, d'Adrien Boieldieu, de Charles Valentin Alkan, de Pierre François Boëly, de Saint-Saëns et d'Emmanuel Chabrier. Le choix que va faire Fauré entre ces deux mondes par le truchement de son piano nous indique déjà quelles directions il entend prendre et imposer à sa muse.

Tout en ayant été élevé par Saint-Saëns dans l'amour et le respect des maîtres classiques (Rameau, Haydn, Mozart, Beethoven), Fauré emprunte à la nomenclature du romantisme les termes de valse, caprice, nocturne, barcarolle, impromptu, romance ; mais, à l'heure où Chabrier ouvrira par le piano les voies à l'impressionnisme (Impromptu et dans les Pièces pittoresques : Idylle, Sous-bois, etc.), Fauré confie au clavier des poèmes qui excluent toute évocation de l'homme et de la nature, et qui se contentent de recherches d'ordre sonore.

Il y a deux grandes périodes dans l'histoire des cinquante pièces que Fauré a confiées au piano. La première, qui relève encore un peu de la musique de salon, s'ouvre vers les années 1880 pour se clore en 1894. La seconde, qui part du Sixième Nocturne, témoigne d'une maîtrise et d'une grandeur dont il faudra tenter de déterminer les causes.

Mis à part les quatre valses-caprices, qui datent de la première période et qui empruntent leur ossature à certains textes de Chopin, Fauré entreprend dès ces années (1880-1894) ses deux grands cycles de nocturnes et de barcarolles. Il y faut joindre les trois premiers impromptus. Toutes ces pages se présentent non pas comme des essais, mais comme des pièces très travaillées quant à leur architecture : premier thème, pont, deuxième thème, retour au premier thème, évocation du second thème en guise de coda. Les motifs obéissent à une certaine fluidité, englobés ou enrichis de maints arpèges un peu faciles ; mais la musique court avec élégance pour satisfaire les auditeurs privilégiés réunis autour du piano. La cinquantaine arrivée, tout en gardant parfois la même articulation, Fauré change sa manière : thèmes plus contractés, polyphonie plus élaborée, harmonie beaucoup plus recherchée ; une pensée souvent tourmentée se cache derrière un appareil classique de forme parfois brillante et qui renonce à tout ce qui n'est pas essentiel pour aboutir à un aveu se passant des effets charmeurs d'autrefois. Utilisant toutes les ressources du piano, Fauré atteint la maîtrise avec le Sixième et le Septième Nocturne, la Cinquième Barcarolle et le très célèbre Thème et variations, ouvrage dans lequel le lyrisme ne cède jamais à la polyphonie et où la subtilité peut conduire à la grandeur. La grandeur dans l'espoir, ou le désespoir dans le dépouillement, dans les effets de puissance, ou dans l'extrême simplicité du langage, voilà ce qui marque et qui unit toutes les pièces publiées depuis 1908 jusqu'à 1922, notamment les neuf préludes (1910) contemporains de ceux de Debussy, les cinq derniers nocturnes, les cinq dernières barcarolles. Il y faut joindre le Cinquième Impromptu, de couleur modale et debussyste. On ne saurait enfin passer sous silence la très juvénile Ballade écrite pour piano en 1881 et transcrite immédiatement pour piano et orchestre.

À cette œuvre de jeunesse un peu facile s'oppose l'elliptique et admirable Fantaisie pour piano et orchestre, œuvre de la grande maturité (1919). Il est dommage que ce répertoire soit souvent méconnu des virtuoses, car son caractère secret et intimiste lui fait du tort au premier abord, et il faut, certes, se donner la peine de questionner plus avant ces partitions pour en découvrir la substance.

LA MUSIQUE DE CHAMBRE

Elle offre également deux visages ; elle se développe au cours de deux périodes que séparent toujours les années charnières des xixe s. et xxe s. C'est une certaine amabilité, une grande élégance de plume- elle ne dédaigne pas la suavité- qui caractérise la première sonate de piano et violon (1876) et les deux quatuors avec piano (1879-1886). Il est à remarquer que la première de ces trois partitions, rendue si célèbre par les grands virtuoses qui l'ont interprétée, depuis Eugène Ysaye, dans le monde entier, ouvre toute la série des sonates piano et violon françaises, depuis César Franck jusqu'à Claude Delvincourt en passant par Vincent d'Indy, Guy Ropartz, Albéric Magnard, Guillaume Lekeu, Debussy, Ravel, Roussel, etc.

À titre de transition, entre les œuvres de jeunesse précitées et celles de la maturité, Fauré s'essaie à un Premier Quintette, qui sait joindre l'intériorité à l'éclat.

C'est dans les sept dernières années de sa vie que Fauré songe de nouveau à enrichir le répertoire de la musique de chambre. Soulignons que cette seconde série commence par une magnifique et intellectuelle Sonate de piano et violon, à laquelle répond (1917-1918) la Première Sonate pour piano et violoncelle. Robustes, chantants, mais dépouillés quant à l'écriture, ces deux chefs-d'œuvre donneront naissance au Deuxième Quintette (1921), à la Deuxième Sonate pour piano et violoncelle (1922), au Trio pour piano, violon, violoncelle (1923), enfin au Quatuor à cordes (1924) que Fauré léguait à ses élèves en les priant de le faire disparaître s'ils ne le jugeaient pas digne de ses œuvres antérieures. Il y a là toute une floraison de textes écrits par un homme sourd, qui ne renie pas les bienfaits de la polyphonie et qui, à travers des méandres sinueux dont l'horizontalité n'offre aucun caractère pédant, cherche à vaincre la difficulté, même et surtout s'il faut atténuer les effets du charme.

LES MÉLODIES

C'est malheureusement ce charme encore qui distingue les premières mélodies écrites par l'organiste sortant de chez Niedermeyer. Car, dès 1865-1870, Fauré s'applique à cet art si difficile qui consiste à envelopper de notes un texte littéraire. C'est pourtant un art qui remonte à la chanson populaire, à la ballade aristocratique du Moyen Âge, à l'air de cour, puis à l'air sérieux du xviie s. En marge de l'art dramatique, les choses se sont gâtées au xviiie s. : sous prétexte d'élégance légère, la facilité règne sur la brunette, puis la romance larmoyante l'emporte, qui emprunte son cadre au rondeau. Loin du lied allemand sombre ou très proche du peuple, la mélodie française, à l'époque romantique, exploite soit la forme grandiloquente de la ballade germanique (Berlioz, Niedermeyer, Henri Duparc), soit un type de romance améliorée tel que Gounod, puis Saint-Saëns, Bizet et Massenet vont en signer des dizaines à destination des salons de Paris. Fauré accepte ce modèle. Mais, comme il ne sait pas toujours choisir de bons textes et que la mélodie coule avec trop d'aisance dans son cœur, il vient à composer pour la voix trois recueils (vers 1865-1870, vers 1880-1887, vers 1888-1905) dont on peut dire qu'ils vont en s'améliorant du point de vue qualitatif, s'il met plus de raffinement à choisir ses poèmes. De cette moisson, bien des titres restent dans toutes les mémoires (Lydia, Après un rêve, Au bord de l'eau, les Mélodies « de Venise », Poème d'un jour, Automne, Cinq Berceaux, le Secret, Clair de lune, Prison, Soir, le Plus Doux Chemin). Fauré a tenté d'écrire en outre des cycles de mélodies, dont le premier (la Bonne Chanson, Verlaine, 1892) et le dernier (l'Horizon chimérique, Alexandre J.-J. de La Ville de Mirmont, 1922) demeurent, grâce à leur prosodie, leur romantisme raffiné ici, leur dépouillement jusque dans le lyrisme là, les modèles du genre. Il faut voir dans la Bonne Chanson comme un vaste poème vocal, dont l'unité relève de trois thèmes à peine affirmés : cycle qui ne saurait faire oublier la grandeur, la nouveauté de la Chanson d'Ève, et de Mirages. Dans toutes ces mélodies, le piano demeure le compagnon indispensable de la voix, soit qu'il développe des arpèges subtils, soit qu'il autorise une série d'accords modulant sans cesse et dont les dissonances secrètement cachées se noient en des consonances bienfaisantes.

LA MUSIQUE DE SCÈNE ET LA MUSIQUE DRAMATIQUE

Il y a là encore deux Fauré : l'un qui admet toujours un art léger, élégant, charmeur, qui hésite entre la danse et la confession lyrique, et l'autre qui va beaucoup plus loin dans la peinture des passions. Ici ou là, ce n'est pas l'orchestre qui brille, mais une sorte de pulsation spontanée à quoi concourt aussi bien la souple polyphonie que le langage harmonique. Les partitions de musique de scène demeurent des modèles de style, notamment celle qui est écrite pour le Caligula de Dumas fils (1888, avec chœurs), celle qui est destinée au Shylock d'Edmond d'Haraucourt (1889), celle, déjà citée, de Pelléas et Mélisande (Maeterlinck, 1898), dont le Prélude demeure l'une des plus belles pages de Fauré, celle enfin de Masques et Bergamasques (1919), qui évoque un décor de Watteau.

En revanche, lorsque Fauré rencontre le Prométhée d'Eschyle, il parle le langage des forts, appuyé par un immense orchestre. Cet oratorio mythologique mêlant le parlé et le chanté se pare de l'éclat des cuivres et des accents multipliés de chœurs tragiques : l'enchaînement de Prométhée, les plaintes de Pandore, le chœur des Océanides, autant de pages d'un lyrisme vigoureux et d'une plénitude wagnérienne.

La tragédie joue un moindre rôle dans Pénélope, et il faut voir dans cet opéra écrit sur un texte assez faible de René Fauchois comme une immense ode à la fidélité : parmi ces pages significatives, signalons l'arrivée d'Ulysse sous les haillons du mendiant transfiguré par l'amour, la chaleur qui émane du tableau d'Eumée, la violence concise du troisième acte, réservé aux prétendants de Pénélope, qui mesurent chacun leur force. Le thème d'Ulysse, avec son double appel d'octave, s'insinue peu à peu dans tous les rouages de la partition, thème de l'amour fidèle dont Fauré, par lambeaux, imprégnera toutes les pages d'art instrumental qui lui resteront à écrire.

L'ART DE FAURÉ

Si les mots classicisme et romantisme peuvent avoir encore un sens, on peut prétendre qu'en pleine période du postromantisme il est peu de maîtres à l'image de Fauré qui allient ces deux conquêtes, ces deux états d'esprit. En effet, Fauré n'oubliera jamais la leçon que lui a enseignée son maître Saint-Saëns, et qui est faite d'une admiration spontanée pour un art fait d'élégance et d'équilibre, celui de Haydn, Mozart, Couperin et Rameau, et d'une pratique journalière de Beethoven. Mais, pour avoir rencontré Mendelssohn, Chopin et Schumann, il reste attaché à un romantisme qui tourne le dos à celui de Berlioz pour sa discrétion et pour l'intimisme dont il marque son message. Sans toucher à l'impressionnisme cultivé par les contemporains, il poursuit un rêve difficile, celui qui consiste à trouver une synthèse entre la forme, les lignes polyphoniques des traditionalistes et l'émouvant lyrisme du monde germanique et slave. Un autre propos distingue son art : toucher par les moyens les plus simples, aller à l'essentiel, à la brièveté, délaisser ce qui se voit trop au profit de ce qui se sent et, pour cela, utiliser des procédés subtils relevant du monde de l'harmonie, jouer de l'équivoque entre le ton et le mode, ne pas accuser les plans, mais les laisser deviner, rester attaché à la pudeur d'une grâce latine, voire hellénique, fuir la lourdeur de l'écriture pour atteindre la densité de la pensée.

Comprendre Fauré suppose intelligence et sensibilité, car cet art de la qualité s'adresse moins à la masse qu'à l'élite. Le plus grand mérite de l'homme est d'avoir compris qu'il y avait lieu, en cours de route, de délaisser les tentatives charmeuses de la jeunesse pour atteindre, à travers des chemins secrets et parfois douloureux, à une perfection lyrique voilée de mystère.

Sur : https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Gabriel_Faur%C3%A9/119131

FAURE Gabriel
(1845-1924)

Par Philippe Hussenot Publié le : 07/12/2018 Modifié le 05/08/2022 sur : https://www.radioclassique.fr/compositeurs/gabriel-faure/biographie/

Gabriel Fauré n’a pas composé qu’un Requiem ! Il est vrai que cette œuvre universelle est devenue sa carte de visite. S’il a longtemps été marginalisé par les autorités académiques de la fin du XIXème siècle, Fauré a finalement accédé à des fonctions prestigieuses. Il a soutenu les compositeurs en rupture de ban comme Ravel ou certains membres du Groupe des Six. Et sa musique reste emblématique de la « mélodie française ».

Gabriel Fauré en 10 dates :

  • 1845 : Naissance à Pamiers (Ariège)
  • 1854-1865 : École de musique Niedermeyer (Paris)
  • 1870 : Engagé volontaire dans l’armée
  • 1875 : Première sonate pour violon et piano
  • 1887 : Pavane (composition)
  • 1888 : Première exécution du Requiem à la Madeleine
  • 1893 : La Bonne chanson, cycle de mélodies sur des poèmes de Verlaine
  • 1905 : Nomination à la direction du Conservatoire
  • 1913 : opéra Pénélope créé à Monte Carlo
  • 1924 : Mort à Paris

Organiste d’église, Fauré se forme à l’école Nidermeyer à Paris

Né bien loin de Paris, à Pamiers en Ariège, Gabriel Fauré a mis du temps à se faire connaître. Il est formé à l’école Niedermeyer, qui prépare surtout à devenir organiste dans les églises. Ses premiers postes sont modestes : Saint Sauveur de Rennes pendant quatre ans, puis Notre Dame de Clignancourt. Pendant la guerre de 1870, il est engagé volontaire. Après l’armistice, il est nommé à Saint Honoré d’Eylau dans le 16ème arrondissement de Paris. Proche de Saint Saëns, qui a été son professeur de piano et avec qui il donne des récitals, il participe à la fondation de la Société nationale de musique (SNM) qui réunit des musiciens voulant défendre la musique française contre la domination de la musique allemande. En 1877 il est nommé maître de chapelle à la Madeleine, où il restera jusqu’en 1905, tenant l’orgue dans toutes les grandes cérémonies et y créant son Requiem en 1888.

Le Requiem de Fauré, une vision apaisée de la mort

Après le Cantique de Jean Racine, Fauré se concentre un moment sur la musique religieuse
À vingt ans, il compose le Cantique de Jean Racine, une œuvre chorale avec orgue, dont la mélodie poignante annonce ses futures œuvres de musique sacrée (Tu es Petrus, Tantum ergo, En prière, Salve Regina, Ave Maria, Requiem…). Toute sa vie, Fauré gardera un œil sur son Cantique de jeunesse et cherchera à corriger certains détails. Une Messe basse est composée dans sa première version en 1881, sous le nom de Messe pour les pêcheurs de Villerville, puis plus tard en 1907 dans sa version définitive

Ses chefs-d’œuvre : la Première Sonate pour violon et piano et le Requiem

​​​​​​​Parmi ses nombreuses œuvres de musique de chambre (Trio, Quatuor à cordes, Quintettes avec piano, ou encore ses 2 Sonates pour violoncelle et piano), arrêtons nous sur sa première Sonate pour violon et piano. Composée à 30 ans, elle est considérée aujourd’hui comme une œuvre majeure du répertoire. D’un lyrisme tempéré, sans recherche particulière de virtuosité pour le violon, c’est une sonate plutôt sobre qui séduit par ses longues phrases mélodieuses, la signature même de Fauré.​​​​​​​

Philippe Hussenot Publié le : 07/12/2018 Modifié le 05/08/2022 sur : https://www.radioclassique.fr/compositeurs/gabriel-faure/biographie/

Sonate pour violon et piano n°1 (Bomsori Kim au Concours Wieniawski, 2016)

On sait que Fauré n’a pas conçu son Requiem comme dramatique mais plutôt comme une œuvre paisible de « confiance dans le repos éternel », selon ses propres termes. Il ne comporte d’ailleurs pas de Dies irae. Et sa dernière partie In Paradisum, chantée par un chœur féminin, est une montée sereine et sublime vers la vie éternelle… bien que Fauré se soit toujours dit athée. Créé à la Madeleine, le Requiem sera souvent joué lors de cérémonies officielles, et en grande formation symphonique au Trocadéro pour l’Exposition universelle de 1900.

Avec ses Nocturnes, Barcarolles et autres Préludes, le piano est bien représenté

La liste est longue de ses pièces pour piano, depuis ses Romances sans paroles (1863) jusqu’au Treizième nocturne (1921). Techniquement, elles ne sont pas aussi faciles à jouer que certains pourraient le croire. Ambidextre, Fauré donnait souvent à la main gauche des doigtés compliqués. Liszt, qu’il a connu à Weimar, lui en a d’ailleurs fait la remarque ! Barcarolles et Nocturnes constituent la plupart de ses pièces, l’ultime Nocturne opus 119 exprimant finalement une sorte de résolution de toutes ses créations précédentes, avec beaucoup de notes graves et un contrepoint qui semble toujours répondre à une main droite tentée de prendre sa liberté et d’imposer son discours. Fauré s’impose aussi comme un maître de la mélodie française
Les mélodies pour voix et piano sont aussi nombreuses que les pièces pour piano seul. Chantées dans les salons, à une époque où la musique se pratiquait aussi chez soi pour quelques amis, elles ont bien contribué à la notoriété de Fauré. Les Berceaux, Clair de lune, ou le cycle La Bonne chanson, on y suit l’évolution du compositeur vers plus de complexité harmonique au fil du temps. Pablo Casals transcrira Après un rêve pour violoncelle et piano.

Philippe Hussenot Publié le : 07/12/2018 Modifié le 05/08/2022 sur : https://www.radioclassique.fr/compositeurs/gabriel-faure/biographie/

Les obsèques nationales à Paris

Le 4 novembre 1924 Gabriel Fauré décède à Paris. Des obsèques nationales lui sont données devant une foule plutôt impressionnante pour un musicien réputé élitiste. Devant l’église de la Madeleine on se bouscule pour entendre les discours officiels puis le Requiem. Très discret pendant sa vie, Fauré n’a guère parlé de sa surdité qui l’a pourtant handicapé pendant les vingt dernières années, sans toutefois l’empêcher de composer jusqu’à la fin. Son œuvre ultime est son Quatuor à cordes, dont il a longtemps repoussé l’idée par respect pour Beethoven, et qui ne sera créé qu’après sa mort.

Professeur au Conservatoire de Paris en classe de composition, Fauré a souvent soutenu ses nombreux élèves, les encourageant à tracer leur propre chemin. Il n’est pas sûr que Maurice Ravel aimait vraiment la musique de Fauré, qui en retour a parfois critiqué certaines pièces de son élève. Mais Fauré l’a soutenu dans son combat pour se libérer du carcan académique. Et c’est bien Ravel qui a demandé à Fauré de présider la nouvelle Société de musique indépendante (SMI), créée en 1909 en opposition à l’ancienne Société nationale de musique (SNM). Une nouvelle génération de compositeurs a pris alors son envol, dont Florent Schmitt, Albert Roussel et Jacques Ibert.

Philippe Hussenot Publié le : 07/12/2018 Modifié le 05/08/2022 sur : https://www.radioclassique.fr/compositeurs/gabriel-faure/biographie/

Gabriel Fauré, un monument de la musique française :

Découvrez sa vie à travers ses morceaux les plus célèbres !

Par David Abiker
Publié le 17/03/2023  Modifié le 17/03/2023

Sur :

https://www.radioclassique.fr/histoire/gabriel-faure-un-monument-de-la-musique-francaise-decouvrez-sa-vie-a-travers-ses-morceaux-les-plus-celebres/

Demandez le programme vous propose de parcourir en musique la vie de Gabriel Fauré. Si le créateur de La Pavane a mené une vie plutôt rangée, il a été très inspiré par ses rencontres féminines et ses déceptions amoureuses. Découvrez le parcours d’un des plus grands compositeurs français du 20ème siècle !
 

La Sonate pour violon et piano n°1 , sera sa première grande pièce de musique de chambre

Gabriel Fauré est un monument de la musique française. Compositeur, organiste, directeur du Conservatoire de Paris, Fauré c’est la mélodie, l’harmonie, l’équilibre. Il naît un 12 mai 1845 en Ariège. Fauré se passionne pour la musique religieuse qu’il étudie, dès l’âge de 9 ans. C’est à Paris qu’il devient organiste, se forme auprès des chefs de chœur et des maîtres de chapelle et bien sûr auprès de son mentor Camille Saint-Saëns. En 1865, il obtient le premier grand prix de composition, il a 20 ans et livre au jury le fameux Cantique de Jean Racine. À 25 ans, Fauré s’engage dans la guerre de 1870 pour lever le Siège de Paris. Il quitte ensuite la France et se tient à l’écart pendant les combats de la Commune de Paris. Il enseigne ensuite à l’école Niedermayer ou il a été scolarisé enfant. Il rentre à Paris en 1871, où il retrouve Camille Saint-Saëns, fréquente les salons et rencontre les musiciens français de son époque : Henri Duparc, César Franck, Jules Massenet et d’autres. Ensemble, ils créent la Société nationale de musique, toujours sous l’égide de Camille Saint-Saëns qu’il remplace désormais de temps à autre aux grandes orgues de la Madeleine. C’est à cette époque qu’il compose sa première grande pièce de musique de chambre : la Sonate pour violon et piano n°1.

En 1877, Fauré devient maître de chapelle à l’église de la Madeleine. Fiancé un temps à la fille de Mme Viardot – dont il a fréquenté le salon – celle-ci rompt les fiançailles. Fauré est mortifié mais inspiré, il compose une mélodie intitulée Après un rêve, inspirée par ces vers : « Dans un sommeil que charmait ton image, je rêvais le bonheur, ardent mirage ». Inspiré par son chagrin d’amour, mais néanmoins malheureux, Fauré part à Weimar où il rencontre Liszt, en Allemagne. Il assiste à une représentation du Ring des Nibelungen de Richard Wagner. Il est bouleversé par son voyage, par la musique et revient en France pour composer son Quatuor n°1 pour piano. À quoi ressemble Gabriel Fauré vers 1880 ? Il est brun, mais commence à grisonner sérieusement. Pourvu d’une moustache, d’un regard franc, des traits réguliers, le compositeur a du charme. Ses élèves l’apprécient, il est calme, indépendant, s’entend avec tout le monde. Musicien installé dans le monde de la musique française, il côtoie les plus doués de son temps. Il a déjà prouvé ses talents d’organiste, c’est un excellent mélodiste et a son propre style. Il va rencontrer Marie Frémiet, fille d’un sculpteur, elle a un joli regard, un nez fin et long comme dans un tableau de Modigliani. Ils auront deux enfants. À cette époque, il compose sa Berceuse pour violon qu’il arrangera pour de nombreux instruments.

Le curieux destin de la célèbre Sicilienne de Gabriel Fauré

En 1883, Fauré épouse Marie Frémiet sans enthousiasme, mais il n’est plus seul. À cette époque, il donne des leçons et assure les services quotidiens à l’église de la Madeleine. En 1886, Fauré fait la connaissance de la comtesse Greffulhe qui va soutenir son travail. C’est grâce à Robert de Montesquiou qu’il rencontre cette comtesse. Une rencontre qui marque une nouvelle étape dans l’inspiration créatrice de Fauré. Cette à cette époque qu’il compose son Requiem, qui est créé le 16 janvier 1888 à la Madeleine. Voilà ce qu’en dira le compositeur plus tard : « Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir, si j’ose dire ! Il a été exécuté pour la première fois à la Madeleine, à l’occasion des obsèques d’un paroissien quelconque ». Il ajoute : « peut-être ai-je aussi, d’instinct, cherché à sortir du convenu, voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrement ! J’en ai par-dessus la tête. J’ai voulu faire autre chose ». En 1892, Fauré devient inspecteur des Conservatoires de musique en province. Fini les leçons chronophages qui l’ont parfois fois obligé à sacrifier la composition. En 1896, il est nommé organiste en chef à l’église de la Madeleine et succède à Jules Massenet comme professeur de composition au Conservatoire de Paris. Il aura pour élève Maurice Ravel et Nadia Boulanger. 1896 est l’année de composition de la suite pour orchestre intitulée Dolly. Pourquoi Dolly ? Tout simplement parce que c’est le surnom d’Hélène, la fille d’Emma Bardac, qu’épousera quelques années plus tard Claude Debussy. En 1898, Fauré compose sa célèbre Sicilienne qui va connaître un destin curieux. Au départ, la musique est destinée au Bourgeois gentilhomme puis est utilisée pour Pelléas et Mélisande, elle est ensuite arrangée pour flûte et piano et enfin pour harpe seule.

En 1903, Fauré devient critique au Figaro. Il a 58 ans, et signera des critiques musicales jusqu’en 1920. Saint-Saëns lui dira qu’il manquait d’ambition. Il avait raison, mais Fauré fait sa place et prend même la direction du Conservatoire de Paris en 1905. Fauré est un professeur adoré de ses élèves, mais comme directeur, il en va tout autrement. Il remet de l’ordre et de la discipline au conservatoire et bien sûr, on lui en veut. On lui reprochera même de ne pas avoir obtenu le prix de Rome. Depuis quelques années, il perd l’audition : le compositeur entend les graves, mais pas les aigus. C’est dans ces conditions qu’il compose son premier Quintette pour piano et cordes. Nous sommes en 1906.

A 75 ans, Gabriel Fauré reçoit la Grand-croix de la Légion d’honneur

Le compositeur est désormais un notable des arts et de la culture. En 1909, il est élu à l’Institut de France. De plus en plus sourd, il compose difficilement. La cantatrice Claire Croiza rapporte : « Fauré était un vivant métronome. C’était d’autant plus frappant à la fin de sa vie, quand il était devenu sourd. Avant, il était galant homme, il aimait les jolies femmes, il faisait quelques concessions. Mais à la fin de sa vie, quand il n’entendait plus, il allait son chemin, impeccablement, sans se douter que la chanteuse avait quelquefois deux ou trois mesures d’écart avec lui parce qu’elle ralentissait tandis que lui restait fidèle au mouvement ». Lorsque éclate la Première guerre mondiale, Fauré a 69 ans.

En 1920, à 75 ans, il prend sa retraite du Conservatoire et reçoit la même année la Grand-croix de la Légion d’honneur. Il compose alors ses derniers chefs-d’œuvre : Le cycle de mélodie, L’horizon chimérique, Les seconds quintettes et sonates pour piano et violon, Le trio et le quatuor à corde, la Barcarolle n°13, son ultime pièce pour piano. Fauré termine sa vie avec des problèmes de santé. Il fume trop. Il ne compose plus, mais reste attentif au travail de la nouvelle génération. Il meurt le 4 novembre 1924 d’une pneumonie. Fauré est l’un des plus grands compositeurs français du 20ème siècle avec Ravel et Debussy. Il dira : « Pour moi, l’art, la musique surtout, consiste à nous élever le plus loin possible au-dessus de ce qui est ».

David Abiker et Camille Taver  Sur https://www.radioclassique.fr/histoire/gabriel-faure-un-monument-de-la-musique-francaise-decouvrez-sa-vie-a-travers-ses-morceaux-les-plus-celebres/

Fauré Gabriel

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«Gabriel Fauré est né en 1845, à Pamiers, petite ville du midi de la France. Il est mort à Paris en 1924. Dès l'âge de neuf ans, on lui trouve des dons remarquables pour l'improvisation, à quoi il se livrait avec frénésie sur l'harmonium de la chapelle de Montgauzy, non loin de Foix, où il commença son éducation. Sur le conseil d'une vieille dame, aveugle et fort bonne musicienne, et qui l'écoutait assidûment, ses parents l'envoyèrent à l'École Niedermeyer, à Paris, où il devint, quelques années plus tard, l'élève de Saint-Saëns.

Sa vie a été tout le contraire d'un roman d'aventures, ce qui dérange la croyance populaire que la vie des grands artistes est plus ou moins dévergondée. Il fut organiste à la Madeleine de Paris, inspecteur de l'enseignement musical aux Beaux-Arts, critique musical au Figaro, professeur de composition au Conservatoire de Paris, plus tard directeur de ce même Conservatoire, enfin membre de l'Institut de France. Il a vécu assez longtemps pour goûter les douceurs de la gloire, et il était célèbre depuis plusieurs années quand il est mort.

Au Conservatoire de Paris, il a formé de nombreux disciples. Depuis le passage de César Franck à cette école aucun autre maître n'a été aussi religieusement et amoureusement écouté. C'est que Fauré avait une attirance et un charme extraordinaires. Ses élèves l'adoraient. Parmi ces disciples brillants, on relève les noms de Maurice Ravel, Florent Schmitt, Louis Aubert, Roger Ducasse, Henri Février, Charles Koechlin, Paul Ladmirault, Nadia Boulanger, Georges Enesco, Raoul Laparra, Grovlez, d'autres encore.

Un musicographe français, Louis Laloy, a écrit quelque part que c'est par Fauré que la renaissance de la musique française a commencé au XIXe siècle. C'est lui, en effet, qui, un des premiers, a bouleversé les vieux systèmes où ,l'on manquait d'air et qui a soumis la musique «aux lois non écrites des belles lignes et des mouvements harmonieux ». En parlant de l'idéal d'un musicien français, Fauré n'a-t-il pas défini lui-même sa propre manière et son esprit? Cet idéal, dit-il, c'est « le goût de la clarté dans la pensée, de la sobriété et de la pureté dans la forme ». Ce sont précisément les lignes essentielles de l'art fauréen.

C'est un art de poésie, d'images et de formes sensibles. C'est un art de sentiment, de nuances subtiles, et qui ne choque jamais. Un art tendre, délicat, mais vigoureux aussi. Des harmonies chaudes, mais discrètes, séduisantes et fuyantes, ombrent avec un extrême raffinement la tonalité générale de cette musique. Et c'est quand ce jongleur semble le plus éloigné de la tonalité qu'il en est le plus rapproché. Un tour de note, et nous voilà dans le ton initial. Telles Barcarolles, tels Nocturnes, telles mélodies sont autant de pages parfaitement équilibrées et qui enchantent à la fois l'esprit et le cœur.

Les mélodies de Fauré comptent parmi les plus belles et les plus rares transpositions d'une expression poétique dans une forme musicale. Quelques mesures lui suffisent pour exprimer l'esprit et le sens d'un texte, et tels poèmes de Samain, de Baudelaire, de Théophile Gautier et de Van Lerberghe, mis en musique par ce magicien, ont une transparence, une originalité, une flexibilité, une tendresse et un charme jusque-là inconnus. Le plus beau mariage de la poésie et de la musique, il semble bien que Fauré et Verlaine l'aient consommé. Ici, la fusion est parfaite.

Dans une mélodie de Fauré, le piano et le chant ont un rôle égal. Il n'est plus question d'accompagnement, mais d'union intime et totale entre le chant et le piano. Des mélodies comme Nell , Automne, Les Berceaux, le Nocturne, le célèbre Clair de Lune, Soir, Le Parfum impérissable, L'Horizon chimérique, tout le recueil de La Bonne Chanson et celui de La Chanson d'Eve, sont autant de pages extraordinaires de passion, de vie, de lumière, de paix, d'amour et de bonheur. Nous n'en avons pas encore découvert tout le secret.

L’œuvre pianistique de Fauré est moins répandue que son oeuvre vocale. C'est qu'elle est difficile, toute intérieure, et qu'elle ne cherche pas à faire vibrer le virtuose. Mais ici, que de beauté, que de chefs-d’œuvre! Treize Nocturnes, autant de Barcarolles, six Impromptus, des Romances sans paroles, des Valses Caprices, neuf Préludes, les Pièces brèves, le beau, le somptueux, l'inégalable Thème et Variations, une Ballade et une Fantaisie pour piano et orchestre constituent un trésor encore trop peu connu des pianistes. Ainsi que le dit son biographe, Charles Koechlin, personne, depuis Chopin, n'a su mieux que Fauré exprimer la pénombre et la mélancolie des soirs, la clarté lunaire et les ténèbres de la nuit.

Fauré a touché à tous les genres de musique et à toutes les formes. Le catalogue de son oeuvre comprend une centaine de mélodies, environ soixante pièces pour piano, deux sonates pour piano et violon, deux quatuors avec piano, deux quintettes, des chœurs, de la musique d'orchestre, un Trio, un Quatuor à cordes, de la musique religieuse, etc... Son seul et unique opéra, Pénélope, qu'il écrivit dans sa vieillesse, est un pur chef-d’œuvre de musique dramatique. C'est une somme de son art. C'est tout l'art fauréen, ramassé dans une sorte de vaste symphonie dramatique d'une beauté radieuse et souveraine.

Pénélope fut écrit à un âge où d'autres eussent témoigné d'une lassitude et d'un épuisement certains. Mais Fauré sut rester jeune d'esprit et de cœur jusqu'à la fin de sa vie. Son testament musical, un Quatuor à cordes qu'il termina deux jours avant sa mort, porte l'empreinte d'une rare vigueur et d'une étonnante sûreté d'écriture. Il disait qu'il n'avait osé, jusque-là, écrire de quatuor à cordes à cause de la trop grande difficulté d'une telle composition. César Franck pensait ainsi, que c'est une forme difficile entre toutes. Avant de mourir, Fauré confia donc son Quatuor à son fidèle disciple et ami Roger Ducasse, en lui demandant de le bien examiner pour voir si, décidément, il était digne d'être joué. Les grands artistes seuls connaissent cette modestie, qui est ici d'une touchante sincérité.

Le nom de Fauré serait à jamais inscrit dans l'histoire de la musique de tous les temps, si même il n'avait écrit que ce Quatuor, quelques mélodies, par exemple L'Horizon chimérique, et quelques Nocturnes pour piano. Ce nom a d'ailleurs forcé les anthologies les plus fermées. Sa musique vivra longtemps pour l'enchantement de ceux qui cherchent dans l'art musical autre chose que de la surprise: une émotion humaine.»

Léo-Pol Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946*

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